L'Île des Faisans, six mois française, six mois espagnole

Publié le 12 juillet 2023 par Jean-Louis Schmitt

Entre Hendaye dans les Pyrénées Atlantiques et Irun en Espagne, l'Île des Faisans change de nationalité tous les six mois, ce qui en fait le plus petit condominium du monde.

A 77 ans, Jean-Claude Alza connaît la Bidassoa, comme sa poche. Fils de républicains espagnols ayant fuit le franquisme, il est né près de cette rivière qui débouche sur l'Atlantique et crée une frontière naturelle entre la France de l'Espagne. Mais avant que cette délimitation soit précisément fixée par le Traité de Bayonne en 1856, la frontière entre les deux puissances européennes à fait l’objet de nombreuses tensions dont témoigne encore aujourd'hui une stèle sur l'Île des Faisans.

Jean-Claude Alza à l'approche de l'Île des Faisans. Photo : Radio France/Sébastien Sabiron

Distante d'une cinquantaine de mètres des rives d'Hendaye, un peu plus proche de celle d'Irun, cette langue de terre d'à peine 400 mètres de long relève d'une souveraineté alternée entre la France (du 1er août au 31 juillet) et l'Espagne (le reste de l'année). L'accostage est interdit, sauf dérogation accordée par les autorités militaires du pays souverain.
L'île n'abrite aucune construction si ce n'est une stèle visible depuis la rive, commémorant la signature du traité des Pyrénées qui en 1659, grâce au mariage de Louis XIV et de l'infante d'Espagne, mit fin à des décennies de guerre.

Le traité s'est négocié âprement relate Jean-Claude Alza en fin connaisseur de l'Histoire locale. "Les Espagnols proposaient, les Français refusaient et finalement ils sont arrivés à la conclusion qu'il fallait ce mariage pour pouvoir signer le traité des Pyrénées. Ce qu'il en reste aujourd'hui, c'est la frontière. Mais ce traité a surtout signé la fin de la guerre, C'est énorme."

La stèle commémorant la signature du Traité des Pyrénées sur l'Île des Faisans. Photo : Radio France/Sébastien Sabiron

C'est aussi sur l'Île des Faisans que François Iᵉʳ, prisonnier de Charles Quint, fut échangé contre ses fils en 1526. Elle fut aussi le théâtre d'échange de fiancées royales entre les deux pays. Aujourd'hui, l'île est gouvernée par un vice-roi espagnol et par une vice reine française, en la personne de Pauline Potier, Directrice Adjointe de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer des Pyrénées Atlantiques. *

"Mon titre officiel de vice-reine est très peu usité glisse la haut-fonctionnaire dans un sourire. Ma mission consiste essentiellement en la gestion administrative de la baie. Il y a par exemple une grande zone de mouillage à gérer, de nouvelles activité nautiques qui apparaissent, des droits de pêche très particuliers..." Et tout se fait en bonne intelligence avec les autorités espagnoles ajoute-t-elle. Pas question de prendre une décision sur laquelle les autorités ibériques six mois plus tard.

Pauline Potier, "Vice-Reine" de l'Île des Faisans. Photo : Radio France/Sébastien Sabiron

De fait, l'Île des Faisans ne connait qu'un ou deux événements par an : la passation de pouvoir très protocolaire entre la France et l'Espagne. Pour le reste, ce caillou ne suscite pas un intérêt débordant, même si tous les riverains en connaissent dans les grandes lignes sa riche histoire. Et s'il "n'y a pas de faisans sur l'Île des Faisans" comme se désolait Victor Hugo, c'est parce qu'il n'est pas ici question du volatile, mais des "faisants", le vocable désignant les diplomates français et espagnols qui faisaient les traités bilatéraux et ont fait de cette île minuscule un trait d'union entre deux ex-frères ennemis.

Sébastien Sabiron/Radio France

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