Haute Provence : vols de papillons sur un nid d’ammonites

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Baptisées Basses-Alpes jusqu'en 1970, les Alpes-de-Haute-Provence ont fait le pari d'un tourisme tourné vers la nature. Certes, il n'est pas toujours bon de parler du loup mais les fossiles et les papillons font l'unanimité. Du lointain passé au vol des lépidoptères, le terroir se révèle plein de promesses.

La dalle aux ammonites de Digne

Jusqu’au 19e siècle, aucune route ne passe par Barles, ce petit village de Haute Provence ne comptant guère plus de 200 habitants aujourd’hui. Perché à quelque 1 000 mètres d’altitude, il dépend de ses mules et de ses ânes pour gagner les cités voisines. Précieux alliés, les équidés dévoués transportent les lauzes, ces pierres se débitant en feuillets fins et résistants d’une belle couleur rosée destinées à couvrir les toits des maisons. L’exploitation des ardoises oubliée avec le temps est désormais réhabilitée sous forme d’une « ardoisière » qui raconte le passé. Le chemin qui y conduit emprunte l’itinéraire traditionnel, grimpant la montagne dans une ambiance forestière. À pied ou en complicité avec les ânes, il est possible de pénétrer dans l’univers des hêtres, pins sylvestres, tilleuls ou encore érables et de s’attarder devant les arbres sénescents, ceux qui montrent des signes de dépérissement après une trop longue carrière. Avant de tirer leur révérence, ils demeurent de précieux gîtes pour beaucoup d’oiseaux et de chauves-souris.

À une vingtaine de kilomètres en aval, juste avant la sortie de Digne-les-Bains s’impose la Dalle aux Ammonites. Retour en arrière de 200 millions d’années.

Coquillages et crustacés

À l’époque, la mer est ici chez elle. Les ammonites profitent de ses bienfaits, se reproduisant comme nulle part ailleurs. Certaines atteignent la taille respectable de 70 cm de diamètre et semblent cohabiter sans difficulté avec leur voisine. 1 550 restes d’ammonites et de nombreux autres fossiles comme les nautiles, les bélemnites, sortes de mollusques apparentés aux seiches actuelles et autres échinodermes du type étoiles de mer ou oursins, s’étalent sur une dalle inclinée à 60°. Ce musée à ciel ouvert, accessible à tous, est considéré comme la plus grande concentration de fossiles sur une aussi large surface d’observation. Elle constitue donc une référence mondiale qui a évidemment favorisé sa mise en réserve naturelle géologique de Haute Provence. Cette dernière figure désormais parmi les 100 plus beaux sites du patrimoine géologique mondial.

Au Musée-Promenade de Digne, l’ichtyosaure vieux de 180 millions d’années mérite également l’escale. Ce reptile marin est lui aussi considéré comme référent en raison de son admirable conservation lors des bouleversements du ventre de la terre. Autre étape propre à la réserve naturelle, la Maison de la nature et du patrimoine de Castellane. Plus près de nous, elle s’attarde sur la mer chaude qui, il y a 40 millions d’années, recouvrait une partie des Alpes-de-Haute-Provence. C’était le temps des mammifères marins, celui des siréniens connus sous le nom moins poétique de vaches de mer. Ces brouteurs d’algues inspireront l’antique mythe des sirènes. Il était logique que le musée leur rende hommage.

Musée Promenade de Digne-Les-Bains

L’emblème de la région

Un autre musée, bien vivant, papillonnant même, fait honneur à la région. Il s’agit du jardin des Papillons, créé en 1999 sur la rive droite de la rivière Bléone. À l’époque, la Proserpine, charmant lépidoptère multicolore, s’impose comme l’emblème de la région. Il est tout naturellement choisi par quelques entomologistes passionnés qui le retiennent pour nommer leur association.

À la limite des climats méditerranéens et alpins, ce territoire semble particulièrement adapté pour attirer les papillons, non pas en les emprisonnant en volière mais en leur offrant les meilleures conditions d’existence. Le pari un peu fou est lancé sur un  hectare de terrain situé à 650 mètres d’altitude. Nicolas Maurel, à l’origine du projet, se souvient : « Il nous a fallu aménager le terrain en pensant aux besoins de chaque espèce. Aujourd’hui, on compte près de 500 espèces de plantes qui, toutes à leur manière, jouent un rôle essentiel dans l’accueil des papillons. Les plantes nectarifères, capables de satisfaire leur appétit et les plantes, hôtes nécessaires aux chenilles, ont judicieusement été disposées tout au long des allées ».

Ce qui paraissait utopique s’est pourtant vérifié chaque année, au fil des plantations. Les papillons se sont faits plus nombreux et surtout plus représentatifs de la faune de France. On compte désormais 141 espèces recensées au cours des 20 dernières années évoluant sur les terrasses du jardin avec, au hasard des rencontres, le magnifique flambé affichant 5 à 7 cm d’envergure prolongé de queues atteignant les 70 mm, le silène, marron rayé d’une bande blanche, l’azuré aux délicieuses nuances bleutées, le tabac d’Espagne aux couleurs orangées, le damier de la Succisse et bien d’autres. « 141 espèces sur 260 espèces de papillons de jour en France, ça fait quand même, sur un petit jardin, plus de la moitié des espèces de papillons qui ont fait escale », se réjouit Jean-Simon Pagès, directeur du Géoparc qui accueille le jardin des Papillons. La situation reste cependant incertaine.

Menace sur les chenilles

Nicolas Maurel rappelle qu’en France une espèce de papillon sur trois est jugée fragile, voire menacée. Il n’y a pas si longtemps, le jardin des Papillons s’est vu envahi par un intrus aussi inattendu qu’indésirable. Venue du nord lors d’importations de végétaux en provenance de Chine, la pyrale du buis a semé la panique : « L’été, quand on roulait, on avait l’impression qu’il neigeait tellement il y avait de ces papillons blancs. Leur invasion a constitué une concurrence pour les populations de papillons locaux et plus largement pour la biodiversité », se souvient amèrement Jean-Simon Pagès.

En 8 ans, le ravageur a colonisé 86 départements de la métropole. La lutte mécanique consistant à prélever les chenilles paraît interminable. Il faut 10 heures de travail pour arracher 1 000 chenilles. Les mésanges bleues ne déméritent pas lorsqu’elles nourrissent leurs jeunes avec les chenilles, de même la lutte biologique peut jouer un rôle mais elle risque d’impacter d’autres espèces. Quoi qu’il en soit, la redoutable pyrale du buis s’est peu à peu estompée du paysage, redonnant aux papillons indigènes l’espoir de s’épanouir. Soulagement des entomologistes.

Allain Bougrain-Dubourg

 

 

 

 

 

 

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B
Très intéressant...
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