Quand Fontainebleau plantait les racines du combat environnemental

Publié le par Jean-Louis Schmitt

N’en déplaise aux Américains, ce n’est pas Yellowstone (1872) qui fut le premier espace protégé mais Fontainebleau, en 1853, au titre de « Réserve artistique ». Histoire épique d’un territoire exceptionnel capable de mobiliser les consciences…

La forêt de Fontainebleau était autrefois appelée forêt de Bière en référence à la bruyère…

Après la Première République, le Premier Empire et la Restauration monarchique qui ont vu défiler Condorcet, Napoléon 1er, Louis XVIII, Charles X et Louis Philippe 1er, le temps est venu de l’insouciance, des outrances et des plaisirs. Du romantisme aussi. La nature s’offre en écrin pour répondre à ce désir. À 60 km de Paris, le grand massif forestier de Fontainebleau semble idéal depuis qu’en 1849 un train le relie à Paris. Mais quelques années plus tôt, il fait déjà l’objet de projets capables de bien le dénaturer.

Dans Des arbres à défendre! (éditions Le Pommier), Patrick Scheyder rappelle que la toute jeune école des Eaux et Forêts de Nancy (créée en 1824) envisage une exploitation radicale : « Abattre les arbres décrétés sans valeur et planter des conifères par centaines de milliers, des pins sylvestres résistant au gel et de bon rapport. » L’auteur souligne le mépris à l’égard des petits métiers qui vivent de la forêt. Il témoigne aussi du drame pour les humbles qui, dans les Landes, ramassent la bruyère pour faire des litières ou se chauffer. Et ceux qui cueillent des fougères pour emballer les raisins, comment survivront-ils? Que va devenir cette cathédrale verte, habillée de rochers dans lesquels bon nombre dartistes « viennent trouver les repos de l’âme »? Jean-Jacques Rousseau aurait été un visiteur fugitif mais profondément attaché à la préservation de la nature. Parmi les avocats de la forêt, Victor Hugo nhésite pas à conclure : « Une forêt est une cité et entre toutes les forêts, la forêt de Fontainebleau est un monument. Ce que des siècles ont construit, les hommes ne doivent pas le détruire. » Avec la même conviction, sa contemporaine George Sand, auteure de plus de 70 romans, se porte au secours de la forêt. Mais c’est avant tout un certain Théodore Rousseau qui fut précurseur.

Amoureux du site, il veut faire parler les arbres dans sa peinture. « Il propose une sorte de scénographie du langage végétal », résume Patrick Scheyder. Réunis avec d’autres jeunes peintres, ils sont surnommés « les bizons » en référence au village de Barbizon qui les accueille. Mais le clan d’artistes se transforme, chaque fois que nécessaire, en activistes. Lançant des pétitions, alertant les journaux, ils n’hésitent pas à arracher les pieds de pins fraichement plantés. Leur détermination en vient à sensibiliser Louis-Philippe qui finit par interdire l’abattage des vieux chênes dans une partie de la forêt en 1839. Ne pas se réjouir trop vite. Méthodiquement, les promesses se décomposent avec le temps. Théodore Rousseau, toujours sur la brèche, entend les haches reprendre leur sale besogne. La forêt saigne à nouveau. Les arbres tombent, de même que Louis-Philippe. Napoléon III entre en scène, tandis que « les bizons » s’apparentent aux zadistes. Ne rien lâcher. Alerter toujours et encore. Rassembler pour effacer le bruit des cognées. Redonner au vieil arbre le respect qu’il mérite et ne pas laisser la jeune pousse de pinède s’épanouir.

Les romantiques sortent leurs griffes, les intellectuels affûtent leur plume. Au chevet de la forêt, Michelet, Franz Liszt, Alfred de Musset, Chopin, Flaubert, les Goncourt, Balzac et d’autres se succèdent dans le temps pour dire leur solidarité à ce massif d’exception.

En 1853, la reconnaissance de « Réserve Artistique » conjugue nature et culture. Une victoire inestimable qui couvre près de 624 hectares. En 1861, un décret impérial fait de Fontainebleau le premier espace protégé au monde. La guerre de 1870 va remettre en cause les grands principes de préservation. Il faut du bois et des champs de tirs pour l’entrainement. Fontainebleau pourrait faire l’affaire. L’État prévoit de couper 13 298 chênes, 4 828 hêtres et 1 720 hectares de taillis pour réaliser des ventes capables de compenser en partie les pertes financières de la guerre contre les Prussiens. C’en est trop. Un Comité de Protection Artistique de la Forêt de Fontainebleau se crée avec, à sa tête, le célèbre peintre Millet. L’objectif est simple, obtenir « que la forêt de Fontainebleau soit assimilée aux monuments nationaux et historiques qu’il est indispensable de conserver à l’admiration des artistes et des touristes ». George Sand s’engage immédiatement au côté du comité en écrivant notamment un texte qui fera référence : « Tout le monde a droit à la beauté et la poésie de nos forêts, de celle-là en particulier. La détruire serait, dans l’ordre moral, une spoliation, un attentat vraiment sauvage qui fait de celui qui n’a rien que la vue des belles choses, l’égal, quelques fois supérieur, de celui qui les possède. » De combats en combats, Fontainebleau enracine finalement le désir de conserver ce massif de 25 000 hectares.

En 1948, l’UCIN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) choisit ce lieu en hommage à la saga de sa protection pour officialiser sa naissance. En 1989, François Mitterrand veut renforcer sa protection en envisageant même d’en faire un Parc National. Les nombreuses commissions qui plancheront sur le projet, émettent pourtant des réserves, l’idée est repoussée. Reste l’ambition de classer la forêt au patrimoine mondial de l’UNESCO. « Ce serait une juste reconnaissance pour Fontainebleau qui fut le premier prototype de la protection de la nature » se réjouit Patrick Scheyder.

Allain Bougrain-Dubourg

 

 

 

 

 

 

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Z
Article trés intéressant qui fait bien réfléchir à l'importance de protéger les forêts contre les "dépeceurs" divers.<br /> Amitiés Jean-Louis
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B
Eh bien quelle belle lettre.<br /> Et c'est une découverte car je ne connaissais pas l'histoire de la forêt de Fontainebleau.<br /> Je partage !<br /> Merci Jean-Louis
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J
J’ajouterai qu’il existe dans la forêt de Fontainebleau, une parcelle qui n’a pas été touchée par l’homme depuis le règne de Louis XIV et qui sert de référence en matière d’évolution des végétaux les uns par rapport aux autres en absence d’intervention humaine.
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J
Oui, en effet, un billet qui nous en apprend beaucoup sur une forêt connue d tous même i on n'y a jamais été ! J'apprend avec joie que les romantiques, les intellectuels et tant d'autres se sont élevés pour défendre ce joyau naturel : espérons que, bientôt, l'ensemble de la population prendra conscience des dangers qui menacent l'environnement en général et descendra dans la rue pour mener ce qui est vraisemblablement le combat le plus important du moment ! Mais, le temps presse et, pour beaucoup d'espaces naturels il es déjà trop tard...
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C
Un article fort intéressant sur cette forêt mythique de Fontainebleau. <br /> Comme quoi, de tout temps, les massacres ont eu lieu et, fort heureusement, des opposants, à chaque fois, s'élèvent ! Ne jamais baisser la garde s'impose en la matière et, surtout, ne pas trop faire confiance aux politiques dont les intérêts changent selon que le vent tourne...<br /> Bon mercredi à vous qui passez !
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