Les ailerons de requins nous tirent des larmes de crocodile

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Malgré quelques mesures de protection prises en faveur des requins, le commerce de leurs ailerons se poursuit à un rythme effrayant en Europe. Les citoyens peuvent mettre un terme au massacre.

Malgré son air farouche, le requin-taureau est placide et facilement approchable par les plongeurs. Photo : Nicolas Barraqué

Les chiffres sont devenus d’une banalité affligeante : 30 espèces de requins flirtent avec la disparition. La plupart des populations de squales connues ont diminué de 80 à 99 % depuis l’épanouissement de la pêche industrielle, au milieu du siècle dernier. En Méditerranée, 50 % des espèces de requins n’ont plus d’avenir. Et la liste sanglante n’est pas close. Elle est, du reste, rappelée par les biologistes lors de chaque bilan de l’état du vivant sur la planète. Une occasion pour l’opinion publique de se calmer avec Les dents de la mer en préférant la compassion.

Las, le massacre se poursuit avec pour principale motivation l’exploitation des ailerons. Ils se dégustent à toutes les sauces, avec des champignons, en potage, bouillis durant près de 3 heures, j’en passe. Quelle que soit la recette, l’addition satisfait les exploiteurs d’ailerons puisqu’ils se vendent entre 300 et 500 euros le kilo. L’association Ailerons a décidé d’en finir en relayant le message de l’initiative citoyenne Stop Finning EU. Martin Grau, son vice-président, résume clairement l’objectif : « Nous voulons définitivement mettre un terme au commerce des ailerons de requins dans l’Union Européenne. Il y a urgence. Chaque année, près de 3 500 tonnes d’ailerons de requins sont exportées de l’Union Européenne vers l’Asie ». Parmi les pays coupables de cette industrie, l’Espagne arrive en haut du podium avec quelque 40 000 tonnes de requins pêchés par an. Elle est suivie par le Portugal, qui affiche quand même 13 000 tonnes sur la balance. Quant à la France, elle contribue au déclin à hauteur de 352 tonnes.

Au-delà de l’insupportable délabrement des espèces, c’est aussi l’odieuse méthode de pêche qu’il convient de pointer. Le « shark finning » consiste à leur couper les ailerons et la nageoire caudale puis à rejeter les animaux en mer alors qu’ils sont toujours vivants. L’agonie est alors au rendez-vous. Soit les requins, incapables de se déplacer, meurent d’asphyxie ou d’hémorragie, soit ils sont dévorés par leurs congénères. Cette maltraitance est douloureusement vécue par les victimes dont on ne peut plus douter de leur sensibilité et de leur capacité à détecter les champs magnétiques, à s’orienter fonctionnellement, voire à capter leur environnement en 3D.

Bernard Séret, chercheur spécialiste des requins, résume : « Comment imaginer qu’un animal qui vit depuis 450 millions d’années, en ayant traversé cinq extinctions, soit idiot? ». Plus précisément, il ajoute : « Le centre olfactif peut occuper 1/3 du cerveau chez certaines espèces ».

Sur un plan juridique, si en France aucune espèce de requins (ou de raies d’ailleurs) ne bénéficie du statut d’espèce protégée, la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacée d’extinction) a fini par prendre des mesures contraignantes. En 2019, 16 espèces de requins, particulièrement fragiles, étaient soumises à l’obtention d’un permis et en 2021 une protection renforcée était accordée à 5 espèces. Par ailleurs, quelques états américains ainsi que les Bahamas, le Honduras, l’Égypte, la Polynésie Française et les Maldives ont purement et simplement interdit la pêche des requins ou la vente des ailerons, mais les trafiquants ont poursuivi leur petit business en étiquetant notamment les ailerons avec des termes permettant de passer entre les mailles des filets douaniers. Désignés « fruits de mer secs » ou « produits de la mer », par exemple, les ailerons de requins ont plus de chance de passer inaperçus.

En observant la situation de plus près, on constate que, curieusement, l’Europe reste une plaque tournante du sinistre commerce. Martin Grau confirme : « L’Union Européenne a une responsabilité majeure, en tant que premier partenaire économique mondial dans l’export et l’import de produits aquatiques, dans la définition d’un cadre réglementaire strict vis-à-vis du commerce de requins sur son espace ». Pourtant, en 2013, la Commission semblait bien disposée à venir au secours des requins en interdisant par règlement, le détachement des nageoires et ailerons de requins à bord des navires de l’Union Européenne navigant dans ses eaux. À l’époque, nombre d’associations de protection avaient applaudi à l’initiative, espérant que l’on tournerait ainsi la page. À l’expérience, cette avancée notable n’empêche pas les petits arrangements. Certes, il y a désormais obligation en Europe de débarquer les requins avec leurs nageoires naturellement attachées au corps mais le manque de moyens de surveillance, à terre comme en mer, permet au trafic de perdurer.

La solution? Lassociation Ailerons, accompagnée d’un collectif croissant d’ONG, considère qu’elle s’imposera au niveau du Parlement européen. C’est dans cet espoir qu’une initiative citoyenne a été lancée pour en finir avec la commercialisation des ailerons de requins en Europe. « Il ne s’agit pas simplement d’une pétition, il s’agit d’un vote en tant que citoyen dans un processus législatif Européen » souligne le collectif en ajoutant : « Si on atteint un million de votes, cette initiative mettra l’interdiction du commerce d’ailerons de requins en Europe à l’agenda du Parlement européen. Ensuite, les députés prendront leurs responsabilités. » La démarche a déjà recueilli plus de 500 000 signatures. Évidemment, les votes de chaque pays sont proportionnels à leur population mais la France peut faire cocorico. Elle figure déjà en tête de liste des états les plus engagés avec plus de 131 000 signatures. À tous ceux qui veulent accompagner le mouvement en votant pour les requins, il suffit d’aller sur le site.

En attendant que les requins ne nagent plus en eau trouble, vous pouvez manifester votre solidarité en rayant d’un trait de feutre « ailerons de requins » sur les menus des restaurants chinois. Il y a déjà quelques années que je pratique l’exercice (en ajoutant les cuisses de grenouilles) et globalement je n’ai jamais été obligé de repartir en courant sans payer l’addition…

Allain Bougrain-Dubourg

 

 

 

 

 

 

Si vous avez apprécié cette publication,

partagez-là avec vos amis et connaissances !

Si vous souhaitez être informé dès la parution d’un nouvel article,

Abonnez-vous !

C’est simple et, naturellement, gratuit !

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
Il y a bien longtemps que je n’en n’ai pas vu au menu d’un restaurant chinois, vietnamien ou assimilé. Quand j’y allais assez souvent, il y a plus de cinquante ans, la soupe était fréquente et à un prix raisonnable mais je n’avais pas été très impressionné par leur goût. C’est peut-être encore recherché en Asie mais je doute que le Mexique, la France et l’Europe contribuent à leur consommation. De toute façon la signature de la pétition n’a peut-être pas fonctionné. Peut-être en Chine ?
Répondre
B
C'est effrayant...<br /> Cruel, désastreux...
Répondre
D
Bravo Zoé. J’ai voulu signer : nationalité ça va jour et mois de naissance aussi! L’année impossible malgré maints essais . Pour le moment je suis née le 7 mars … 2022! Je ne dois pas être futée et pourtant j’en ai signé des pétitions !. Je réessaierai car si je connaissais cette horreur je ne voudrais pas rater l’occasion d’agir si modestement soit-il !
Répondre
Z
Quel désastre et quelle cruauté! <br /> Ai signé bien sûr
Répondre
C
Ouf! Ça m'a fait mal au coeur quand j'ai lu qu'ils sont rejetés à l'eau vivants et souffrants! C'est si triste...
Répondre
D
est-ce bien correct de biffer un menu ? Il suffit de ne pas rentrer dans le restaurant...
Répondre
M
Un seul remède ne pas en consommer ...
Répondre
D
Les autorités actuelles porteront la responsabilité de toute cette cruauté et de ces ravages faits au Vivant !<br /> Par leur inaction, ils empêchent l'évolution des êtres "humains".
Répondre
J
Encore une de ces "traditions" ignobles et d'une cruauté innommable qui, malgré les ravages qu'elle cause à la biodiversité, perdure ! Honte à des "pêcheurs-tueurs" et honte aux utilisateurs qui créent la demande : sans eux, le problème serait réglé... Ne comptons pas sur les autorités qui, depuis toujours, se contentent "d'observer"...
Répondre