Le rapport parlementaire qui veut mettre les militants écologistes en prison

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Une mission d’information parlementaire pilotée par Les Républicains et La République en marche demande de « renforcer l’arsenal pénal » contre « les militants antiglyphosate, véganes ou antichasse ». Les propositions pourraient être inscrites dans la loi, une perspective qui inquiète fortement les militants écologistes ou antispécistes…

Illustration : Jean-Benoît Meybeck/Reporterre

Le tempo est plutôt mal choisi, la concordance des temps frappante. Alors que l’Assemblée nationale examine en ce moment la proposition de loi sur le bien-être animal, les députés ont voté en commission un rapport issu d’une mission d’information parlementaire sur « l’entrave aux activités légales ». En creux, certains députés veulent « renforcer l’arsenal pénal » contre « les militants antiglyphosate, véganes ou antichasse ». Ils proposent la création de nouveaux délits pour lutter plus efficacement contre la diffusion d’images sur les réseaux sociaux et pour limiter l’intrusion dans les abattoirs ou les fermes usines.

Reporterre publie ce document qui a reçu l’aval de la majorité La République en marche (LREM). Un an après la création de la cellule Déméter, une nouvelle étape est franchie dans la répression et la criminalisation du mouvement écologiste.

Le rapport a été adopté mardi 26 janvier en fin d’après-midi par les commissions du Développement durable, des Affaires économiques et des Lois. Présidée par le député Les Républicains Xavier Breton, la mission parlementaire compte également deux rapporteurs, Martine Leguille-Balloy et Alain Perea, tous deux affiliés à La République en marche. Ce travail est le fruit d’une promesse faite en juin 2019 par Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, alors députée, aux sénateurs. Dans le cadre du projet de loi créant l’Office français de la biodiversité (OFB), le Sénat avait souhaité créer un délit d’entrave aux activités de la chasse. L’idée n’avait finalement pas été retenue mais les présidentes des commissions des Lois et du Développement durable, Mmes Yaël Braun-Pivet et Barbara Pompili, s’étaient engagées à lancer une mission d’information sur le sujet.

Un an et demi plus tard, nous y voilà. Et contrairement à l’adage, le temps n’a pas assagi les parlementaires. Dès les premières pages, les auteurs du texte s’en prennent violemment aux écologistes et à leurs actions qui « stigmatisent des activités légales » comme « les OGM, la corrida, l’utilisation de glyphosate et autres produits phytosanitaires, les activités cynégétiques ou la consommation de protéines d’origine animale ». Les auteurs précisent que « les avancées démocratiques ne peuvent pas se faire en imposant des idéologies par la voie d’exactions, d’attaques, de menaces ou encore de pressions sur des activités légales ».

Un rapport qui cible nommément plusieurs associations comme L214

D’après eux, ces dernières années, le nombre d’entraves à la chasse et à l’élevage industriel a explosé. Or « la réponse pénale apportée est trop faible », jugent-ils, regrettant que peu de plaintes soient déposées puis instruites. Le droit existant n’est pas adapté, estiment-ils.

L’état des lieux qu’ils dressent est volontairement dramatique, nourri par les plaintes des professionnels et des chasseurs, nombreux à avoir été auditionnés, contre seulement une association antichasse, AVA (Abolissons la vénerie aujourd’hui). « Greenpeace, France Nature Environnement et le WWF ont refusé les sollicitations de la représentation nationale », rappellent les députés en introduction, sans évoquer pour autant les raisons de leur boycott. Les rapporteurs déplorent « une radicalisation des actions » menées par des « militants de plus en plus urbains », « engagés dans une multitude de causes, notamment féministe, antinucléaire ou antipolice ». « On y retrouve également des black blocs », alertent-ils, très sérieusement.

Le rapport recense pêle-mêle les tentatives d’intrusions au sein d’exploitations agricoles et des faits divers, comme l’altercation entre « un jeune chasseur et trois militants radicaux qui l’auraient mordu à la main ». Il cite autant la multiplication des sit-in devant les abattoirs que « les échanges verbaux vifs » entre agriculteurs et écologistes, les tags sur les cabanes de chasseurs ou les bris de vitrines dont seraient victimes des boucheries. La question des réseaux sociaux est au cœur du rapport. Pour les auteurs, « les réseaux sociaux constituent en soi un moyen d’entrave » : ils « inspirent » et « amplifient les conséquences des actions ».

Le document cible nommément plusieurs associations : L214, Direct Action Everywhere, 269 Libération animale, Abolissons la vénerie aujourd’hui. « Bien organisées, avec une puissance d’influence importante, préméditant leurs actions et ayant une bonne connaissance de leurs droits, ces associations ont une capacité à exploiter les failles de la législation », notent-ils.

Le rapporteur de la mission voulait interdire le VTT en période de chasse

Les députés font plusieurs recommandations : ils veulent d’abord créer un délit d’entrave à la chasse, passible de 6 mois d’emprisonnement et de 5.000 euros d’amende. Ils proposent aussi d’introduire dans le Code pénal un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende l’intrusion sur un site industriel, artisanal, agricole ou de loisirs, qui aurait pour but de « troubler la tranquillité ou le déroulement normal de l’activité ».

Les rapporteurs souhaitent élargir le champ législatif des discriminations pour ajouter l’activité professionnelle ou de loisirs. Ils recommandent aussi de punir d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende toute diffamation publique commise à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur activité professionnelle ou de loisir, et donc l’agriculture ou la chasse.

Plusieurs mesures apparaissent comme une réponse directe aux demandes du principal syndicat agricole, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). Il y a à peine plus d’un an, la présidente du syndicat, Christiane Lambert, avait demandé à la ministre de la Justice de l’époque, Nicole Belloubet, la création d’un délit spécifique aux intrusions dans les élevages, comme Reporterre l’avait signalé. La même avait aussi demandé, dès 2018, une commission d’enquête parlementaire sur les militants antispécistes. Vœu quasi exaucé avec cette mission d’information.

Elle a pu compter sur les trois parlementaires qui portent ce rapport. Le président est le député de l’Ain Les Républicains Xavier Breton. C’est dans son département qu’a eu lieu l’incendie d’un abattoir pour lequel des antispécistes ont été incriminés. Le rapport omet de préciser que ces derniers nient les faits. En ce qui concerne les rapporteurs, Alain Perea, député LREM de l’Aude, est coprésident du groupe Chasse, pêche et territoires à l’Assemblée nationale. Quand un vététiste avait été tué par un chasseur, il avait proposé d’interdire… le VTT pendant la période de chasse. La rapporteuse, Martine Leguille-Balloy, a été avocate dans l’agroalimentaire et avait déjà proposé une commission d’enquête sur l’agribashing.

Plus généralement, le rapport reprend exactement les mêmes arguments que ceux qui ont présidé à la création de la cellule de renseignement de la gendarmerie Déméter, en décembre 2019. La cible est la même, à savoir les contestataires du modèle agricole dominant, élargie aux anti-chasse. Les acteurs identiques : Déméter a été mise en place via un partenariat inédit entre seulement deux des syndicats agricoles —la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs— et la gendarmerie. Pour le justifier, la gendarmerie avançait que plus de 14.000 « atteintes au monde agricole » avaient été recensées en 2019. Mais la majorité était des vols et cambriolages. L214 avait pu calculer que seul 0,28 % était des actes antispécistes.

« On est dans la même logique que la loi Sécurité globale »

Pour ces députés, le phénomène est au contraire massif. « Nous sommes, avec Alain Perea, tous les deux du milieu rural et nous avons été surpris par ce que nous avons découvert », insiste Mme Leguille-Balloy, jointe par Reporterre. « Toute idéologie mérite d’être défendue, mais pas dans la violence. Nous devons concilier l’expression de ces idées et l’arrêt de la violence. » « Perturber la chasse est devenue la marotte de certains. Ils sont inconscients, il va y avoir des morts », avertit M. Perea.

Pas de quoi rassurer la sphère associative. « Il y a un risque de glissement. La contestation du système agricole dominant pourrait finir par être considérée comme du dénigrement », craint François Veillerette, de l’association Générations futures. « Je prends cela très au sérieux, car ils veulent criminaliser une critique sociale, politique, écologique, indique Fabrice Nicolino, président de l’association Nous voulons des coquelicots. Ce qui les embête, c’est que la société se révolte contre l’agriculture industrielle. Ils sentent le sol se dérober sous leurs pieds. »

« Il y a un refus d’entendre la société civile, poursuit la députée Génération Écologie Delphine Batho. Le fait de considérer comme délictuelles des activités qui concourent de façon normale et non violente à la vie démocratique est extrêmement choquant. On est dans la même logique que la loi Sécurité globale appliquée au domaine agricole. »

Autant de réticences balayées par les rapporteurs, qui appellent à des mesures urgentes. Pour aller vite, ils étudient deux solutions. Soit reprendre une proposition de loi sur le même sujet, déjà adoptée par le Sénat, et la renforcer avec les propositions du rapport. Soit introduire les dispositions via des amendements dans une autre loi passant bientôt en discussion. « On est en fin de législature, le risque est que ça ne débouche pas, peut-être vaudrait-il mieux appliquer de ce qui existe déjà dans le droit », nuance le député breton Paul Molac, membre de la mission. Le message a été, en tout cas, passé aux chasseurs et à la FNSEA : à un peu plus d’un an de la présidentielle, LREM reste à leur écoute.

Marie Astier et Gaspard d’Allens/Reporterre (28.01.2021)

 

 

 

 

 

Si vous avez apprécié cette publication,

partagez-là avec vos amis et connaissances !

Si vous souhaitez être informé dès la parution d’un nouvel article,

Abonnez-vous !

C’est simple et, naturellement, gratuit !

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
En prenant un peu de recul, on peut lire ces tentatives parlementaires comme un véritable cri de panique du monde de la chasse qui sent venir la fin, qui la voit en face et à court terme. C'est la fin annoncée d'un empire dépassé. Ces tentatives ne doivent donc pas nous inquiéter outre mesure, mais cela ne doit surtout pas nous démobiliser : il faut continuer de monter au créneau, chacun avec ses arguments et selon sa sensibilité. Le lobby de la chasse n'a sans doute jamais été aussi fort, mais la prise de conscience de l'opinion publique en faveur de la vie sauvage ne cesse de monter en puissance, elle est déjà majoritaire et ce n'est qu'un début, La chasse vit ses derniers jours.
Répondre
J
Le monde de la chasse aux abois ? J'aimerai que vous ayez raison Alain et je m’efforce de m'accrocher à cette hypothèse... N'oublions pas la puissante FNSEA qui a, elle aussi un fort potentiel de nuisance et qui en use abondamment ! Comment peux-t-on encore soutenir de tels organismes alors que l'ensemble du monde scientifique démontre très clairement que nos problèmes actuels viennent de notre manque de protection de la biodiversité ? Voilà qui demeure une énigme pour moi...
A
Difficile de croire à de telles aberrations encore aujourd'hui !<br /> Le combat continue et nous aurons gain de cause, au nom de la vie.
Répondre
J
On peut comprendre que le fait de pénétrer dans un élevage intensif ou dans un abattoir et de révéler, images à l’appui, ce qui s’y passe, peut déplaire à ceux qui ont tout intérêt à ce que la vérité ne soit pas connue par le grand public et donc par les consommateurs ! De même, entraver volontairement une partie de chasse à courre et, là encore, de dévoiler la brutalité, la violence, l’horreur indicible d’une mise à mort d’un bel animal qu’on aura préalablement épuisé en le poursuivant des heures durant, peut ne pas faire plaisir à ceux qui s’adonnent à ces ‘’amusements’’ jugés pourtant par eux, bien ‘’innocents’’ ! On peut le comprendre mais, de là à admettre qu’il devient impérieux de museler ceux pour qui la défense du vivant est tout aussi légitime que ne le l’est le fait de faire souffrir des animaux pour d’autres, acte qui, pourtant, devrait logiquement être réprimé par la justice, voilà qui s’avère pour le moins choquant ! Or donc, ce que voudraient certains parlementaires et hauts-fonctionnaires de notre république, c’est qu’un véritable arsenal de répression voit le jour et que les militants écologistes et ceux de la défense des animaux, soient sévèrement punis… qu’on en fasse en quelque sorte des exemples susceptibles de calmer les ardeurs d’éventuels ‘’activistes’’ en devenir ! Ce qui est tout aussi choquant c’est de constater qu’il y a un gros, un énorme problème quant à la vision de leur rôle de ceux qui ont été élus par le peuple pour le représenter et non pas pour veiller aux ‘’intérêts’’ de lobbys fort peu scrupuleux ! Comment de telles pratiques peuvent-elles être tolérées dans ce qui devrait pourtant être une démocratie ? <br /> Ne craignons pas de dénoncer toutes ces atteintes à nos libertés et soutenons courageusement ceux qui se battent pour que nous puissions les conserver !
Répondre
J
Très juste.
Z
Merci aux lanceurs d'alerte ! Et que fait encore Pompili dans cette galère ? Pour ma part , je considère comme un honneur d'être considérée comme une délinquante si se battre pour la Vie est un délit !
Répondre
A
Heureusement, les lanceurs d'alerte ne sont pas près de se taire. Il faut soutenir L214, Animal Cross, la SPA et tous ceux qui justement alertent. Un mot sur l'agribashing qui s'en prend aux agriculteurs qui se moquent de la planète. Moi (et je ne suis surement pas la seule ici :) ) je fais de l'agriculteur-supporting en achetant chez nos agriculteurs locaux, bio ou juste respectueux de la terre, en acceptant de payer le prix du travail bien fait.
Répondre
F
Tout a été dit et bien dit, mais je voudrais revenir sur le mot "entrave" qui serait l'un des principaux reproches faits aux écologistes. " Le nombre d'entraves à la chasse et à l'élevage industriel a explosé. " "Les députés veulent créer un délit d'entrave à la chasse. Je lis dans mon dictionnaire que le premier sens du mot "entrave" est "ce qu'on met aux jambes d'un animal pour gêner sa marche" ! Mais on ne craint pas le ridicule, qu'on soit chasseur, député défenseur de la chasse, de l'élevage industriel, de l'agriculture intensive, etc. La chasse, encore plus que d'autres activités, est déjà une entrave en soi, une entrave à la vie, à la liberté et à toutes les valeurs de la démocratie, une entrave à toutes les valeurs qu'un être humain normal se doit de défendre... Mais chut ! il ne faut pas "troubler la tranquillité ou le déroulement normal" des activités citées ci-dessus. Ou alors pan pan !
Répondre
M
La dictature est la seule chose en marche avec cette classe politique rétrograde stupide et bornée.Il y a effectivement de quoi avoir des sueurs froides pour l'avenir.Les innombrables infractions et intimidations des chasseurs ne semblent elles, ne pas les émouvoir le moins du monde pas plus que les élevages de la honte.Ce parti est à vomir et dire que Pompili se faisait passer pour écolo ...<br /> J'espère que ce projet n'aboutira pas mais avec les godillots de l'assemblée tout est possible surtout le pire.
Répondre
D
il conviendrait de distinguer le droit à l'expression et à la manifestation, et l'activisme...
Répondre
J
On voit bien en ce moment qu’après des décennies de monopole sur une info inexistante ou maîtrisée du moins en bonne partie, l’apparition des réseaux sociaux avec son flot de messages vient perturber nos chers dirigeants habitués à nous demander de faire ce qu’ils disent pour mieux ne pas le faire eux mêmes. Cette nouvelle info issue des réseaux à bien évidemment le défaut d’être à prendre avec des pincettes afin de débrouiller autant que possible le vrai du faux, cependant, elle relaie aussi une forme de vérité et dans le cas qui nous occupe ici, le fait du nombre majoritaire de personnes anti chasse et pour une nature plus propre ne semble pas vraiment une fake news. Les décideurs mis en place sur des promesses plus ou moins douteuses voient effectivement dégringoler leur monopole informatif et en arrivent donc à prendre des mesures autoritaires et à l’inverse de cette démocratie bien mise à mal par ceux là même qui en ont profité pour être élus.
Répondre
D
On croit rêver... tout l’inverse de ce qu’il faut faire, le virus ayant alerté sur la catastrophe imminente due aux abus des humains sur la Nature. Et la corrida dite ici légale! Non elle est illégale juste tolérée au nom des traditions !!!! c’est dèjà une ignominie. Que faire quand on a malgré quelques humanistes une classe politique aussi rétrograde , dangereuse et dénuée de la moindre compassion !? L’état policier déjà ébauché pour raisons sanitaires a de beaux jours devant lui . Angoisse !!!
Répondre