Sans voiture hors de Strasbourg, trois jeunes racontent leur galère quotidienne

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Julie, Louise et Quentin ont un point commun : au quotidien, ils n’ont que les transports en commun pour se déplacer. Elles n’ont pas de voiture, il n’a plus le permis et surtout, ils vivent tous les trois en dehors de la capitale alsacienne. Pour Rue89 Strasbourg, ils racontent les contraintes quotidiennes, le sentiment de dépendance mais aussi les avantages ignorés du train, du bus et du tram.

La voiture est toujours perçue comme absolument nécessaire aux déplacements. Dans les bourgs urbains et périurbains, la voiture individuelle reste très prisée malgré la présence de modes de transports alternatifs. Même dans les principaux centres urbains, où l’offre de mobilité est la plus élaborée, la part d’équipement en voitures des ménages reste stable selon les résultats d’une étude publiée par l’Agence de développement et d’urbanisme de l’agglomération strasbourgeoise (Adeus).

Ainsi en Alsace, le nombre de voitures a augmenté dans toutes les communes étudiées entre 1990 et 2012, très souvent de plus de 50%. Dans le Grand-Est, le nombre de véhicules personnels a augmenté d’un million en 20 ans. Mais à Strasbourg, le nombre total de véhicules est resté stable tandis que le taux de ménages équipés en voiture a baissé de 4%. Une situation d’exception.

Pourquoi cette quasi-obligation de posséder une voiture est-elle aussi ancrée ? Rue89 Strasbourg est allé à la rencontre de trois jeunes vivant hors de Strasbourg, pour qu’ils expliquent comment ils se débrouillent sans véhicule personnel.

Louise Vosdoganis, 22 ans, étudiante, habitante de Ettendorf

« Ça fait 15 ans qu’il n’y a plus de gare chez nous. » Louise Vosdoganis vit dans le village d’Ettendorf, à près de 40 kilomètres au nord Strasbourg. Comme dans les Vosges, le train a été remplacé par un bus pour Mommenheim. « Il y en a trois le matin, un le midi et quatre le soir », explique cette spécialiste des transports en commun du coin. « Le week-end c’est beaucoup moins… » De là, l’étudiante prend un train express régional (TER) pour Strasbourg et le tram pour la Meinau. Chaque journée est réglée à la minute près : « Je passe mon temps à regarder ma montre. Le matin, il faut partir avec le train de 7h20 de Mommenheim, donc prendre le bus de 6h53 à Ettendorf. Le soir, le dernier train me permettant de rentrer en bus ensuite est à 19h55. Souvent, il faut que je demande aux prof’ de partir plus tôt. Ils ne sont pas tous compréhensifs… Ils ne s’imaginent pas que je dois me lever à 5h45 pour aller à la fac… Le week-end quand je rentre, je suis épuisée. »

 

Louise Vosdoganis connait par cœur les horaires de train pour Strasbourg. Elle évite d’emprunter la voiture de sa mère, ou de sa grand-mère : « Je ne veux pas les embêter… » (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Une voiture, fatalement

Louise pourrait conduire depuis trois ans. Encore faut-il avoir l’argent pour acheter une voiture. Impossible pour l’étudiante. Quand ses stages dans l’enseignement commenceront, elle ne pourra plus s’en passer : « Sans voiture, travailler à l’Éducation nationale, c’est très compliqué. Souvent, on commence avec des quart-temps dans différents villages. C’est rare de pouvoir commencer à Strasbourg. Fatalement, je vais devoir acheter une voiture. »

En 2015, 70% des Bas-Rhinois prenaient leur voiture pour se rendre au travail. Seuls 13% des habitants du Bas-Rhin utilisaient les transports en commun pour aller travailler. Les travaux de l’agence strasbourgeoise montrent aussi la forte dépendance au véhicule personnel dans les plus petites communes. Au départ de l’Eurométropole de Strasbourg, la part de la voiture dans les déplacements est de 55%, contre 68% dans les villes moyennes et même 83% dans les plus petites communes du Bas-Rhin.

 

Le nombre de véhicules personnels a augmenté à peu près partout (carte Adeus)

L’impression d’être dépendant

« Le dimanche, il y a pas de transport en commun. » Le week-end, l’absence de voiture se fait sentir. Pour faire les courses, aller au cinéma ou à un anniversaire, elle a « besoin de ses parents ». Ou plus précisément, il lui faut emprunter l’un de leurs deux véhicules. « Souvent ça me bloque, souffle Louise, je suis toujours obligée d’embêter quelqu’un… »

Julie Fournier, 24 ans, en recherche de formation/d’emploi, habitante d’Eschau

Pour ses sorties, la dépendance à l’égard des amis commence à partir de minuit pour Julie, qui réside pourtant dans l’Eurométropole. Les transports en commun ne permettent pas de quitter Strasbourg après minuit. « Autour de moi, les gens ne comprennent pas que je n’aie pas de voiture », raconte l’habitante d’Eschau, à une quinzaine de kilomètres au sud de Strasbourg. Elle vient tout juste d’arrêter ses études dans le domaine de l’enseignement. Elle est la seule de sa famille à se déplacer à pied et en transports en commun uniquement. Son objectif : continuer ainsi. Elle explique : « J’aimerais bien ne pas avoir à prendre une voiture. Je n’aime pas conduire. »

Ce choix, teinté d’un engagement écologique et anti-GCO, fait plutôt figure d’exception alors que le nombre de véhicules est passé de 2 millions à près de 3 entre 1990 et 2012. Cette hausse de 46% en 22 ans est accompagnée d’une hausse de la population de seulement 5% pendant la même période. Ainsi, de 0,3 véhicule en moyenne par personne de plus de 18 ans en 1990, on est passé à près de 0,6 en 2012…

 

Julie Fournier vit à Eschau. Depuis plusieurs années, elle se rend à Strasbourg grâce au bus puis au tram. Un mode de vie plus écologique qui lui convient.

« Il ne faut pas être pressé »

Pendant six ans, Julie a pris le bus d’Eschau à Illkirch-Graffenstaden, puis le tram A pour se rendre à l’arrêt Observatoire. Elle a pris l’habitude d’être patiente : « Tu mets quand même une heure pour arriver, il ne faut pas être pressé… En plus, quand tu loupes un bus, c’est direct trente minutes d’attente. » Mais quand le boulot entre en jeu, tout se complique. En ce moment, Julie guette les annonces des agences d’intérim. « Quand je vois quelque chose à Vendenheim pour le lendemain, je sais que ça va être trop compliqué », souffle-t-elle. Cette difficulté se retrouve dans les statistiques de l’Adeus. En 2015, en partant de l’Eurométropole, 79% des trajets de plus de 10 kilomètres étaient réalisés en voiture, contre 18% seulement en transport en commun.

 

(Chiffres Adeus)

Quentin (le prénom a été modifié), Zellwiller, 22 ans, surveillant

Quand Quentin a perdu son permis, il a dû quitter Zellwiller pour emménager chez un ami à Barr, à une trentaine de kilomètres de Strasbourg, direction sud-ouest. C’était l’unique solution pour se rendre dans le collège où il travaille, à une quinzaine de kilomètres. « À Zellwiller, c’est vraiment impossible de vivre sans voiture », regrette-t-il. « Il faudrait un meilleur réseau de bus pour relier les villages alentours comme Stotzheim, Reichsfeld… » Le jeune homme continue donc de conduire pour voir ses amis ou sa famille : « La voiture, c’est la liberté. Sans, j’ai l’impression d’avoir quinze ans à nouveau. C’est vraiment gênant de demander à tes potes de te chercher et de te ramener. »

Le train : une économie

Quentin parvient à voir un côté positif de sa situation. En réduisant ses passages à la pompe et en prenant le train régional, il a économisé beaucoup d’argent : « Avant, je dépensais 180 euros par mois pour l’essence. Maintenant, je paye un abonnement à 35 euros par mois, dont la moitié est payée par mon employeur. En quatre mois, j’ai économisé près de 600 euros. » Dans quelques semaines, le surveillant en collège pourra récupérer son permis. Malgré les gains financiers liés au transport en commun, il reprendra le volant de son véhicule. « Je ne connais personne qui prend le train pour travailler. » Il rejoindra donc le bataillon de 83% des travailleurs qui se rendent à leur travail en voiture lorsqu’ils vivent en dehors des villes moyennes du Bas-Rhin.

Guillaume Krempp/Rue 89 (29/01/2019)

 

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Publié dans Environnement, Portrait

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J
J'aime bien aussi, parce que le monde marchant de plus sur la tête, mieux vaut en rire. S'adapter et en profiter est une solution, certes un peu égoïste, sans être dupe. C'est-à-dire garder ses valeurs, enseignées dans notre enfance : jeter le moins possible, acheter ce dont on a besoin, consommer le juste nécessaire, emprunter le moins possible, transmettre ces valeurs, Mais ce n'est plus le monde d'aujourd'hui et remettre le train sur les bons rails ne va pas être facile ! Alors continuons à gâcher à l'infini dans une terre finie !
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P
Exact mon cher J.Louis, mais je crois que l'on peut rire de tout avec presque tout le monde. Je suis juif ashkénaze à 3%, nous autres l'avons largement démontré en d'autres circonstances plus dramatiques.
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P
Pour Zoé et J.Louis. Mon analyste est assez introverti, peu enclin à la thérapie de groupe. Mais nous pourrions fonder une secte, J.Louis ferait un gourou tout à fait présentable. Les adorateurs de la Grenouille Rousse par exemple, pour coller avec l'actualité. Nous nous réunirions le vendredi soir, le samedi je suis pris. Habillés de tuniques en lin blanc ou coton polyester, au choix, couronnés de gui (le gui c'est bien, parole de druide), nous chanterions des mantras incompréhensibles pour inciter par télépathie les chasseurs, les cheminots de la CGT, les spéculateurs boursiers, les agriculteurs conventionnels, Mrs Bayer, Monsanto, V. Poutine, Xi Jinping et d'autres à des comportements plus vertueux. En trois semaines la planète est sauvée, plus besoin de blog, chacun rentre à la maison, on se consacre aux choses importantes, comme monter un meuble Ikea sans la notice. Si besoin est j'ai d'autre idées rigolotes à disposition. Bon dimanche.
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J
Encore un commentaire désopilant de notre ami Pierre que, décidément, aucun sujet –fut-il des plus sérieux- n’arrête ! Une manière très personnelle de dédramatiser toutes ces situations souvent graves et qui, a priori, ne prêtent pas vraiment à sourire ! Avec Pierre, pourtant, mieux vaut en rire et, au fil des publications et donc des commentaires, je m’aperçois que je ne suis pas le seul à apprécier ces pointes d’humour et d’ironie parfois sarcastiques ! Après tout, c’est sans doute toi qui a raison l’Ami et, comme le disait fort justement Pierre Desproges : « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde » !
Z
On a vraiment tout faux !<br /> Ce matin je discutais avec une amie très âgée qui ne peut plus conduire et habite un village où même aller faire ses courses devient un casse-tête pour elle et ne parlons pas de pouvoir aller au ciné ou au concert .
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P
Le cheval n'y a que ça de vrai. Bon le picotin et le crottin dans un F2 il faut un peu de bonne volonté et de courage. Moi dès demain j'investi dans une mule. encore que j'ai quelques appréhensions, j'ai été naguère mordu par un poney psychotique et j'en ai gardé de graves séquelles. Cela dit il est illusoire d'attendre un changement, nos habitudes automobiles sont trop bien ancrées. Nous n'en changerons que contraints et forcés. Fini aussi les petites gares dans nos riantes campagnes et les rares bus du conseil général seront réservés aux touristes chinois. Alors que ferez-vous de vos tas de tôles inutiles sans gazole. Pour ma part je vais chez mon psychanalyste avant la leçon d'équitation chez ma voisine. Mais vous voilà prévenus.
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Z
Suis partante aussi pour la thérapie de groupe! Merci pour ton humour! J'aime!
J
Magnifique ! Drôle et, finalement plein de bon sens ! Si ta psy a quelques disponibilités dans son agenda, je veux bien t'y accompagner : on pourrait essayer la thérapie de groupe !
D
intéressante réflexion, mais on n'arrête pas le progrès (même faux)
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J
Nous sommes bien loin du temps où, étudiants, nous pouvions trouver une 2CV pour 1000F…nous sommes bien loin du temps où le réseau ferroviaire desservait de très petites gares et où les bus sillonnaient les campagnes autrement que le matin et le soir. Que s’est-il passé? Pourquoi a-t-on surdéveloppé des villes qui deviennent insalubres dans tous les sens du terme ? Ne serait-on pas devenus complètement débiles (là c’est pour rester poli) !<br /> Alors oui je sais, certains vont me dire qu’il ne faut pas être passéiste …
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J
En dehors des grandes agglomérations, il n’est vraiment pas évident de se déplacer sans voiture ! Ceux qui, chaque jour doivent se rendre à leur travail en savent quelque chose… Les transports en commun sont rares et/ou peu accessibles et leur coût n’est vraiment pas incitatif ! De plus, dans les petits villages, la population vieillissante ne dispose bien souvent plus du moindre commerce de proximité ce qui, là encore, oblige à recourir aux déplacements en voiture… ou à la débrouille pour ceux qui n’en ont pas ! Si on veut vraiment lutter contre la pollution, il y a donc de nombreux problèmes sociétaux à régler urgemment en amont.
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