Pour aider à mieux cohabiter avec le blaireau, des passionnés s'investissent

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Discret et méconnu, le blaireau est chez lui dans toute l'Europe. En France, on le considère comme du gibier, sauf dans le Bas-Rhin, où il est interdit de le chasser. Et dans toute l'Alsace, des passionnés ont lancé dès 2003 un vaste programme de surveillance, pour mieux le protéger.

Blaireaux. Photos : Fabrice Cahez

Museau allongé rayé de noir, pattes courtes et pelage gris-beige, le blaireau se laisse rarement admirer car il sort principalement la nuit. Les meilleurs signes de sa présence sont les "gueules" de son terrier, des trous d'une bonne vingtaine de centimètres de diamètre, qui marquent les entrées de ses galeries.

Malgré son poids assez conséquent, une bonne quinzaine de kilos, et ses canines pointues, cet omnivore se nourrit surtout de vers de terres, de limaces et d'insectes, parfois de petits rongeurs, ainsi que de fruits tombés.

Presque aveugle, avec une mauvaise ouïe mais un odorat surdéveloppé, ce mustélidé a bien failli disparaître des campagnes et des montagnes alsaciennes il y a une trentaine d'années. "Il n'y en avait plus… à cause de la rage des renards" explique Christian Braun, ancien directeur de la LPO Alsace (Ligue pour la protection des oiseaux) et spécialiste du blaireau au sein du GEPMA (Groupe d'Etude et de Protection des Mammifères d'Alsace).

Une ancienne bouteille de gaz pour tuer les renards, pratique interdite depuis 1991. Photo : Thierry Sitter/France Télévisions

"A l'époque, dans les années 1970 à 1990, on gazait les terriers. Et quand les renards sortaient, on leur tirait dessus. Mais renards et blaireaux cohabitent, et les chasseurs ne vérifiaient pas quel animal se trouvait dans le terrier (…) Les blaireaux restaient donc à l'intérieur, et crevaient." 

Vestiges de ce gazage interdit dès 1991, d'antiques bombes en aluminium traînent encore ça et là. Au début des années 1990, la population des blaireaux bas-rhinois avait tellement diminué qu'il a été interdit de les chasser. Et en 2003, pour éviter que la chasse reprenne, des membres du GEPMA ont lancé un vaste programme de surveillance.

"Ça fait exactement vingt ans cette année, rappelle l'ancien directeur de la LPO. On voulait vérifier si le nombre de blaireaux augmente ou diminue, et savoir comment ils se portent (…) On a commencé comme ça. Pour rappeler que les blaireaux ne sont pas si nombreux, et que cette espèce reste fragile."

Un bénévole responsable de 200 terriers

Depuis, ils sont une centaine de bénévoles à arpenter toute l'Alsace pour surveiller les terriers repérés, environ 1 500. André Gruneisen est l'un de ces passionnés. Chaque printemps et chaque automne, avec son GPS, il ratisse son secteur, qui couvre une quinzaine de communes bas-rhinoises, pour contrôler 200 terriers, chacun identifié par un numéro.

Ce matin de novembre, il se promène du côté de Dangolsheim, où une trentaine de terriers sont répertoriés. Le numéro 67085/11 se trouve sur les hauteurs, un peu à l'écart du vignoble. Un petit monticule de terre, bien visible au milieu du pré, surmonte un grand trou. C'est le déblai, la matière sortie par la bestiole lors de ses travaux d'excavation. Un second trou se trouve quelques mètres plus loin.

André Gruneisen près du déblai d'une entrée de terrier. Photo : Thierry Sitter/France Télévisions

Calepin en main, André Gruneisen note ses observations, qu'il retranscrira sur son ordinateur. "Il y a des indications GPS à corriger, de nouveaux terriers à signaler, des terriers actifs, ou non actifs… C'est toute une gestion", reconnaît-il. Mais sa mission principale est de détecter si ce terrier est encore habité. 

Ici, pas d'hésitation. "Il n'est pas grand, mais il y a une grande activité." Parmi les indices, "l'importance du remblai (…) Le blaireau sort du terrier à reculons, et rejette la terre sur ce gros tas." Puis la petite sente bien piétinée, au milieu de l'herbe. Et surtout, des empreintes de griffes et de pattes dans la glaise molle. "Aujourd'hui, on a la chance de bien voir ses traces. Comme il a beaucoup plu, elles sont bien visibles" se réjouit l'observateur.

Autour de la "gueule" principale du terrier, de petites excavations de quelques centimètres. Des trous "que le blaireau fait pour chercher ses vers de terre." Une vingtaine de mètres plus loin, il s'est aménagé des latrines : un trou plus profond, où il dépose ses crottes. Car cet animal très propre fait ses besoins "au fond du jardin", jamais dans sa maison. Et crée par la même occasion un compost qui attirera à nouveau les vers de terre dont il raffole. Un vrai cercle vertueux.

Le blaireau rassemble aussi de l'herbe et des feuilles pour tapisser ses galeries, et se constituer un matelas. "Et régulièrement, il ressort le tout, pour en remettre du frais" afin d'éviter les parasites. D'après le bénévole du GEPMA, ce terrier de taille modeste abrite deux adultes. Et pourra accueillir des petits dès janvier ou février, période des naissances.

Le blaireau prépare du paillis et des feuilles pour tapisser son logis. Photo : Thierry Sitter/France Télévisions

Mais d'autres terriers sont beaucoup plus grands. "D'après mes observations, certains sont transmis de génération en génération, estime André Gruneisen. Ils peuvent avoir 30, 40 voire 50 ans, selon leur taille. Et s'étendre sur un demi-hectare." Ces grands terriers peuvent accueillir une bonne demi-douzaine d'adultes. Mais leur taille est surtout un indice d'ancienneté, pas du nombre d'occupants, car le blaireau est un terrassier, et continue inlassablement d'agrandir son logis. 

Des constructions qui dérangent

La bestiole est aussi très fidèle à son home sweet home. Si on l'en chasse, il y a de fortes chances qu'elle y revienne tôt ou tard, sauf si elle trouve mieux ailleurs. Ainsi, si un bosquet qui abritait un terrier a été arraché, et remplacé par du vignoble, le blaireau finira malgré tout par réinvestir son domicile souterrain, même quelques années plus tard. Ce qui peut poser certains problèmes de cohabitation avec l'humain.

Les passionnés du petit mustélidé ont donc compris qu'au-delà de leur travail de veille, ils devaient également jouer un rôle de médiateurs auprès des particuliers et des professionnels que ses terriers dérangent. Afin de trouver ensemble des solutions vivables pour tous, hommes et bêtes.

Ce travail est réalisé par le pôle médiation Faune sauvage de la LPO Alsace. "En 2022, nous avons répondu à 120 demandes en lien avec le blaireau détaille Cathy Zell, chargée de communication de la structure. Des particuliers, des agriculteurs, des viticulteurs, des communes…"

Si un terrier pose problème, la LPO se rend sur place pour chercher une solution. Photo : Thierry Sitter/France Télévisions

La plupart des soucis peuvent se régler par téléphone ou par mail, car souvent, une explication suffit. Sur certains terrains, les personnes acceptent de dédier un espace au blaireau, "qui va leur rendre service en mangeant des escargots et des rongeurs."  De même, des particuliers qui voient soudain, en période de sécheresse, leur belle pelouse bien arrosée piquetée de petits trous, comprennent généralement qu'il s'agit d'un blaireau affamé, obligé de s'approcher des maisons pour trouver ses vers de terre. Un désagrément transitoire, car à l'automne, il regagnera ses pénates à l'écart des humains.

Mais les terriers de blaireaux, et principalement ses "gueules", peuvent poser de vrais problèmes de sécurité. Et dans ce genre de situation, la LPO "vient sur place pour trouver une solution." Exemple chez un viticulteur de Traenheim, Philippe Rothgerber, déjà confronté à un gros trou de blaireau dans ses vignes, trois ans en arrière. "La LPO est venue, on a mis un répulsif, et j'ai eu la paix pendant trois ans, raconte-t-il. Mais là, le trou s'est agrandi, et ça devient dangereux." En effet, ce vignoble est planté sur un talus. Et si le tracteur bascule en passant sur le trou, c'est la chute assurée, plusieurs mètres en contrebas.

Cependant, le viticulteur n'a aucune intention de nuire à la bestiole. "On n'aime pas le blaireau sur son propre terrain. Mais s'il disparaissait, il nous manquerait" lance-t-il. Il sait aussi que la bestiole, très hospitalière, peut accueillir d'autres occupants dans son terrier : renards, belettes, martres, tous des régulateurs des populations de musaraignes et de souris qui, sinon, s'attaqueraient aux arbres fruitiers alentours. "Ça vit, là-dessous, ça cohabite. Tout n'est pas toujours un problème, mais des solutions, on en trouve toujours", sourit-il.

Pour trouver une solution pérenne, la LPO a besoin d'analyser la situation. "Chaque cas est unique, on n'a pas de recette toute faite, s'exclame Cathy Zell. Il faut vérifier où est le terrier principal, où est le terrier secondaire, voir comment c'est structuré, comment c'est habité, si le terrier est récent ou ancien. C'est l'ensemble de ces constats qui nous fera donner tel ou tel conseil."

Des solutions existent, et sont variées. Si la configuration du terrain le permet, des agriculteurs acceptent parfois de s'abstenir de cultiver à cet endroit. Il peut aussi être envisageable de placer des poutres de soutènement près des gueules, pour permettre à un tracteur de passer sans risque.

Si le seul moyen est d'inciter le blaireau à déménager – bien sûr hors période de reproduction ou de présence de petits – il existe un répulsif odorant (qui n'a pas fonctionné dans ce cas précis). Ou encore un système de clapet anti-retour. Puis, après son départ, il faudra de boucher entièrement les galeries. En revanche, il sera essentiel de s'assurer que le blaireau puisse s'installer ailleurs. Sinon, tôt ou tard, il reviendra. 

De la médiation avec les entreprises publiques

Ces dernières années, ce travail de médiation de la LPO Alsace se fait aussi avec des entreprises publiques, responsables de l'entretien des routes ou des voies ferrées. En effet le blaireau affectionne les talus pour y creuser ses galeries, ce qui, à terme, peut provoquer des affaissements.

"Jusqu'à récemment, la SNCF coulait du béton dans les trous, peu importe qu'il y ait des animaux à l'intérieur, ou pas, raconte Christian Braun. Mais deux ou trois ans plus tard, le problème recommençait. Donc on a tenté de trouver une autre solution plus intelligente."

Pour inviter une famille de blaireaux à changer de logis, et à cesser de créer ses galeries sous la voie ferrée, SNCF Réseau, à l'aide de la LPO, a construit des terriers artificiels, faits de gros tuyaux de béton et de caissons de bois. "On l'a fait à Houssen (Haut-Rhin) et à Sundhoffen (Haut-Rhin), détaille Christian Braun. Et après deux, trois ans, on voit que ça fonctionne. Les blaireaux ne creusent plus, mais ont investi le terrier qu'on leur a construit."

Un terrier de blaireau artificiel créé dans le Haut-Rhin. Photo : LPO Alsace

Pour la LPO, cette confiance accordée à son travail de médiation, ainsi que les résultats, sont très encourageants. Dans d'autres pays d'Europe, dont les Pays-Bas, des expériences de ce genre sont déjà plus anciennes. "Ailleurs en France, on ne fait encore rien, déplore Christian Braun. Mais désormais, des gens du Sud, de Bretagne ou d'ailleurs, viennent chez nous pour voir ce qu'on fait, et de quelle manière." Récemment, la LPO Alsace a ainsi accueilli des stagiaires venus de toute la France, piocher des trucs et astuces auprès des Alsaciens.

"On constate vraiment un changement de mentalité, se réjouit Cathy Zell. L'idée que lorsqu'un animal dérange, on le tue, est "has been". La biodiversité devient une question primordiale, on ne peut pas continuer à grignoter sur les espaces naturels." Car plus l'être humain étend son territoire, plus il sera obligé de cohabiter avec cette faune sauvage.

En 2011, le GEPMA avait estimé le nombre de blaireaux alsaciens à environ 12 000 individus. De nouvelles statistiques sont actuellement en cours, grâce à la surveillance des terriers, afin d'obtenir des chiffres réactualisés, et plus précis. 

Sabine Pfeiffer/France3 Grand Est

 

 

 

 

 

 

Si vous avez apprécié cette publication,

partagez-là avec vos amis et connaissances !

Si vous souhaitez être informé dès la parution d’un nouvel article,

Abonnez-vous !

C’est simple et, naturellement, gratuit !

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
Z
Article super intéressant . merci à tous ceux qui s'investissent dans la protection des blaireaux . Et que disparaisse l'ignoble vènerie sous terre! <br /> Bonne fin de dimanche Jean-Louis
Répondre
M
Un article intéressant sur ce sympathique plantigrade. J'ajouterais pour y avoir eut recours que la LPO est très efficace pour régler les problèmes de cohabitation qui se posent parfois. Il ni a strictement aucune raison objective pour que cet animal reste chassable, surtout pas par l'ignoble méthode du déterrage sauf pour satisfaire quelques massacreurs évidement ...
Répondre
B
Un article super intéressant sur les blaireaux...<br /> Heureusement qu'il y a des passionnés pour les défendre...<br /> Bon dimanche Jean-Louis
Répondre