Réparer les écosystèmes ? La droite européenne dit nonr

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Le projet européen sur la conservation de la nature vise à restaurer, d’ici à 2030, 1/5e des écosystèmes endommagés. Une chance pour l’agriculture. Mais les eurodéputés Renaissance, de droite et d’extrême droite, freinent.

Une partie du Rhône restaurée. Le projet européen de règlement sur la restauration de la nature propose des mesures de rétablissement des écosystèmes. Photo : David Richard/Reporterre

C’est un plan ambitieux, qui, en restaurant les écosystèmes, bénéficierait aux agriculteurs et renforcerait la souveraineté alimentaire de l’Europe. Jeudi 1ᵉʳ juin, des associations de défense de lenvironnement ont livré à la presse un vibrant plaidoyer en faveur du projet européen de règlement sur la restauration de la nature de la Commission européenne. Il propose des mesures de rétablissement des écosystèmes dans 20 % des territoires terrestres et marins de l’Union d’ici 2030 et 100 % d’ici 2050.

Parmi les objectifs, la fin du déclin des pollinisateurs d’ici 2030 puis l’accroissement de leurs populations, l’augmentation de 5 % des espaces verts urbains d’ici 2050, la restauration et la remise en eau des tourbières. Les territoires agricoles ne seraient pas en reste puisque la Commission européenne vise à y rétablir la biodiversité –oiseaux et papillons des prairies notamment– et à y accroître le stockage de carbone. Une manière de stopper l’hécatombe en cours alors qu’« en Europe, les populations d’oiseaux des champs ont baissé de 56,8 % entre 1980 et 2016 et que 80 % des habitats sont dans un état de conservation insuffisant ou médiocre », a rappelé Pierre Cannet, directeur de plaidoyer au WWF France. 100 milliards d’euros pourraient être mis sur la table pour le financer.

Les députés affiliés à Renaissance ont voté contre

Si toutefois le règlement parvient à être adopté. Le 31 mai, les membres du PPE —le Parti populaire européen, première force politique au Parlement européen— ont claqué la porte de la dernière session de négociations entre les rapporteurs de la commission Environnement. La loi « conduira à une diminution de la production alimentaire en Europe, à la hausse des prix des denrées alimentaires, risque de compromettre encore plus la sécurité alimentaire en Afrique et bloquera des projets d’infrastructures cruciaux pour notre transition climatique », a estimé le président du groupe Manfred Weber. La semaine précédente, les eurodéputés conservateurs (PPE), ultraconservateurs (CRE) et d’extrême droite (ID) ainsi que la quasi-totalité des élus Renew (où siègent les membres du parti présidentiel français Renaissance) des commissions Agriculture et Pêche du Parlement européen avaient voté contre la proposition.

« Le contexte de guerre en Ukraine a été largement utilisé par les lobbies agro-industriels comme prétexte pour ne pas avancer, alors même que la crise écologique menace directement la viabilité de nos exploitations agricoles », a dénoncé Cécile Claveirole, secrétaire nationale de France Nature Environnement (FNE) et pilote du réseau agriculture. Selon elle, le conflit, en provoquant une forte instabilité sur les marchés agricoles, l’envolée des prix des engrais, du cours du blé et du coût de l’énergie, a au contraire révélé et accentué « les déséquilibres d’un modèle agricole productiviste largement dépendant d’intrants étrangers et tourné vers l’export ».

Un champ de la région d’Ivano-Frankivsk, en Ukraine. « La guerre en Ukraine a été largement utilisée par les lobbies agro-industriels comme prétexte pour ne pas avancer. » CCBY-SA 4.0/Vian/Wikimedia Commons

Pierre Cannet, lui, a dénoncé « des petits calculs politicards de la droite et de l’extrême droite qui se positionnent, à un an des élections européennes, de manière très stéréotypée en défense de certains pêcheurs et agriculteurs » intensifs.

Réduction de la productivité agricole

Pour les associations, un tel renoncement serait un désastre. Car ces mesures de restauration profiteraient aux agriculteurs, assurent-elles. « La production d’aliments est en effet extrêmement vulnérable au changement climatique en cours ainsi qu’à la perte de la biodiversité, a observé Cécile Claveirole. Elle estime que le projet « permet de contribuer à la souveraineté alimentaire en Europe, car restaurer nos écosystèmes agricoles va permettre de les rendre plus résilients et plus productifs. La biodiversité remplit des fonctions écologiques vitales et irremplaçables : santé des sols, stockage de l’eau et du carbone, pollinisation des plantes… » Avant de rappeler que selon la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), la perte de qualité des terres a entraîné une réduction de la productivité agricole de 23 % sur la surface terrestre.

Ce n’est pas Nicolas Verzotti, maraîcher à Le Thor (Vaucluse) et administrateur du réseau des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam), qui dirait le contraire. Pour sa ferme, il a opté pour l’agroforesterie. « Je suis installé en Provence, où le mistral souffle plus de cent jours par an, où le changement climatique s’intensifie avec des sécheresses hivernales et des périodes de canicule. Mes salades, mes poireaux, mes carottes poussent sous les arbres, à l’abri d’un climat trop sévère », décrit-il. Ce système attire aussi toute une faune qui l’aide à se débarrasser des espèces nuisibles pour ses cultures. Une étude menée par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) sur son exploitation a ainsi mis en évidence « un taux de prédation des bio-agresseurs plus de 40 % supérieur à celui d’un système conventionnel ». En clair, il y a plus d’oiseaux et autres animaux qui mangent ceux qu’on nomme les « ravageurs » des cultures.

Un vignoble en agroforesterie dans le Gard. « Restaurer nos écosystèmes agricoles va permettre de les rendre plus résilients et plus productifs. » Photo : David Richard/Reporterre

Frédéric Signoret, éleveur de vaches maraîchines allaitantes sur les 170 hectares du Gaec La Barge à Notre-Dame-des-Monts, en baie de Bourgneuf (Vendée), a lui aussi invité la nature sur sa ferme. « On a commencé par condamner tous les drains, ce qui entraîne l’inondation de 30 % des prairies jusqu’au 1ᵉʳ mai », a raconté l’agriculteur, également fondateur de l’association Paysans de nature. Cette renaturation a favorisé l’installation de 32 à 34 couples de barges à queue noire, une espèce d’oiseau menacée qui ne compte que 130 couples en France. Elle a aussi accru le stockage du carbone dans les prairies sous eau. Pour l’alimentation de ses animaux, l’éleveur s’appuie sur la végétation spontanée –prairies, mais aussi arbustes, roseaux et carex. « Cela nous permet de passer les sécheresses sans difficulté tout en diminuant la mécanisation de notre ferme », se réjouit-il.

Ces transformations ont rendu son exploitation plus prospère. « Quand j’ai repris la ferme, c’était un élevage conventionnel de charolais nourris à l’ensilage de maïs et d’herbe, avec un peu de céréales. En la convertissant en un modèle extensif basé exclusivement sur une race ancienne et des végétations naturelles, en faisant de la vente directe, on a multiplié ses revenus par deux ou trois », s’est félicité l’éleveur, évoquant des revenus compris entre 25 000 euros et 45 000 euros par personne et par an pour son associée, ses deux salariés et lui-même.

Pour que ce type de fermes se généralise, les associations appellent de leurs vœux une « opération sauvetage » de la proposition lors du vote en commission Environnement du Parlement européen, prévu le 15 juin, et surtout en plénière, entre le 10 et le 13 juillet. « Il va vraiment falloir un contrepoids formé par les représentants du centre, de Renaissance, des Verts et de la gauche pour contrecarrer ce travail de torpillage de la droite et de l’extrême droite », a insisté Pierre Cannet. Pour l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs, comme de tous les Européens.

Émilie Massemin

 

 

 

 

 

 

Si vous avez apprécié cette publication,

partagez-là avec vos amis et connaissances !

Si vous souhaitez être informé dès la parution d’un nouvel article,

Abonnez-vous !

C’est simple et, naturellement, gratuit !

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
Désolant...
Répondre
Z
Cette attitude au service du profit immédiat est criminelle.
Répondre
J
Dans quelques dizaines d’années, qui se comptent sur les doigts d’une main, la planète sera devenue invivable. Il n’y aura plus de question à se poser sur la productivité de nos régions, dévastées par la sécheresse… qui sévit déjà. Restaurer ce qui est possible dans la nature et dans les villes ne peut être que positif pour retenir autant que possible l’eau. <br /> Nos dirigeants ne voient que le profit à court terme et apparemment sans prendre la mesure de la catastrophe qui s’annonce à moins qu’ils ne misent sur une extinction massive, espérant en leur richesse sonnante et trébuchante et leurs soutiens et soutenus richissimes pour s’en tirer et espérer repartir sur d’autres bases sans surpopulation. Ne prenant aucune mesure concrète alors que leur position de représentants des populations les placent en position de connaître avec précision les dangers à court terme du réchauffement climatique, les politiques deviennent extrêmement dangereux non seulement pour la nature mais aussi pour nous. <br /> J’ajouterai sans complexe qu’ils ont pour complices les médias qui passent leur temps à minimiser tous ces dangers planétaires comme par exemple certains présentateurs météo vantant la belle journée qui s’annonce avec 30 ° début juin.
Répondre
M
La droite a toujours été et est toujours rétrograde dans tous les domaines et elle a une peur bleue du changement quel qu'il soit. Elle fonctionne encore et toujours sur les schémas des années 50. En France elle est au service de la FNSEA et des lobbies industriels, pour elle seul compte le profit à court terme, même s'il engendre une catastrophes pour les générations futures. Il en va de même pour renaissance parti de droite qui n'ose pas dire son nom, mais qui a exactement les mêmes idées et dont la plupart des membres ont l'ouverture d'esprit d'une borne kilométrique ...
Répondre