La serre de Lille ferme ses portes : c’est le bouquet !

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Combien d'enfants ont découvert le monde végétal, combien d'amoureux ont conté fleurette, combien de petits vieux ont cherché la paix dans la serre historique de Lille ? Martine Aubry a décidé qu'il fallait en finir. La colère monte chez les amis des plantes.

Il y a quelques jours encore, l’Office du tourisme de Lille recommandait chaudement la visite de la serre équatoriale plantée dans l’admirable Jardin des Plantes. Le bâtiment mérite effectivement l’escale. Dessiné par l’architecte local Jean-Pierre Secq, il se singularise par son caractère dit « brutaliste ». En clair, pas d’ornements jugés inutiles, l’aspect « brut » du béton, des formes géométriques et anguleuses et surtout l’idée d’évoquer la forme d’une fleur avec une surélévation à huit mètres du sol.

En 1970, toute la ville s’enthousiasme lors de l’inauguration de la serre qui abrite quelques deux cents espèces de plantes provenant des sept continents. Les palmiers côtoient les bananiers, tandis que les caféiers, poivriers, frangipaniers, bambous ou gingembres distillent leur exotisme en compagnie des fougères arborescentes, des cactus, des orchidées ou des plantes carnivores. Rien de véritablement exceptionnel dans cette collection, mais la volonté d’offrir un espace qui invite au voyage, à la découverte, au dépaysement et à l’exotisme. « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté »  aurait dit Charles Baudelaire.

Contrairement à des serres comme celle du Jardin des Plantes à Paris ou du Jardin du Conservatoire botanique à Brest, pas question d’accumuler à Lille les plus rares des végétaux, la serre n’a pas vocation à devenir un conservatoire d’exception. D’une certaine manière, elle reflète l’histoire de la ville. « La région a hérité d’une forte culture liée à la production de textiles et les bateaux transportant ces produits ramenaient également des plantes provenant des nombreux échanges avec les pays étrangers » résume Christophe Gadenne, responsable des collections végétales. Pour faire face à la richesse des échanges, plusieurs serres s’épanouissent dans la ville avant d’être regroupées au lendemain de la guerre sous la bienveillante attention de six horticulteurs. Les 1 200 m2 de jungle exotique vont faire le bonheur des Lillois et des touristes durant près de sept décennies jusqu’à ce que la question climatique sonne le glas de cette aimable cathédrale verte. Pour satisfaire le besoin des plantes, il ne faut pas que la température descende en dessous de 15 degrés, tandis que le taux d’humidité doit rester compris entre 60 et 80 %. Ces contraintes imposent nécessairement une énergie non négligeable. C’est là que la belle entreprise commence à se faner.

Après avoir imposé l’extinction nocturne des bâtiments publics ou la mise à sec des fontaines, les services techniques de la ville en viennent à s’intéresser à l’antique serre qu’il va falloir chauffer une nouvelle fois durant l’hiver prochain. « C’est l’un des bâtiments les plus énergivores de notre ville, parce qu’il est en mauvais état mais pas seulement », prévient Anaïs Linkenheld, première adjointe à la ville de Lille, chargée de la Transition écologique et du Développement soutenable. À lui seul le bâtiment représenterait 1,14 % de la consommation d’énergie de la ville rappelle France Info. C’en est trop pour Martine Aubry qui convoque la presse pour en finir avec la serre. « Elle est en très mauvais état. Nous allons la rénover car nous tenons à ce bâtiment, mais pas pour en faire une serre tropicale, ce serait une aberration en pleine crise énergétique. » D’un trait de plume, l’immersion gratuite dans l’exotisme végétal appartient au passé.

De nombreux Lillois n’ont guère apprécié. À leur tête, Pierre Semal, architecte de profession et président des Amis du Jardin des Plantes de Lille. Naturellement, il a tenté d’en savoir plus. « Malheureusement, pour l’instant, la mairie reste totalement sourde à nos demandes de rencontre et tente par tous les moyens de justifier un « déménagement » des plantes précipité » se plaint-il. Effectivement, côté mairie, non seulement le principe de la serre est à oublier, mais les plantes seront dispersées au gré des opportunités. Certains arbres pourraient rejoindre d’autres services techniques, tandis que d’autres seraient offerts aux Lillois prêts à les recueillir. « La lutte est difficile et inégale » admet Pierre Semal qui ne désespère pourtant pas. « Ce qui nous encourage, c’est de voir à quel point les habitants chérissent ce lieu. » Pour preuve, la pétition lancée par l’association a réuni plus de 7 300 signataires. D’autres structures ont constitué un collectif. L’association Renaissance du Lille ancien, la Société botanique de France ainsi que la Société nationale d’horticulture de France, l’Association des professeurs de biologie et de géologie et d’autres responsables d’organisations ont officiellement demandé à la ville de renoncer à « cette fermeture irréversible et précipitée » et de lancer un projet de rénovation ambitieux et innovant permettant d’adapter la serre aux contraintes de sobriété du XXIe siècle.

Parlant de la forêt de Fontainebleau, également menacée au milieu du XIXe siècle, George Sand estimait qu’elle devait « être assimilée aux monuments nationaux et historiques ». Cette injonction fait miroir à la serre de Lille. Si le bâtiment accueillait des tableaux remarquables qui imposaient une température et une hygrométrie constante pour leur conservation, les aurait-on traités avec un tel mépris? Effacés, plus dactualité, rangés aux oubliettes ou distribués au bon cœur des habitants? Laffaire témoigne une nouvelle fois que la question climatique lemporte sans retenue sur lavenir de la biodiversité…

Allain Bougrain-Dubourg

 

 

 

 

 

 

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Z
C'est triste! Il y avait sûrement d'autres solutions mais sans doute aurait-il fallu les anticiper! .
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C
C'est un peu aberrant de n'avoir pas trouvé de budget pour ce lieu pourtant si mithique ! Je suis persuadée qu'avec une véritable envie de sauver ce lieu on aurait trouvé les fonds pour rendre cette serre moins énergivore...
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B
Oui c'est le bouquet...<br /> Une aberration<br /> Cela ne va plaire à mon fils qui habite en métropole lilloise
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J
Je ne connais pas le lieu ni son histoire. La municipalité fait un choix économique en fermant un endroit particulièrement énergivore . Cela ne me semble pas choquant.
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C
Et voila encore une aberration due aux manques de projection et de réflexion des décideurs politiques et de ceux qui les conseillent. Si cette serre avait fait l'objet de rénovations réfléchies depuis sa construction nous n'en serions peut-être pas là ! Mais les économies d'énergie et le climat n'étaient pas une priorité et d'un seul coup le deviennent alors on prend des mesures radicales sans prendre en compte les autres variables et qui seront sans doute regrettées dans 10 ans.
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D
c'est bien dommage, un lieu à préserver que j'avais visité plusieurs fois
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