François Steimer, infatigable défenseur de la nature

Publié le par Jean-Louis Schmitt

C’est un ami cher pour qui j’ai une grande admiration et aussi une grande tendresse : l’hommage que lui a rendu le journal ‘’L’Alsace’’ est magnifique et, ô combien, mérité ! Aussi, c’est avec un plaisir non dissimulé que je le partage aujourd’hui avec vous : puissions-nous, ensemble, continuer quelques temps encore, notre croisade pour la nature, cher François…

Le naturaliste François Steimer, photographié dans la réserve biologique naturelle intégrale du Rossmoerder : « On est un peu comme dans un TGV, qui ne s’arrête pas d’une seconde à l’autre ! Pour freiner tout ça, repartir, regagner du terrain, ça va être long, alors qu’il y a urgence… ». Photo : L’Alsace/Jean-Marc Loos (Cliquez pour agrandir)

Le naturaliste François Steimer, photographié dans la réserve biologique naturelle intégrale du Rossmoerder : « On est un peu comme dans un TGV, qui ne s’arrête pas d’une seconde à l’autre ! Pour freiner tout ça, repartir, regagner du terrain, ça va être long, alors qu’il y a urgence… ». Photo : L’Alsace/Jean-Marc Loos (Cliquez pour agrandir)

L’alsacien François Steimer a consacré toute sa vie à protéger la nature, dans son travail et dans ses nombreux engagements associatifs. Même s’il baigne dans ces problématiques depuis toujours, il dit avoir « été surpris » par la rapidité de la dégradation environnementale…

François Steimer ne sait pas bien d’où lui vient cet attachement viscéral à la nature. « C’était… naturel », confie ce retraité de 67 ans qui, petit, se voyait garde forestier. Un héritage peut-être de son père, gardien à la prison Sainte-Marguerite, à Strasbourg, qui l’emmenait souvent en promenade. Installé aujourd’hui à Offendorf, l’homme a grandi à Russ, dans la vallée de la Bruche, avant que la famille ne s’installe dans la capitale alsacienne. Il entame des études de sciences économie, tombe gravement malade à la veille de ses examens de 2e année. Bloqué pendant plusieurs mois, il sort de l’expérience « un peu perdu ». « Sauf que je me suis intéressé à ce qui m’a finalement sauvé : la nature, l’environnement », ajoute-t-il.

Il habite près du Jardin botanique et du Musée zoologique, où il passe beaucoup de temps. C’est là, au printemps 1967, que se déroule la scène fondatrice : « Je révisais mes examens quand mon attention a été attirée par la dépouille d’un oiseau porteur d’une bague » Le jeune François a 14 ans, cherche à savoir et rencontre un bagueur du jardin de l’Observatoire. C’est ainsi que débute son initiation au monde des oiseaux et au baguage. « En 1971, je suis devenu bagueur en titre. Je le suis encore aujourd’hui et j’assume, avec de fidèles collaborateurs, le suivi d’une population d’oiseaux au bord du Rhin et au Champ du Feu. »

Georges Marchais puis Jacques Chirac

Après quelques petits boulots, un diplôme sur les pollutions et les nuisances, et un engagement dans le milieu associatif de la protection de la nature, il est contacté par Alice Mosnier, de Muttersholtz, qui avait créé avec des amis la maison de la nature du Ried. On est en 1976. « Elle m’a demandé si j’aimerais être animateur dans cette maison. Je n’ai évidemment pas hésité ! »

Il y est resté quatre ans. « Il fallait tout inventer. À l’époque, on ne parlait pas autant de la nature qu’aujourd’hui. » François Steimer évoque encore « des rencontres incroyables » qui l’ont forgé. En tout premier lieu avec le Dr Schmidt, un ardent défenseur des rieds. « Il est ma référence, celui qui a marqué ma vie jusqu’à aujourd’hui. On essaie de valoriser son travail, ses photographies, ses films. » Il lui a aussi consacré un livre.

Et puis il y a aussi des moments un peu extraordinaires, même s’ils relèvent de l’anecdote. « Un jour, pendant une campagne des législatives, on m’appelle en me disant que Georges Marchais est en Alsace et en me demandant si on accepterait de le recevoir à la maison de la nature. J’ai cru à une blague ! Alice Mosnier n’était pas franchement communiste, mais elle a accepté. Et il est venu ! Je vois encore arriver les deux CX noires..  » Et, quinze jours après, Alice Mosnier lui annonçait la venue de… Jacques Chirac !

Le Courlis cendré, un oiseau devenu le symbole non seulement d’un milieu en grand danger –le Ried alsacien- mais aussi d’une lutte acharnée pour la survie de l’un et, forcément, de l’autre pour François Steimer. Photo : Alexandre Gonçalves (Cliquez pour agrandir)

Le Courlis cendré, un oiseau devenu le symbole non seulement d’un milieu en grand danger –le Ried alsacien- mais aussi d’une lutte acharnée pour la survie de l’un et, forcément, de l’autre pour François Steimer. Photo : Alexandre Gonçalves (Cliquez pour agrandir)

Une compensation pour ne plus couper les forêts

Au bout de quatre ans, François Steimer a des envies de changement. « J’étais dans la sensibilisation, je voulais m’intéresser à la protection de la nature, aller plus loin. Je voyais que la nature disparaissait. » C’est ainsi qu’il arrive à la délégation régionale à l’architecture et à l’environnement (aujourd’hui la Dreal). En 1984, il devient attaché départemental pour la protection de la nature au conseil général du Bas-Rhin. « Le problème, c’est qu’il n’y avait pas de service environnement... Au début, j’étais donc seul, puis on a créé un petit service qui existe toujours. » Il restera là jusqu’à sa retraite, en 2015.

« On travaillait avec et pour les élus. Il y avait des moyens, on a pu avancer », se souvient-il. François Steimer se rappelle notamment d’une belle victoire à la fin des années 1980 : la création d’une indemnité pour les communes qui accepteraient de ne plus exploiter leurs forêts, une compensation pour leur perte de revenus fonciers. « C’était unique ou presque en France ! »

« Quand on disait aux maires qu’il fallait protéger les forêts, ils nous répondaient : c’est bien, mais il faut payer… » Il se souvient du service des finances du département qui s’étrangle à l’idée de payer pour ne pas couper des arbres… François Steimer est « désespéré », n’y croit plus. Il téléphone à Philippe Richert, alors conseiller général : « On avait des atomes crochus en termes d’intérêt pour la nature. Pardon de ce détail, mais je pleurais au téléphone. Il m’a dit qu’il s’en occuperait » Et les élus ont voté l’indemnité. « Ça, je ne l’oublierai jamais ! Ça a débloqué les dossiers. Si cela n’avait pas été fait, on n’aurait pas de réserves naturelles aujourd’hui. »

Aux côtés de Bruno Manser

Durant toute sa vie, l’Alsacien a milité pour de multiples associations. La LPO (Ligue pour la protection des oiseaux), dont il est un des fondateurs de l’antenne régionale, mais aussi Alsace Nature, la Société nationale pour la protection de la nature, Nature Ried, etc. Il constate la disparition des espèces, ne s’attendant pas à ce que la dégradation aille aussi vite. « On estimait la population de courlis en Alsace à 250 couples en 1976 ; aujourd’hui, on est à sept ! C’est la fin, quoi... On sait ce qu’on pourrait faire pour améliorer la situation, mais ça fait mal. »

François Steimer a encore fait partie de l’équipe qui a réintroduit le lynx en Alsace. Il a aussi suivi les dossiers de réintroduction du castor dans le nord du Bas-Rhin ou de la cistude, une tortue d’eau douce, près de Lauterbourg. « C’est gratifiant, psychologiquement, de faire revenir des espèces qu’on a fait disparaître. »

Parmi les rencontres qui ont nourri François Steimer, il y a eu aussi Bruno Manser, un activiste écologique qui est allé vivre dans la tribu Penan à Bornéo, avant de lutter avec ce peuple contre la déforestation (bientôt sortira un film suisse de Niklaus Hilber qui lui est consacré). Il découvre Manser avec sa femme en regardant l’émission de télévision « 52 sur la Une ». Quand le militant revient en Suisse pour créer sa fondation, le couple le contacte et le rencontre à Bâle : « Ça a fait tilt » Les Alsaciens le secondent pendant cinq ans jusqu’à sa mystérieuse disparition, en 2000. « Pour moi, il n’est pas mort. Il vit dans nos têtes, dans nos cœurs, et son combat continu. »

François Steimer enchaîne sur la crise sanitaire du Covid : « Je ne suis pas un spécialiste des virus mais, ce qui me surprend, c’est qu’on ne parle plus beaucoup de l’origine animale de cette maladie. C’est un problème d’environnement. La déforestation intense engendre une promiscuité soudaine entre l’animal et l’homme. Du coup, les virus passent plus facilement de l’un à l’autre. Quand il y a eu cette crise sanitaire, je me suis dit : maintenant les gens vont comprendre qu’il ne faut pas détruire les forets... Et ben non ! Je ne comprends pas. Pourtant, on n’a plus une minute à perdre » Il cite son ami Bruno Manser : « Ceux qui disent qu’ils ont compris et ne font rien n’ont, en fait, rien compris ! » Et conclut : « Je suis catastrophé, mais j’espère. La vie, c’est ça : espérer »

Annick Woehl/L’Alsace (09.11.2020)

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François et Gill Steimer lors d'une manifestation devant le Parlement Européen de Strasbourg pour une PAC plus respectueuse de la Nature. (DR) Cliquez pour agrandir)

François et Gill Steimer lors d'une manifestation devant le Parlement Européen de Strasbourg pour une PAC plus respectueuse de la Nature. (DR) Cliquez pour agrandir)

Côté cœur

Le personnage qui, pour vous, François Steimer,  représente le mieux l’Alsace :

- « Le Dr Albert Schweitzer, précurseur de l’action humanitaire, du pacifisme, de l’écologie… Il a toujours placé l’homme devant ses responsabilités, non seulement envers lui-même mais aussi envers toutes les autres formes de vie. »

Ce qui symbolise le mieux l’Alsace :

- « La diversité de ses milieux naturels, des Hautes Vosges jusqu’au Rhin, mais dont les surfaces se réduisent malheureusement chaque année davantage, avec comme conséquence la disparition progressive de tout un cortège d’animaux et de plantes. »

Votre lieu préféré en Alsace :

- « La forêt du Rhin par son aspect sauvage… C’est un peu notre jungle à nous »

Ce qu’il faudrait changer en Alsace :

- « Il faudrait l’épargner de trop d’aménagements en tous genres et à tout prix ! Ménager la nature partout, pour essayer d’enrayer l’effondrement de la biodiversité »

‘’J’affectionne tout particulièrement les chantiers Nature comme ceux organisés régulièrement avec des communes et les ouvriers communaux comme ici à Roeschwoog et dans le village voisin de Beinheim .Ces saules têtards ,vieilles sentinelles de la Nature ont besoin de temps en temps d’être étêtés .Une partie de leurs branches servira de garde-manger pour les castors réintroduits dans la Moder toute proche.’’ François Steimer. Photo : Sébastien Basch (Cliquez pour agrandir)

‘’J’affectionne tout particulièrement les chantiers Nature comme ceux organisés régulièrement avec des communes et les ouvriers communaux comme ici à Roeschwoog et dans le village voisin de Beinheim .Ces saules têtards ,vieilles sentinelles de la Nature ont besoin de temps en temps d’être étêtés .Une partie de leurs branches servira de garde-manger pour les castors réintroduits dans la Moder toute proche.’’ François Steimer. Photo : Sébastien Basch (Cliquez pour agrandir)

Continuons à « regarder profondément la Nature pour tout mieux comprendre » Albert Einstein.

 

 

 

 

 

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S
quelle merveilleuse histoire !! Il faudrait tellement plus de " François Steimer " dans ce monde égoïste, sourd et aveugle. Mais il a raison, continuons d'espérer et MERCI !!
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B
De belles personnes. Merci de nous les avoir si bien présentées Jean-Louis
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F
Bonsoir à tous et en particulier à celles et à ceux que j'ai pu rencontrer à l'un ou l'autre moment de ma vie.<br /> Ma femme et moi vous remercions pour vos très gentils commentaires qui nous vont droit au cœur.<br /> Continuons tous ensemble à espérer et à nous engager pour que demain le monde soit meilleur...<br /> Prenez bien soin de vous<br /> Amicalement<br /> François et Gill
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Z
Je te remercie de me faire connaître ce grand Monsieur ainsi que sa femme: des belles personnes qui permettent de croire encore en l'humain .
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F
Témoignage passionnant qui me permet de découvrir ce grand homme (rien à voir avec les personnages de l'histoire que l'on baptise "grands hommes"). Seuls ceux qui consacrent leur vie à des causes aussi nobles et ceux qui les accompagnent avec les mêmes objectifs méritent de tels hommages ! Merci Jean-Louis de nous faire connaître ce grand homme entouré de personnes qui lui ressemblent tant et ce n'est pas un hasard.
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C
C'est un superbe article sur ton ami et vous avez bien des points communs vos deux couples! Est-ce que le professeur dont il parle est parent avec toi? Bises et belle journée à vous tous!
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D
Tu nous as souvent parlé de ce couple extraordinaire et là on a une vision complète de leurs actions, de leur engagement ; puissions-nous tous devenir leurs semblables ...!!?? Le ried est à nouveau évoqué ici; il y a peu un reportage télé qui a survolé l'Alsace au propre comme au figuré, l'a montré avec quelques explications...trop rapidement !
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F
Merci pour le blog d'aujourd'hui et ta très gentille présentation, ton amitié et ton engagement sans faille pour la Nature... Il y a eu beaucoup de retombées positives suite à cet article et j'espère que la Nature en profitera.
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H
sympa ce monsieur ! une vie remplie comme il le faut.... des projets réalisés, une vie sociale excellente... tu nous donnes chaud au coeur !<br /> merci pour cette publication et j'ai fait le relais en Île-de-France.
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M
Très intéressant et convainquant !<br /> Merci pour cette diffusion.
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E
J'ai eu la chance d'aller baguer des oiseaux avec François Steimer à la fin des années 70 et de l'avoir comme intervenant en classe verte à Lalaye. Souvenirs inoubliables !
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J
Très belle publication et bel hommage à un authentique protecteur de la nature : Jacky a mille fois raison : "A côté de chaque grand homme se trouve une grande femme" ! Alors bravo à François sans oublier Gill !<br /> Amitiés à tous !
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M
Très beau portrait d'un homme de valeur.
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S
Merci
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J
C'est un grand plaisir de lire cet article. Je découvre plus en détail l'activité de Francois. N'oublions pas de rendre hommage à son épouse. A côté de chaque grand homme, se trouve une grande femme. Félicitations pour vos engagements. J'ai une pensée émue pour ces 7 magnifiques courlis alsaciens qui nous restent.
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M
Sacré François que j'ai eu la chance de côtoyer lors de soirées de projections de films naturalistes ou de chantiers de travail<br /> François et son éternelle salopette verte !<br /> Je garde en mémoire la projection du film du docteur Schmidt "Un certain regard" à Wasselonne <br /> François avait fait le commentaire en direct avec comme toujours beaucoup de passion<br /> Un grand moment naturaliste !
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C
Très beau portrait d'un homme qui consacre beaucoup d'énergie à la protection de la nature ! Quelle chance vous avez de l'avoir comme ami !<br /> Merci pour le partage...<br /> Bon dimanche à vous Jean-louis et à tous ceux qui passent ici !
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