« Faites attention ! »

Publié le par Jean-Louis Schmitt

C’était un matin de juillet ! Un matin comme je les aime : calme et lumineux… Un matin où tous les espoirs sont permis ! Accompagné par le chant du loriot -ce bougre qui semble narguer le promeneur avec son ramage mélodieux sans pour autant dévoiler le moins du monde ses couleurs jaune et noire - je marchais depuis l’aube magnifique comme elle l’est souvent pour celui qui sait l’apprécier et l’attendre…

C’était un matin où l’on attend tout… et rien en particulier ! L’envol soudain d’une alouette dérangée par le passage de l’intrus, le chant puissant et fascinant qu’elle émet en vol, le « tek, tek » d’inquiétude et d’agacement répété d’une pie-grièche nichant à proximité… sont autant de « petits bonheurs » insignifiants pour le plus grand nombre mais que, personnellement, je savoure chaque fois pleinement !

Je venais d’observer un lièvre qui, assis sur son postérieur, face au soleil levant, les yeux mi-clos, se chauffait ! Tout à sa voluptueuse activité, il ne m’avait ni vu, ni entendu arriver… Est-ce un mouvement pourtant imperceptible ou alors le déclic de mon appareil photo… : toujours est-il que, tout à coup, ses sens l’avertirent d’un danger et, aussitôt, ce fut la fuite ! Un peu plus loin, c’est une chevrette qui broutait tranquillement, son jeune faon, encore paré de son habit de camouflage, batifolant à proximité ! La scène était touchante à souhait et, je me fis aussi petit, aussi transparent que possible afin de ne point la troubler… Un deuxième faon sortit du fourré et se joignit aux jeux de son jumeau : merveilleuse insouciance de l’enfance !

Je m’assis, le dos appuyé contre un frêne et restais ainsi un long moment, immobile, me contentant d’enregistrer le spectacle dans ma mémoire ! Face au vent, dissimulé par quelques buissons, je me fondais à merveille au paysage. Seul un troglodyte, autre hôte des lieux, me repéra et, sans grande conviction, lança quelques petits cris rapides avant d’aller fouiller un bosquet voisin : déjà, il m’avait oublié…

Combien de temps restais-je ainsi ? Je ne saurai le dire… Peut-être un quart d’heure, vingt minutes… Doucement, calmement, les petits cervidés s’étaient éloignés pour finalement se fondre dans les frondaisons ! Je pouvais poursuivre mon chemin, me penchant tour à tour respectueusement sur quelques fleurs que, déjà, des syrphes et des bourdons visitaient. Une autre créature d’une étonnante dextérité me fit encore m’incliner : il s’agissait cette fois d’un Nécrophore ensevelisseur, un insecte nécrophage de moins de 3 cm, affairé à enterrer le cadavre d’une taupe qui, sans doute, était destiné à nourrir ses futures larves !

Je restais perplexe devant l’énergie déployée par ce coléoptère : si petit et pesant probablement moins d’un gramme, il parvenait cependant à déplacer son butin –le petit cadavre- au moins trente fois plus lourd que lui ! C’était tout simplement extraordinaire. Extraordinaires comme le sont toutes ces choses de la nature que, bien souvent, nous ne voyons et n’imaginons même pas ! Des choses si banales auxquelles nous ne songeons et encore moins nous arrêtons : le vol décidé d’un papillon, l’incessant labeur d’un pollinisateur, la traque mortelle d’une araignée ou encore l’attrait irrésistible d’une simple mouche pour une bouse dont un bovin vient de se soulager à plusieurs centaines de mètres… Autant de mystères qui nous dépassent et qui, pourtant, sont aussi dignes d’intérêt qu’autre chose !

Le passage furtif d’un renard qui, un instant s’arrêta pour me regarder, me fit momentanément abandonner ma contemplation de ce monde mystérieux et fascinant ! J’étais bien. Je me sentais profondément à ma place, en harmonie avec le milieu dans lequel j’évoluais !

Rencontre…

Les rencontres se suivent et ne se ressemblent jamais ! Pour le béotien, tout cela est naturellement sans le moindre intérêt alors même que tout l’univers est dans cette fourmi où cet oiseau dont le fonctionnement nous échappe complètement ! Ces rencontres, si modestes soient-elles, sont par conséquent essentielles… Il en est d’autres en revanche dont on se passerait bien !

Ainsi, ce matin-là, mon chemin croisa celui d’un chasseur qui, de toute évidence, revenait d’un affût nocturne ! La chasse, en cette période, n’est pas ouverte… sauf que, pour certains animaux, elle n’est jamais fermée ! Les « nuisibles » -ah ! le vilain vocable- peuvent par conséquent être tirés quelle que soit la saison et d’aucuns ne s’en privent bien évidemment pas !

Quoique ressentant une aversion épidermique à l’égard de ce genre d’individu, je saluai néanmoins le bonhomme qui, aussitôt me demanda ce que je faisais là ! En d’autres circonstances, la répartie m’aurait fait sourire : en effet, vu ma tenue et mon matériel photographique, il était évident que je n’étais pas en train de faire un footing ou, encore moins, que je me rendais au supermarché du coin… Je ne répondis donc pas ce qui, probablement irrita un peu plus encore le Tartarin des lieux ! C’est alors qu’il me lança : « Vous devriez faire attention ! ».

Tiens donc : lui est armé d’un puissant fusil, moi d’un simple appareil photo et, c’est à moi qu’il incombait de faire attention ? C’était le monde à l’envers et, quoiqu’anodine, la remarque eut le don de m’exaspérer ! Le charme, décidément, était brisé par la simple présence de l’énergumène qui, sans nul doute, de son côté pensait de même ! Pourtant, je ne pouvais m’ôter de l’esprit que, définitivement, l’intrus c’était lui puisque sa seule présence, non pacifique, était profondément incongrue !

S’en suivit un échange évidemment stérile sur nos visions diamétralement opposées de l’équilibre naturel : lui étant persuadé que le monde ne pouvait que fonctionner mieux grâce à l’intervention quasi guerrière de sa personne et de ses compères chasseurs qui « se démenaient corps et âmes pour faire régner un certain ordre nécessaire » ! Quant à moi, convaincu que les « prélèvements » qu’effectuaient toutes les actions de chasse ne faisaient qu’aggraver un peu plus encore le déséquilibre de la biodiversité, j’essayais vainement de faire comprendre à mon interlocuteur que le fait de tuer un renard n’avait aucun sens et, puisqu’on parlait d’ordre, ces actes ne faisaient que rajouter au chaos !

Peine perdue… Sans surprise, l’homme armé haussa les épaules et, dépité –il était non seulement bredouille mais, de surcroit, voilà qu’il devait se justifier…- il s’en retourna et, de toute évidence vexé, se dirigea vers son véhicule garé non loin de là…

 

Cette rencontre et, surtout, ce laconique « Vous devriez faire attention ! » ne me quittèrent plus ce jour-là ! Ressentie telle une menace implicite, je trouvais la formule choquante et déplacée… Je n’avais certes rien appris ce matin-là : je savais de longue date que tout dialogue était vain et inutile lorsque les idées sont à ce point opposées mais la perversité de certains s’était une fois encore montrée au grand jour et, ce bref échange me rappela que l’homme, lorsqu’il est armé, est probablement encore plus imprévisible… et, surtout, éminemment plus dangereux !

 

Texte et photos : JLS


 

Article publié dans le n° de septembre 2017 de la revue "Vivre en Harmonie"

 

Publié dans Point de vue

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M
Il y a les bons et les mauvais chasseurs ! C'est pas pareil... Vous connaissez la suite ! Sinon, revoyez vite le sketch des "Inconnus", tristement réaliste...
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J
Le bon et le mauvais chasser VS Inconnus : "Le mauvais chasseur, c’est l’gars il a un fusil, il voit un truc qui bouge, il tire !!!! Le bon chasseur, c’est un gars, il un fusil, il voit un truc qui bouge, il tire mais heuuu..."<br /> -" Bahh c’est pas la même chose hein, y’a l’bon chasseur, et y’a l’mauvais chasseur, y’a l’viandar, et y’a l’bon viandar quoi"<br /> -" Bon t’as l’mauvais chasseur, il voit un truc il tire !! il tireeee !!! Le bon chasseur, il voit un truc... il tire ! Mais c’est un bon chasseur...
A
Discuter avec les chasseurs : peine perdue !
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M
Très agréable !
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D
Bonjour Jean Louis, mais de quel droit il te pose cette question. Bizarre que tu n' ais pas répondu sur le champ. Te connaissant tu avais dû être sidéré de celle-ci, après avoir été fâché de sa rencontre. <br /> Et elle était d'une imbécilité énorme! Donc si j' analyse , dans son subconscient il se sait dangereux. Pour les animaux et les humains, comme toi assis contre un frêne! Ce que malheureusement , nous savons que trop bien et surtout ces derniers jours! Je comprends que cela ait pu contrarié toute ta journée.<br /> Autre remarque, sur la photo ce chasseur est en faute grave! Car le port du fusil , en marche , doit être réglementairement "en chien de fusil". Pour qu' un coup ne puisse se déclencher! Le canon plié, cassé!<br /> Mais je ne rêve pas, je constate!<br /> Bye
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J
Bien vu DDelsass ! J’avoue détester ce type de rencontre que j’évite, généralement, autant que possible : tout dialogue étant à mon sens parfaitement vain ! <br /> Pour le fusil non « cassé », tu as parfaitement raison : l’individu étant, de surcroît, accompagné par… des enfants ce qui, à mon sens, est d’une débilité affligeante ! <br /> Mais, sans doute que nous n’avons pas la même conception de la sécurité et que, pour un chasseur, il importe d’embrigader la jeunesse au plus tôt afin d’en faire de « bons » massacreurs par la suite… <br /> Difficile voire impossible d’évoquer l’amour et le respect de la Nature avec de tels énergumènes !