Manger bio, local et pas cher : bienvenue à l’épicerie-restaurant la Mesa

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Implantée dans un quartier populaire de Lyon, la « Mesa » propose à la fois une cantine, une cuisine collective et une épicerie bio à petits prix. Avec succès…

Après une matinée à cuisiner, les adhérentes de la Mesa se réunissent autour d’un repas. Photo : Moran Kerinec/Reporterre

C’était une nécessité, Fouzia devait sortir. Ordre du médecin : après une longue hospitalisation provoquée par une sclérose en plaques, la quadragénaire doit rester active pour ne pas atrophier ses muscles. C’est ce qui l’a poussée à passer les portes de la Maison engagée et solidaire de l’alimentation (Mesa) dans le quartier de La Plaine Santy, dans le 8 arrondissement de Lyon. Implanté il y a un an, ce tiers-lieu conjugue cuisine collective, cafétéria et épicerie solidaire. Depuis, Fouzia participe régulièrement à ses ateliers cuisine. « Ça me fait du bien de trouver un lieu de vie qui permet de ressortir doucement. Je suis mauvaise cuisinière, mais j’adore manger », plaisante-t-elle en découpant un fenouil. L’espace d’un instant, elle baisse la voix et lève son regard vers les femmes qui l’entourent : « Je ne sais pas si elles savent à quel point elles m’ont aidée. »

La Mesa a été pensée par les associations Vrac et Récup & Gamelles. La première permet aux habitants des quartiers populaires d’acheter des produits de l’agriculture paysanne et biologique à prix coûtant grâce à des groupements d’achat. La seconde milite pour réduire le gaspillage alimentaire et promouvoir le zéro déchet. Toutes deux ont combiné leurs compétences pour créer un lieu « qui lutte contre l’insécurité alimentaire et est vecteur de lien social, de convivialité et de partage culturel à travers la cuisine », présente Julia Lévêque, coordinatrice de la Mesa.

Une épicerie à triple tarification

Ici, on paie son assiette de produits bio et locaux selon ses moyens : 4, 8 ou 12 euros l’entrée-plat-dessert végétarien. Au menu cette semaine : carpaccio de betterave sauce agrumes, couscous d’automne et tarte poire-chocolat. Cuisinière pleine d’énergie, Anita compose les menus exclusivement à partir d’invendus provenant de la Mesa et des partenaires de l’association Récup & Gamelles. Trois jours par semaine, le restaurant ouvre ses fourneaux aux adhérents de la Mesa. « Mon rôle est d’accueillir les bénévoles en demande de lien, décrit Anita. On a des mamans avec enfants, des personnes handicapées, un homme qui veut se reconvertir dans le service après vingt ans de BTP. Je ne suis pas censée leur transmettre le stress du service, mais les règles d’hygiène et de sécurité. Ce qui compte, c’est d’être ensemble. Pas d’être prêt à midi pile. »

Olfa, Ourida et Nama sont toutes trois clientes et adhérentes de la Mesa. Photo : Moran Kerinec/Reporterre

Pour permettre à toutes les bourses d’accéder à des produits bio et locaux, l’épicerie de la Mesa expérimente depuis sa création une tarification sociale. Elle offre trois paliers de prix à ses bénéficiaires, qui vivent de salaires modestes. Aucune preuve de revenu n’est demandée, la confiance se fonde sur du déclaratif. Les adhésions « coup de pouce » pour les personnes orientées par un partenaire social donnent droit à des produits 70 % moins cher qu’en magasin bio, le tarif « quartier » destiné aux habitants du secteur leur fait économiser 30 % et les adhésions « solidaires » 10 %.

« Il a fallu faire des choix, mais les besoins du quotidien sont comblés »

Selon les portefeuilles, les pâtes coûtent ainsi de 0,66 à 1,43 euros le kilo et le shampoing de 3,92 à 6,72 euros l’unité. Les adhérents viennent avec leurs propres contenants récupérer l’huile d’olive, la lessive ou le liquide vaisselle disponibles en vrac. Chocolat noir, jeux pour enfants et crèmes de jour au beurre de karité attendent leurs clients sur des étagères. « Il a fallu faire des choix, mais les besoins du quotidien sont comblés », assure Julia Lévêque. « C’est intéressant pour ceux qui ont une paie faible », juge Olfa, qui bénéficie d’une adhésion « quartier ». Au point que le dispositif va être étendu aux dix-sept autres groupements Vrac de Lyon.

À l’épicerie comme en cuisine, les adhérents donnent un coup de main. En phase de réorientation après une carrière dans la communication, Laurence s’y investit tous les lundis. « Il n’y a rien à proximité, juste un Casino. Là, c’est des produits locaux et bio, c’est un super projet avec une dimension sociale hyper importante », apprécie-t-elle en coupant des tranches de comté.

La cuisinière Anita réfléchit aux futurs repas dans le coin cafétéria de la Mesa. Photo : Moran Kerinec/Reporterre

Ouverte tous les jours, la cafétéria de la Mesa propose toutes ses boissons et douceurs sucrées à un euro, bien qu’il ne soit pas nécessaire de consommer pour s’y installer. Un tel lieu manquait dans le quartier. « Les femmes qui habitent dans les tours ne peuvent pas aller au café du coin, qui est plutôt réservé aux hommes », observe Céline, l’épicière de la Mesa. Un espace enfants permet aux mères de venir avec leurs bambins sans les avoir constamment à l’œil. « Cela faisait partie des demandes pendant la cocréation », note Julia Lévêque.

« Ici, je trouve du lien »

C’était la promesse de départ : Co construire le projet avec les habitants et habitantes de La Plaine Santy. Pour toucher son public, la Mesa a mené des réunions pour comprendre ses besoins : produits, horaires, usages… Tous les choix de gestion ne sont pas allés de soi. « Le menu unique et végé a fait débat, reconnaît Julia Lévêque. On a trouvé un consensus sur son coût : la viande nous aurait obligés à passer son prix de 4 à 6 euros. » Encore aujourd’hui, la coordinatrice épluche les questionnaires adressés aux adhérents pour répondre au mieux à leurs attentes.

La Mesa organise régulièrement des ateliers de sensibilisation aux enjeux de l’alimentation qui rapprochent ses adhérents. Salariée d’une Entreprise à but d’emploi (EBE) issue du dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée, Fabiola y anime des « mardis antigaspi ». Les participantes — car ce sont très majoritairement des femmes — choisissent puis se partagent les recettes composées avec des denrées sur le point de se périmer, puis déjeunent ensemble.

Au menu, exceptionnel pour célébrer la fin d’année : blinis faits maison tartinés de fromage à l’ail des ours, couscous tunisien végétarien et dattes fourrées au chocolat. « Comme je suis seule, je ne cuisine pas beaucoup. Ici, je trouve du lien », confie Michelle, retraitée du quartier. Les cuisinières échangent des conseils dans une ambiance chaleureuse. « J’arrive jamais à faire de la semoule fine », soupire-t-elle. « Viens, je vais te montrer la technique ! », lui répond du tac-au-tac Olfa. « Le brassage culturel est immense. On a des meufs voilées, des meufs tatouées, des gamins et des vieillards de 70 ans. Ça fait tomber les préjugés de cuisiner ensemble », observe Anita.

Le temps passant, la Mesa est aussi devenue un lieu relais pour chercher de l’aide face aux difficultés administratives. « Certaines demandes reviennent régulièrement : renouvellement d’un arrêt de travail refusé, de l’aide sur des démarches administratives, des personnes en situation d’urgence qui viennent boire un café… », liste Julia Lévêque. Pour y répondre, le centre social y tient une permanence numérique les vendredis matin.

Étudiante étrangère, Anne-Sophie donne chaque semaine un coup de main à l’épicerie solidaire. Photo : Moran Kerinec/Reporterre

Un lieu souvent saturé

Malgré ses réussites, la Mesa semble atteindre ses limites. La maison de l’alimentation est prévue pour toucher 300 foyers, mais 842 familles lyonnaises qui y ont adhéré. Une centaine d’habitants font leurs courses à l’épicerie chaque semaine, si bien qu’elle est parfois saturée les jeudis et vendredis. Le restaurant est régulièrement complet.

L’équilibre économique de la structure pose également question. La Mesa est dépendante à 60 % des subventions de l’État, de la Métropole et de la Ville de Lyon. « On ne peut pas marger nos produits pour se rémunérer, donc on vend moins cher que le prix d’achat. Chaque année, notre survie est interrogée. Aujourd’hui la ville nous soutient, mais qu’en sera-t-il les années prochaines ? », s’interroge Julie Lévêque. En attendant, « tous les jours on a des récompenses, sourit Anita, qui vient se voir offrir des truffes au chocolat par Ghislaine, petite dame de 76 ans qui a connu mille métiers. Une bénévole m’a dit qu’on mettait de la couleur dans le quartier ». Et des étoiles dans les yeux d’Olfa, Michelle et Fouzia.

Moran Kerinec/Reporterre

 

 

 

 

 

 

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M
Magnifique initiative qui devrait être étendue partout ailleurs.
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Z
Un lieu à la fois alimentaire et convivial ,doublement nécessaire!
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B
Super cette épicerie-restaurant !!
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