Le martinet, un oiseau complètement fou qui dort en vol

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Le 7 juin, c’était la Journée mondiale des martinets. Passionné par ces oiseaux migrateurs depuis vingt ans, le biologiste suisse Marcel Jacquat nous raconte leurs superpouvoirs et alerte sur les menaces qui pèsent sur eux.

Le martinet noir, très présent en France, fait son nid dans les trous des maisons ou des façades d’immeubles. Photo : Pierre-Marie Epiney

Ses longues ailes en forme de faucille symbolisent l’été. Chaque année, de fin avril à début août, le martinet virevolte dans le ciel de nos villes, lançant son cri strident, frôlant les immeubles à plus de 100 km/h. Il est même capable d’atteindre, en piqué, 200 km/h ! La Journée mondiale des martinets, fixée au 7 juin, a été créée en 2019 par l’association belge Martinets sans frontières. Objectif : braquer les projecteurs sur cet oiseau migrateur méconnu et alerter sur les menaces qui pèsent sur lui. 96 espèces se répartissent sur tous les continents. En France, on en compte trois : le martinet noir —le plus commun—, le martinet à ventre blanc (dit aussi martinet alpin) et le martinet pâle, présent seulement en région méditerranéenne.

Marcel Jacquat, biologiste suisse, se passionne pour cet animal et en est devenu un grand spécialiste. Il a écrit plusieurs ouvrages sur le martinet et a traduit en 2021 Les martinets se cachent pour dormir, une bande dessinée de l’auteur italien Franco Sacchetti (éditions de la Girafe et La Salamandre). Le directeur honoraire du Musée d’histoire naturelle de La Chaux-de-Fonds alerte sur les menaces qui pèsent sur son oiseau fétiche.

Reporterre — Pourquoi vous intéressez-vous particulièrement au martinet ?

Marcel Jacquat — Je suis un passionné d’oiseaux depuis ma tendre enfance et m’intéresse de manière plus spécifique aux martinets depuis une vingtaine d’années. C’est un oiseau complètement fou, qui n’arrête pas de voler, ne se pose jamais au sol : il mange les insectes en vol ; il boit en vol en ouvrant légèrement le bec et en rasant l’eau comme les canadairs. Il copule en vol ; il recueille le matériel nécessaire à la fabrication d’un nid en vol. Enfin, il dort en vol, ce qui est complètement fou ! Le soir, il monte, monte, monte entre 2 000 et 3 000 mètres d’altitude. Là-haut, les courants le soutiennent mieux que ceux au ras du sol. Il va alors alterner, de façon très rapide, les phases courtes de sommeil et les phases courtes de veille avec des battements d’ailes à un rythme plus lent. C’est à l’âge de trois ans qu’il commence à se reproduire en général. Bien évidemment, il ne peut pas pondre ses œufs en vol, c’est donc à ce moment-là qu’il va se poser dans un nichoir qu’il a repéré l’année précédente ou deux ans avant.

On confond souvent le martinet noir avec les hirondelles. Comment les différencier ?

L’hirondelle et le martinet n’appartiennent pas du tout à la même famille. Le nom scientifique du martinet est Apus apus. En latin, apus signifie littéralement « qui n’a pas de pied ». Il a des pieds, bien sûr, mais ils sont très, très courts. Les hirondelles, elles, sont de la famille Delichon. Ces espèces peuvent avoir des comportements plus ou moins comparables. Mais les hirondelles, par exemple, viennent nourrir très régulièrement leurs petits au nid alors que les martinets, eux, chassent pendant vingt minutes, une demi-heure. Ils remplissent leur gosier avec 200, 300, voire 500 insectes, selon la direction du vent, et amènent ces balles d’insectes à leurs petits. Ainsi, vous pouvez observer un nid de martinets qui est occupé et ne pas vous rendre compte qu’il l’est parce que vous n’avez pas attendu assez longtemps pour assister au nourrissage.

Les martinets sont souvent confondus avec les hirondelles, qui, elles, ont le dessous blanc. Photo : Walter Brunner

Il y a une autre différence essentielle entre les martinets et les hirondelles. Les martinets ont de longues ailes en forme de faucille et ils se déplacent en général plus haut que les hirondelles pour se nourrir. Et puis, les deux hirondelles les plus fréquentes — l’hirondelle de fenêtre et l’hirondelle rustique — ont le dessous blanc. Chez les martinets, il est noir. Il y a de nombreuses autres différences (forme de la tête, du bec…) mais, pour simplifier les choses, le martinet ne peut pas être blanc en dessous, sauf si c’est un martinet à ventre blanc, qui est d’une taille beaucoup plus importante que le martinet noir. Les populations citadines de ce martinet ont d’ailleurs tendance à augmenter ces dernières années. Cette espèce qui était plutôt habituée aux massifs montagneux (on l’appelait le martinet alpin) s’installe de plus en plus en ville, par exemple à Saint-Étienne où plusieurs centaines de couples nichent.

La bande dessinée italienne, Les martinets se cachent pour dormir, de Franco Sacchetti, que vous avez traduite, aborde justement les problèmes de nidification dans les villes. Pouvez-vous nous expliquer ce qui pose un problème ?

Auparavant, le martinet nichait dans des rochers, voire dans des trous d’arbres. Ça existe encore par-ci, par-là, mais c’est très rare. Depuis quelques siècles, c’est un oiseau très lié à l’homme. Il fait son nid dans les trous des maisons ou des façades d’immeubles, sous les tuiles de toiture. Il colle le matériel récupéré avec sa salive, ce qui donne une structure très solide qui peut être maintenue et accueillir des martinets d’année en année. Ainsi, le danger principal pour les martinets, ce sont les ravalements de façade, les travaux d’isolation, les reconstructions de toitures, les démolitions d’anciens bâtiments... tout ce qui concourt à diminuer le nombre d’anfractuosités (cavités profondes et irrégulières) dans les bâtiments. En France, on évalue une baisse des effectifs de 3 ou 4 % par an.

Quand vous isolez votre maison, vous faites une opération extrêmement positive pour la nature puisque ça permet de consommer moins de matériaux fossiles. Mais pour l’isoler le mieux possible, vous fermez toutes les ouvertures. Ce qui diminue le nombre de cavités, de fissures ou d’anfractuosités disponibles pour le martinet. Dans le sud de la France, les tuiles romaines, c’est-à-dire arrondies, permettent aux martinets de s’enfiler dessous. Mais de plus en plus, il y a une tendance à cimenter la partie du toit qui est en bordure. Les martinets ne peuvent donc plus passer sous les tuiles. Les professionnels du bâtiment ne sont pas toujours attentifs à la présence de nids, souvent peu visibles. Le manque d’informations à ce sujet, mais aussi la discrétion de l’espèce, explique en partie cette méconnaissance. Il faut inciter les professionnels comme les villes à poser des nichoirs spécifiques dans le cadre de toute rénovation, une mesure utile et peu dispendieuse. Il existe de multiples solutions : tuiles d’aération, nichoirs intégrés à l’isolation, nichoirs extérieurs, trous d’accès dans la planche de rive…

Une autre raison de la baisse des populations de martinets pourrait être liée à la diminution de la biomasse d’insectes, et donc de nourriture. Il y a une diminution d’effectifs dans certaines régions de France, c’est évident.

En été, à cause des vagues de chaleur, beaucoup de jeunes martinets se retrouvent en centre de soins. Photo : Wikimedia Commons

Un autre problème est constaté dans les centres de soins : lors des grosses vagues de chaleur, les petits, qui nichent sous les toits, souffrent énormément.

 

Absolument, parce que la température peut atteindre plus de 50 °C. Les oiseaux ne sont pas bien. Et il arrive que les jeunes tentent d’échapper à cette chaleur et se jettent hors du nid. Or, ils doivent atteindre quarante-deux jours pour pouvoir s’envoler du nid parce que leurs ailes sont trop courtes auparavant. Les plumes des ailes doivent atteindre 155 millimètres. Ce sont de très longues ailes par rapport à la taille de l’animal. Les gens retrouvent souvent des petits au sol et les amènent à un centre de soins. Ou bien les chats, les rats les capturent… Les petits martinets recueillis nécessitent des soins appropriés et une nourriture qui n’est faite que d’insectes. Le plumage se développe de manière incorrecte si on les nourrit avec de la viande hachée, de la pâtée pour chat ou je ne sais quoi. Ils ne peuvent plus voler.

Le changement climatique a-t-il une incidence sur la migration des populations de martinets ?

Aucune étude scientifique ne le montre pour le moment. C’est possible, mais on n’a pas de preuves formelles d’une modification des migrations liée au changement climatique. Certes, selon les conditions météorologiques, les martinets peuvent arriver plus tard ou doivent décaler quelque peu leur envol migratoire vers l’Afrique du Sud. Ils peuvent aussi être confrontés à des problèmes de nourriture, lorsqu’une région est asséchée pendant des mois et des mois, ce qui n’est clairement pas favorable aux insectes. Cependant, on ne peut pas affirmer aujourd’hui qu’il y a une réelle incidence du changement climatique sur leur migration.

Propos recueillis par Fabienne Loiseau/Reporterre

 

 

 

 

 

 

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Z
Article trés intéressant. Merci du partage <br /> Pauvres oiseaux !<br /> Bonne fin de journée Jean-louis .
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B
Merci pour ce bel article sur les martinets...<br /> Oiseaux que j'aime beaucoup.<br /> Je partage<br /> Bonne journée Jean-Louis
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D
la biodiversité, une histoire d'équilibre à respecter
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