Au Canada, les autorités veulent la peau de l’ours

Publié le par Jean-Louis Schmitt

En Colombie-Britannique, près de 6 000 ours noirs ont été tués par les autorités depuis 2011. Pour arrêter l’hécatombe, des citoyens se mobilisent et tentent de les éloigner des villes.

Brian Nawyn fait partie d'une association qui veille à la protection des ours noirs. Photo : Alexis Gacon/Reporter

« Vous savez comment vous comporter quand un ours est près de vous ? » Brian Nawyn, la soixantaine et l’œil bleu vif sous sa casquette à flammes, nous rassure alors qu’on embarque avec lui direction le Minnekhada Regional Park, au nord-est de Vancouver, et ses dizaines d’ours noirs. L’employé d’un circuit de course dans la ville de Mission, est membre de la North Shore Black Bear Society, une association de protection des ours. Il les observe depuis plus de cinquante ans : « Prépare-toi, il va y en avoir ! Quand tu le vois, respecte-le, laisse-lui de l’espace. Ils ne sont pas agressifs, il faut savoir les écouter. »

Deux heures plus tard, à arpenter les sentiers du parc par un moite 27 degrés, à froncer les yeux entre les champs de bleuets pour tenter de détourer le noir d’un museau, aucune trace du mammifère à poils noirs : « Avant, en une heure de marche, vous pouviez en voir une vingtaine. Maintenant, ils sont moins nombreux », constate l’amoureux des ours. Et de poursuivre : « Ils se font tuer par les agents de conservation de la faune (British Columbia Conservation Officer Service, ou BC COS) ! Et la police montée. Dès qu’un ours s’approche d’une maison, les gens appellent et la seule réponse qu’ils ont, c’est “bang !” Chaque année, des centaines sont flingués », lâche-t-il amer.

Photo : Louise Allain/Reporterre

En onze ans, près de 6 000 ours noirs ont été tués par les autorités, d’après les données provinciales. Rien que depuis avril, 575 y sont passés. Cela n’inclut pas ceux tués par des chasseurs, près de 4 000 en moyenne chaque année. Et combien d’ours braconnés ? La province ne nous a pas répondu, mais les médias canadiens font régulièrement état d’ours retrouvés morts, sans leurs pattes, ni leur vésicule biliaire.

Roulette russe

Après un long moment d’attente, une grande ourse a finalement fait son apparition entre deux arbustes. En un clin d’œil, elle nous fait faux bond. « Il faut qu’elle fasse gaffe. Ce propriétaire agricole, là-bas, a tué deux ours parce qu’ils traînaient sur son champ. » À écouter Brian Nawyn, l’ours noir joue à la roulette russe chaque matin.

Depuis le mois d’avril, 575 ours noirs ont été abattus. Photo : Alexis Gacon/Reporterre

En redescendant vers Pitt Meadows, une famille s’affaire à ramasser des déchets répandus au sol, et à redresser une poubelle au couvercle arraché. Le responsable : un petit ours noir. « Pourtant, elle était sécurisée… râle Steve, le père. Il doit encore être dans le coin ! » En effet, il est cinq mètres plus loin, en train de rendre visite à la voisine. Le jeune ursidé semble apeuré. Agité, il tente même de grimper sur le perron. Brian Nawyn est d’un calme olympien : « Ok bear [ours en anglais], ne t’inquiète pas », dit-il doucement au jeune ours.

Le petit mâle est en train d’être sevré par sa mère. Il cherche de la nourriture, seul. La faim et la chaleur commencent à l’affoler : les poubelles pourraient être un bon plat de résistance avant de rentrer au bercail. L’objectif de Brian Nawyn : le guider par la voix pour lui laisser de l’espace afin qu’il traverse rapidement la route et regagne la forêt. Tout ça le plus vite possible, avant qu’un voisin n’appelle la patrouille. « Les patrouilleurs sont des chasseurs à la gâchette beaucoup trop facile. Ils considèrent les ours comme des biens jetables », lance Brian Nawyn.

Brian Nawyn guide par la voix les ours pour qu’ils regagnent la forêt. Photo : Alexis Gacon/Reporterre

Il scrute la rue, inquiet, et demande du renfort, par texto, au groupe de soutien qu’il forme avec d’autres, pour éloigner les ours. « Chacun de nous s’occupe d’une aire géographique et on doit être plus rapides que la patrouille ». Finalement, l’ourson s’enfuit et trouve refuge sur le toit d’un autre voisin. De son perchoir, il nous souffle dessus et, puis, s’endort : il faut le laisser tranquille. Une amie viendra relayer le soldat Brian.

« On nous demande d’avoir une réponse efficace »

« La gâchette facile, franchement, c’est n’importe quoi. Pour nous, chaque ours tué, c’est en dernier recours, c’est dramatique. » Simon Gravel, sergent du BC COS, goûte peu la remarque de Brian, qui le connaît. Il nous fait embarquer dans son immense pick-up gris, avec deux fusils rangés à l’arrière. Tout en reconnaissant qu’une majorité de ses collègues sont des chasseurs, il estime que ça ne joue pas sur la façon de gérer le problème que constituent les ours qui fouillent dans les poubelles.

Simon Gravel, sergent de la British columbia conservation officer service. Photo : Alexis Gacon/Reporterre

Un discours contredit par les chiffres : sur 269 appels aux patrouilleurs pour lesquels les agents se sont déplacés, 81 se sont terminés par la mort d’un ours en octobre dernier. Alors, pourquoi ne pas les endormir pour les relocaliser ailleurs ? « C’est en effet une solution, mais nous n’avons pas les ressources pour le faire. Et on nous demande d’avoir une réponse efficace, explique Simon Gravel. Si l’ours relocalisé pose un problème ailleurs, on n’aura pas réglé la situation. Quand il est habitué à trouver de la nourriture chez l’homme, c’est très difficile. »

Le talkie-walkie résonne dans l’habitacle. Un gros ours noir vient d’être localisé, visiblement confus, dans le centre-ville de Squamish, banlieue huppée de Vancouver. « Tu vas comprendre le souci, là ! » lance le sergent. Arrivés sur les lieux, on découvre dans les cours des maisons des poubelles retournées, des déchets au sol. Mais le mammifère a déjà fui. « Avec la sécheresse, il y a moins à manger en forêt. La ville est un buffet et c’est là que ça devient un problème », explique notre guide. L’automne dernier, la province a battu plusieurs records de sécheresse et la saison des feux s’allonge de plus en plus, ce qui a pour conséquence de réduire l’habitat des ours.

Un habitat de plus en plus réduit

La sécheresse a bon dos, rétorque Brian Nawyn. Le problème, c’est surtout ce besoin de l’être humain de grignoter sans arrêt le territoire de l’ours noir. Le Canadien prend l’exemple de Burke Mountain Village, « un projet révoltant » en cours à l’est de Vancouver. Là, sur une zone défrichée de seize hectares, des maisons neuves cossues sortent de terre et des tractopelles s’agitent.

Au beau milieu de la forêt, où vivent les ours, se construisent des villas. Photo : Alexis Gacon/Reporterre

« Il y a trois ans, il n’y avait rien ici, dit Brian Nawyn. C’était son territoire. Là, l’ours se réveille, et s’il veut descendre, il tombe nez à nez avec une villa. Est-ce que c’est lui le problème ? » Il soutient que trente ours ont été tués par des pelles mécaniques lors de la première phase de construction. La société de développement immobilier ne confirme pas ces chiffres. En redescendant, Brian Nawyn raconte ce souvenir avec une mère ourse noire : « J’étais à côté de ses oursons, qui jouaient dans l’arbre avant de descendre. Un des petits m’a mis une taloche sur le genou. Je connaissais sa mère. Elle m’a regardé puis est partie longtemps, comme si elle me disait de garder ses petits. »

Pour Simon Gravel, ce besoin d’attribuer à l’ours des traits humains met en danger l’animal : « Je me bats contre cet esprit de domestication. Ils s’approchent trop des ours, parfois prennent des photos. Il arrive qu’il y ait des blessés gravesLes associations nous critiquent. On nous oppose et c’est contre-productif. J’aime aussi les ours. Et les ours noirs ne sont pas en voie de disparition. » D’après WildsafeBC, ils seraient 120 à 150 000 en Colombie-Britannique. Les grizzlys, eux, plus vulnérables, entre 10 et 13 000.

Les amoureux des animaux ou les touristes se font parfois attaqués par des ours lors de balades. © Alexis Gacon / Reporterre

Apprendre à cohabiter

Alors que faire ? La mort des ours noirs est-elle vraiment la seule issue ? À travers la région, des municipalités développent une approche « Bear Smart » [intelligent avec les ours], pour limiter les interactions entre humains et les ours. Elle insiste sur la nécessité, pour les villes et leurs habitants, de mieux protéger leurs déchets, avec des poubelles sécurisées, de vite enlever les fruits de leurs arbres, voire de construire des clôtures.

D’après la province, l’approche a fait diminuer le nombre d’ours tués par les autorités ces dernières années. Et dans les dix villes « Bear Smart »[, le nombre de conflits entre humains et ours a baissé de 20 %. D’autres veulent donc rejoindre le wagon, quitte à en faire un enjeu électoral. À Nelson par exemple, des citoyens se mobilisent pour que la ville adopte cette politique.

Une trace de patte d’ours dans la terre. Photo : Alexis Gacon/Reporterre

À sept heures de là, sur les hauteurs du Burke Mountain Village, Brian Nawyn peste contre un garage laissé ouvert, avec des provisions sur la table : « Les ours veulent juste coexister avec nous. Je crois que nous ne voulons pas coexister avec eux. On trouve que les attirer chez nous, puis les laisser se faire tuer, c’est plus facile ».

Alexis Gacon/Reporterre

 

 

 

 

 

 

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Z
Tuer , encore et toujours ! Quelle tristesse!
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B
La gâchette facile, encore une fois... L'ours dérange, alors on le tue... alors qu'il est sur son territoire. C'est la réponse de l'Homme<br /> Heureusement qu'il y a des êtres humains pour défendre les ours et autres animaux
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C
C'est dommage! Au Québec, ils les endorment et les retourne en nature! Heureusement qu'il y a des gens protecteurs d'ours! Bonne journée!
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J
Oui mais la solution ne semble pas facile et en tout cas de long terme.
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J
Tuer… c’est toujours et encore la seule réponse aux dérives que nous avons nous mêmes provoquées.
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