Une histoire de chasse et de sangliers
On a tous entendu au moins une fois le discours suivant : ‘’les sangliers prolifèrent, il y en a trop, il faut donc les réguler pour éviter qu’ils nous envahissent’’.
Le sanglier d'Europe, sanglier d'Eurasie ou plus simplement sanglier (Sus scrofa), ‘’bête noire’’ des chasseurs. Photo : Jean-Louis Schmitt
Il est vrai que depuis plusieurs décennies, le nombre de cochons sauvages a explosé et qu’ils causent des dégâts dans les jardins des particuliers et dans certaines cultures.
Il faut donc les tuer, dit-on.
Les chasseurs, bonnes âmes, rendent ce service à la communauté en éliminant plus de 700 000 sangliers chaque année selon l’Office français de la biodiversité. Cet argument de la régulation est systématiquement mis en avant par les organisations de chasseurs pour défendre l’utilité de leur pratique, c’est d’ailleurs le cas dans une publicité diffusée récemment à la télévision. On connaît ce discours par cœur, rien de surprenant. Mais ces derniers temps, une nouvelle petite musique se fait entendre dans certaines fédérations de chasse…
C’est à la fois surprenant et déconcertant. Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux il y a deux semaines, Michel Sanjuan, le président des chasseurs de la Drôme, fait un virage à 180 degrés par rapport à la ligne officielle : il n’est plus question de surpopulation de sangliers, bien au contraire ! Attention, dit-il, le nombre de sangliers est en très forte baisse, moins 30% dans le département ! Il n’appuie ce chiffre sur aucune étude, mais il semble très affirmatif. Et pour lui, le coupable est tout trouvé : il s’agit du loup !
C’est le loup qui dévore les sangliers et qui fait chuter leur population.
Bon, c’est plutôt une bonne nouvelle, non ? Les sangliers pullulaient et dévastaient nos cultures, donc on ne peut que se réjouir qu’il y en ait de moins en moins. Voilà ce qu'il dit : « Quand il n’y aura plus de grand gibier ou beaucoup moins de grands gibiers, il y aura forcément beaucoup moins de chasseurs. On ne peut pas continuer comme ça ! »
Suis-je bête ! Pour le président d’une fédération de chasse, la baisse du nombre de sangliers n’est pas une bonne nouvelle, puisque cela veut dire moins d’animaux à tuer… On est bien loin du joli discours sur la nécessaire régulation. Et que propose Michel Sanjuan, à votre avis ? De tirer moins de sangliers, pour éviter que leur nombre ne chute trop ?
Pas du tout : « Il faut que la législation de surprotection des loups change et nous demandons donc une régulation de cette espèce. » Non, vous ne rêvez pas, le président des chasseurs de la Drôme demande l’autorisation de réguler les loups, c’est-à-dire de les tuer malgré leur statut d’espèce protégée, au motif qu’ils mangent trop de sangliers ! Il reproche à un prédateur naturel de faire efficacement ce que les chasseurs prétendent faire depuis des lustres : réguler les sangliers
Et plutôt que de s’en réjouir, sa première réaction est de vouloir éliminer les loups pour réserver le gibier aux chasseurs. C’est tellement absurde qu’on pourrait en rire, mais cela a le mérite de la clarté. Plus qu’une nécessité, la « régulation » est avant tout un argument marketing, utilisé à tort et à travers, parfois de manière contradictoire, pour justifier des pratiques de chasse de plus en plus contestées par l’opinion publique.
Hugo Clément propose chaque semaine une chronique sur France Inter : ‘’En toute subjectivité’’, le mercredi à 7h20 !
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