Quand les tortues d’Hermann renaissent de leurs cendres

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Dans quelques jours, les tortues d'Hermann sortiront de leur léthargie. Quel avenir pour ces reptiles vieux de plus d'un million d'années ? Après les terribles incendies qui ont ravagé leur territoire, en 2021 les protecteurs des tortues ne désarment pas. État des lieux.

Une masse noire, quasi informe. Devine-t-on encore la belle carapace dorée derrière cette enveloppe calcinée? On peut en douter. La tortue dHermann sest métamorphosée en fantôme. Comme des dizaines de milliers d’autres, elle a succombé aux incendies qui endeuillent, chaque année, le midi de la France. Son armure cramée, boucanée, embrasée, invite à agir pour les survivantes. Il y a urgence.

La tortue d’Hermann ne survit aujourd’hui plus que sur quelques confettis. À la fin du néolithique (- 2500 ans) elle s’épanouissait sur une large étendue bordant la Méditerranée. Il y a 150 ans, certaines populations s’accrochaient encore aux garrigues de Perpignan, Port-Cros et de l’Esterel. Désormais, seules les Maures (et la Corse) restent l’ultime refuge évalué à quelques 100 km sur 40.

Cette mauvaise fortune s’explique. Bernard Devaux, fondateur du « Village des tortues » résume : « Autrefois, les bergers et leurs troupeaux entretenaient la forêt, dégageaient les sous-bois en offrant ainsi des clairières ensoleillées pour que les tortues pondent leurs œufs. De plus, le débroussaillage limitait les incendies. C’était bon pour l’homme, comme pour la tortue. Aujourd’hui, la forêt se referme et les risques se développent. »

Funeste trafic

Le terrible incendie de l’été 2021 qui, entre Gonfaron et Cogolin, a emporté plus de 7 000 hectares, confirme les dramatiques conséquences pour les tortues : 70 % d’entre elles auraient été anéanties, malgré le dévouement admirable des bénévoles qui ont tenté d’en récupérer un maximum afin de les soigner ou d’abréger leurs souffrances.

Historiquement d’autres causes expliquent le déclin. Autrefois, durant les périodes de disette, les habitants ne se privaient pas de manger quelques tortues ramassées au gré des sorties. Plus tard, un véritable trafic en a également sonné le glas. Alimentant les zoos, les magasins d’animaux ou les laboratoires, le commerce a décimé l’espèce. Certains juvéniles étaient même transformés en porte-clefs!

Bien que la tortue d’Hermann soit intégralement protégée par la loi, donc interdite de ramassage, les touristes, mal informés, ne se privent pas pour en ramener chez eux. « Deux animaux en moins, c’est un hectare que l’on dépeuple », soupire Bernard Devaux. C’est en grande partie pour sensibiliser l’opinion publique qu’il a planté les racines de la SOPTOM, comprendre la Station d’Observation et de Protection des Tortues et de leurs Milieux. Initialement implanté à Gonfaron, le site rebaptisé « Tortupôle » a été réaménagé sur 2 hectares du côté de Carnoules, dans le Var.

Jean-Marie Ballouard, chargé de mission scientifique, fait un point sur l’état de la trentaine des tortues relâchées après avoir été soignées : « Toutes ont été équipées d’émetteurs permettant de les localiser et nous avons constaté avec bonheur qu’elles se réadaptaient bien. Malgré l’été très chaud de 2022, elles ont résisté grâce à leur capacité de jeûner durant plusieurs mois, voire de ne pas boire pendant plusieurs semaines. Le plus étonnant, c’est qu’elles restent sur les sites qui ont brûlé. Elles ne font pas de migration. »

Saison des amours

Sauf qu’il faudra près de trois décennies pour retrouver une situation normale. En attendant, la nature semble admirablement réactive. Un an après l’incendie, des chênes-lièges, dont le tronc semblait totalement calciné, libèrent des épaisses branches bien vertes. Les arbousiers ou les bruyères renaissent également de leurs cendres, tels des phénix. Les araignées chassent de nouveau sur un sol pourtant quasi minéral mais elles trouvent pitance à piéger. Partout l’espoir de renaissance sort de terre comme un défi à la mort mais le biotope reste fragile. Supportera-t-il les violentes canicules à venir?

Côté tortue, c’est à la mi-mars que la vie reprend. Dès que le soleil réchauffe la garrigue, 60 à 70 % des tortues sortent de leur léthargie. Très vite la première obsession devient sexuelle. En tout cas pour les mâles, tandis que les femelles restent plutôt indifférentes. La rencontre se fait souvent par hasard mais lorsqu’un mâle a flairé une femelle, rien ne l’arrête. Pas de parade nuptiale, aucune poésie, le désir se manifeste par des coups de plastron sur la femelle qui est ensuite fermement mordue aux pattes avant d’engager la séquence escalade.

Comment une tortue peut-elle monter sur une autre? Tout simplement en bénéficiant de plaques ventrales concaves permettant au mâle de se maintenir le temps de l’accouplement. Gueule béante, pattes arrière bien ancrées au sol, cou tendu, il lance un cri rauque, profond, en offrant toute sa puissance avant de retomber lourdement. Et sans cesse récidiver. Les jeux de l’amour peuvent se poursuivre durant de longues journées, puis la chaleur de l’été efface le désir. Les pulsions sexuelles reprennent en septembre par des températures plus acceptables.

Des dizaines de naissances chaque année

Six semaines plus tard, la femelle libère sa ponte souvent lorsque la soirée s’annonce. Elle choisit un substrat bien dégagé, orienté plein sud afin de creuser à l’aide de ses pattes arrière le nid qui, durant l’automne prochain, verra les bébés tortues sortir enfin de la terre. La nouvelle génération sera alors d’une dramatique fragilité. Les carapaces molles en font des proies idéales pour bon nombre de prédateurs dont, en priorité, les sangliers. Peu d’animaux atteignent l’âge de 5 à 6 ans, désormais protégés par une solide carapace.

Face à toutes ces menaces, Antoine Cadi, Président de la SOPTOM, résume les perspectives d’avenir : « Les incendies récurrents et toujours plus intenses représentent le premier danger. Il faut que les citoyens en prennent conscience. D’une certaine manière, les tortues sont les ambassadrices d’un territoire à la fois riche de biodiversité et sensible. » Au fil du temps, les équipes de la SOPTOM ont développé un excellent savoir-faire : soigner les tortues victimes d’écrasement, de morsure de chien, de débroussailleuses, etc.

Mais aussi faire œuvre de pédagogie pour que l’on arrête de « remettre dans la nature » des tortues dites de jardin, à la fois hybrides et fragiles. De même renforcer les populations grâce à des élevages et de subtiles opérations de relâchers. « On sait faire naître plusieurs dizaines de tortues chaque année, des tortues dont le patrimoine génétique est confirmé. Résolument tournés vers l’avenir, nous gardons espoir et nous réjouissons d’être chaque jour rejoints par de nouveaux adhérents et passionnés de tortues! » s’enthousiasme Antoine Cadi malgré les épreuves.

Allain Bougrain-Dubourg (14 mars 2023)

 

 

 

 

 

 

Si vous avez apprécié cette publication,

partagez-là avec vos amis et connaissances !

Si vous souhaitez être informé dès la parution d’un nouvel article,

Abonnez-vous !

C’est simple et, naturellement, gratuit !

 

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
Z
Comme c'est triste ! Espérons que leurs protecteurs les aideront à survivre !
Répondre
B
Un peu d'espoir pour ces pauvres tortues...
Répondre
M
Chapeau à cette équipe qui essaye de réparer les dégâts de notre civilisation de destructeurs envers et contre tout. Des personnes courageuses et désintéressées espérons qu'elles arriveront à sauver l'espèce .
Répondre