La science lève le voile sur d’improbables voyages

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Après 5 ans de travail collectif, l’« Atlas des oiseaux migrateurs de France » vient d’être publié ! C’est le premier du genre. Alors que la migration s'amorce depuis l'Afrique, c'est le moment d'en savoir plus…

Maxime Zucca sillonne la France et le monde pour observer, étudier ou baguer les oiseaux. Il a participé à plusieurs projets de recherche au Muséum national d’histoire naturelle, et s’intéresse plus particulièrement aux problématiques concernant la migration et la conservation des oiseaux.

Maxime Zucca sillonne la France et le monde pour observer, étudier ou baguer les oiseaux. Il a participé à plusieurs projets de recherche au Muséum national d’histoire naturelle, et s’intéresse plus particulièrement aux problématiques concernant la migration et la conservation des oiseaux.

Monumental, admirable, exceptionnel… les qualificatifs manquent pour rendre compte de cet ouvrage, coordonné et copublié par la Ligue pour la Protection des Oiseaux*, Biotope et MNHN : un Atlas des oiseaux migrateurs de France de deux volumes qui s’inscrit dans l’inventaire national de la biodiversité. Les chiffres sont éloquents : 4,7 kg sur la balance, 200 auteurs et relecteurs, 319 espèces faisant l’objet d’une monographie, 1 200 représentations graphiques ou encore 100 millions de données issues des sciences participatives rigoureusement analysées.

Au-delà de ce recensement qui donne le vertige, il faut penser à chaque observateur, jumelles rivées aux yeux, qui a scruté le ciel par tous les temps pour enrichir les connaissances. L’engagement des ornithologues relève du sacerdoce, à moins qu’il ne s’agisse d’une véritable pathologie. Peu importe, le bilan éclaire sur toutes les espèces migratrices pour lesquelles la France métropolitaine joue un rôle durant tout ou partie de leur cycle biologique : nidifications, haltes migratoires, destinations finales pour l’hivernage et autres singularités qui rendent le fragile peuple du ciel incroyablement performant.

Au titre des stars du long vol, une certaine barge rousse établissait, en septembre 2021, un nouveau record en parcourant durant 10 jours seulement, plus de 13 000 km en vol battu et sans interruption. Elle venait de rallier l’Alaska à la Nouvelle-Zélande!

Injonction génétique, ou choix conscient?

Retour aux origines. Les scientifiques estiment que les premiers pas migratoires sont perceptibles, il y a quelque 160 millions d’années. A l’époque, certains dinosaures sauropodes effectuent déjà quelques centaines de kilomètres de migration alors que les « vrais » oiseaux ne s’envoleront que 40 millions d’années plus tard. « Les premiers passereaux, apparus il y a 50 millions d’années dans l’actuelle Amérique du Sud, étaient peut-être déjà migrateurs  », s’interroge Maxime Zucca qui trace l’histoire naturelle de la migration.

Quoi qu’il en soit, les bouleversements climatiques vont imposer les déplacements. Fuir le froid, localiser les ressources alimentaires, chercher les territoires opportuns, déterminer le meilleur site de reproduction sont autant de critères qui dessinent peu à peu la stratégie des espèces. L’auteur poursuit : « On ne sait pas dans quelle mesure les décisions relèvent uniquement d’une injonction génétique modulée par des conditions environnementales ou si il s’agit d’un choix conscient ».

L’affaire se corse lorsqu’on constate que mâles et femelles ne partagent pas forcément les mêmes projets. Parfois les premiers limitent les déplacements tandis que les femelles prennent le large. Des situations environnementales d’exception peuvent aussi conditionner les déplacements. La présence ou non des lemmings dans la toundra ou des criquets dans les steppes d’Asie centrale génèrent des mouvements fluctuants. Les plaisirs du ventre dictent les vagabondages.

Carte du ciel et champs magnétiques

Autre constat, les chemins de retour diffèrent souvent du voyage aller. Affaire de vents dominants et autres contraintes climatiques. Reste à savoir comment s’orienter. On commence tout juste à lever le voile sur ce qui est longtemps resté mystérieux. Faute de connaissances, par exemple, les adeptes d’Aristote pensaient que l’hiver venu, les coucous gris se transformaient en éperviers. Quant aux hirondelles, elles s’enfouissaient tout bonnement dans la vase des marais. Il faudra attendre le XVIIIème siècle pour que Buffon remette en cause cette idée en envisageant l’hypothèse de la migration vers des contrées plus clémentes.

Désormais, on sait qu’une conjugaison de compétences et d’adaptation permet aux oiseaux de tracer la route. Beaucoup d’entre eux lisent les étoiles du ciel en tenant compte du lieu où le soleil s’est couché. La mémoire visuelle pour les plus anciens favorise les repères. Mais les ornithologues constatent que l’inclinaison des champs magnétiques pourrait également guider les oiseaux. Maxime Zucca apporte une précision : « Les lignes de champs magnétiques varient d’un angle de 90° aux pôles jusqu’à être parallèles à la surface terrestre au niveau de l’Équateur.  Les oiseaux doivent « voir » ces différences grâce aux récepteurs électromagnétiques présents dans leur rétine ». On pourrait également évoquer, de manière singulière, leur spectre visuel s’étendant jusqu’à l’ultraviolet. Même l’odorat pour certains contribuerait au repérage.

Beaucoup de questions restent pourtant sans réponse. Comment le jeune coucou se repère-t-il alors qu’il a été abandonné par ses parents et ne reçoit aucun enseignement sur le voyage?  Pourquoi les hirondelles françaises passent-elles l’hiver en Afrique francophone alors que les hirondelles britanniques choisissent l’Afrique anglophone? Les travaux conduits grâce à la solidarité des ornithologues, souvent amateurs, mais hautement compétents, lèvent peu à peu le voile sur le prodigieux défi de la migration. L’Atlas des oiseaux migrateurs de France en fait l’admirable démonstration. 

Allain Bougrain-Dubourg*

*Allain Bougrain-Dubourg, chroniqueur à Charlie Hebdo et auteur de ces lignes, est également le président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux.

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B
Passionnant !<br /> Oui un ouvrage à s'offrir
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Z
Cet ouvrage doit être superbe! A se faire offrir!<br /> J'aime beaucoup l'info sur les hirondelles françaises et anglaises en fin d'article , trés surprenant!
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