De Mayotte à Ouessant, les énergies renouvelables se bâtissent sur le dos de la biodiversité
Décidément, les énergies renouvelables sont sujettes à caution. Évidemment qu'elles s'imposent. Mais plus n'importe où, plus n'importe comment. Les multiplications de projets contre-nature risquent de finir par discréditer une démarche pourtant nécessaire.
La semaine dernière, j’évoquais l’impact des éoliennes sur les derniers aras de Lear à Baya (Brésil). Aujourd’hui, c’est du côté de Mayotte qu’il faut se retourner. Le préfet a fixé un objectif de 70 % de production d’énergie solaire sur le territoire. Intention louable. Sauf que le site envisagé conduirait à recouvrir la surface de deux retenues collinaires de l’île (Combani et Dzoumogné), en prenant en compte leur superficie en période de hautes eaux. L’entreprise Akuo Energy a relevé le défi en présentant un projet d’équipement en panneaux photovoltaïques, répondant semble-t-il au cahier des charges de l’administration. Akuo Energy se sent si légitime qu’elle a même exposé son dossier au Gepomay (Groupe d’étude et de protection des oiseaux de Mayotte). Or, les ornithologues en question n’ont guère apprécié. Rassemblés en association depuis 2010, ils comptent aujourd’hui plus d’une centaine d’adhérents et une dizaine de salariés.
Leur travail d’expertise a permis d’identifier plus de 150 espèces d’oiseaux dont beaucoup sont endémiques de l’île et de l’archipel des Comores. Mais, celle qui retient le plus leur attention est le Héron crabier blanc (Ardeola idae), un oiseau classé en danger critique d’extinction selon l’UICN et que l’on retrouve –outre Mayotte– dans trois îles seulement au monde.
Philippe de Grissac, l’un des fondateurs du Gepomay, tient à ajouter : « Ce petit héron est considéré depuis 1979 comme l’une des espèces le plus menacées par le Convention de Bonn. Ses effectifs nicheurs à Mayotte, qui sont d’environ 280 couples, constituent près de 40 % de la population mondiale évaluée à 800 couples. Or, le projet photovoltaïque menace clairement leur avenir. » Effectivement, les infrastructures artificielles visant à subvenir aux besoins en eau potable sont devenues, avec le temps, des milieux humides de première importance pour la biodiversité en général et pour les hérons crabiers blanc en particulier.
Depuis plus d’une décennie, tous les suivis visuels ou, plus récemment, télémétriques, prouvent que ce territoire constitue une zone d’alimentation indispensable pour les fragiles oiseaux. Et c’est précisément ici que le photovoltaïque prévoie d’étaler ses multiples panneaux. L’affaire est d’autant plus inconcevable que l’administration a bien intégré la nécessité de préserver le héron en question. Le 3 décembre 2018, un arrêté préfectoral interdisait, entre autres, la « perturbation intentionnelle » de l’espèce, en sachant que la menace principale qui pèse sur elle était la destruction de ses habitats, de ses sites de nidifications, comme d’alimentation. Droite dans ses bottes, l’administration considère sans rougir que l’aménagement photovoltaïque s’inscrit dans « les projets écologiquement exemplaires ». À la LPO, on n’ose y croire. Après avoir longuement démarché, l’association a obtenu un programme Life « Biodiv’Om », autrement dit, une aide financière européenne pour préserver cinq espèces mondialement menacées, dont le fameux « crabier blanc » à Mayotte.
Sur le terrain Rivo Rabarisoa, coordinateur du programme des zones humides, confirme : « Les principales menaces sont la destruction des habitats dans les sites de nidifications ou de nourrissage. N’oublions pas que l’on peut y ajouter la collecte d’œufs ou d’oisillons, sans parler des catastrophes naturelles et du changement climatique. » Les animateurs du Programme Life ne désarment pas. Ils ont déjà engagé des compagnes de dératisation, investi dans la lutte contre les espèces invasives, aménagé plus de 200 hectares en gestion favorable à l’avifaune, sans parler des ateliers de concertation (une dizaine) pour échanger avec la population et l’administration. Las, toute cette bonne volonté et l’espoir d’une renaissance du héron considéré comme craintif, seraient balayées par les énergies renouvelables ? Barbara Pompili et Bérengère Abba, au ministère de la Transition écologique, viennent d’être alertées. De même que Sébastien Lecornu, ministre des Outres-mers. Position inconfortable pour l’exécutif qui, lors du récent congrès de l’UICN à Marseille, n’a cessé de clamer qu’il convenait d’élever la question du déclin de la biodiversité au même niveau que les engagements pris pour le climat. Mieux, il a été souligné que la biodiversité ne devait pas être l’otage du climat. En clair, pas question d’impacter la nature pour réduire les gaz à effet de serre. En voulant affranchir l’île de Mayotte de sa dépendance au fuel, l’administration a oublié un peu vite ses engagements qui se veulent exemplaires.
Du côté de Akuo Engergy, on a d’autres dossiers sous le coude. À Rosnay, près de Reims, un collectif se mobilise au nom de la préservation des terres agricoles. Il s’oppose à l’installation de panneaux sur une surface équivalente à 110 terrains de football. Il n’est pas nécessaire d’aller dans l’océan Indien pour s’indigner. Barbara Pompili m’avait laissé entendre que l’île d’Ouessant pourrait être équipée d’une éolienne. Devant ma réaction sans ambiguïté (ce serait la guerre !), j’imaginais que le projet n’aurait pas de suite. J’apprends par l’association « Vent De Bout » et la LPO Bretagne que la presqu’île de Penn Arland vient d’être retenue. Le site en question est une réserve biosphère de l’UNESCO et une ZNIEFF (Zone Naturelle d’Intérêt Écologique Faunistique et Floristique).
Par ailleurs, il est situé dans un couloir de migration exceptionnel (c’est là que les ornithologues font leurs premières années de comptage et de baguage). De plus, des espèces protégées l’occupent en nombre, telles les mouettes tridactyles, les craves à bec rouge, les faucons pèlerins, etc… Qui a dit qu’il fallait porter l’enjeu de la biodiversité au niveau de celui du climat ? Ah oui, Emmanuel Macron. Mais c’était il y a longtemps déjà, le 3 septembre, lors de l’ouverture du Congrès UICN à Marseille !
Allain Bougrain-Dubourg
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