Avec les SDHI, nous sommes à l’aube d’une potentielle catastrophe sanitaire
Le journaliste Fabrice Nicolino, co-fondateur du mouvement « Nous voulons des coquelicots », publie ce mercredi « Le crime est presque parfait », un livre-enquête sur les SDHI, une famille de pesticides encore méconnue mais qui inquiète déjà des scientifiques
SDHI. Derrière le sigle, se cachent les Succinate DeHydrogenase Inhibitor, une famille de fongicides utilisés pour combattre les champignons et les moisissures dans les champs. Vous connaissez le glyphosate, un autre pesticide dont la dangerosité pour l’homme et l’environnement est l’objet d’un âpre débat ? « Les SDHI sont potentiellement plus dangereux encore », estime Fabrice Nicolino. Le journaliste, cofondateur du mouvement Nous voulons des coquelicots, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les dessous de l’industrie agroalimentaire, dont Un empoisonnement universel (ed. Les liens qui libèrent, 2014) , sur l’invasion des produits chimiques dans notre quotidien et notre environnement.
Avec Le crime est presque parfait (ed. Les liens qui libèrent), publié ce mercredi, Fabrice Nicolino se penche sur les SDHI, dont le mode d’action est de s’attaquer à la chaîne respiratoire des champignons et moisissures. Et au passage, à celle de nombreux êtres vivants ? C’est l’alerte lancée, en avril 2018 dans Libération, par un collectif de scientifiques emmené par le généticien Pierre Rustin. Un nouveau scandale de l’amiante en puissance ? Fabrice Nicolino répond à 20 Minutes.
Le journaliste Fabrice Nicolino sort, ce jeudi 12 septembre, "Le crime est presque parfait" (Ed. Les Liens qui Libèrent), un livre-enquête sur les fongicides SDHI utilisés en agriculture. Photo : Joël Daget/AFP (Cliquez pour agrandir)
Pourquoi parle-t-on si peu des SDHI ?
Le glyphosate est connu du grand public depuis quelques années seulement. Or, il est utilisé en agriculture depuis des décennies. Il y a toujours un temps important entre le moment où un pesticide apparaît sur le marché, est épandu partout, et le moment où l’on commence à s’inquiéter. Pour les fongicides SDHI, une première génération de produits a été mise sur le marché au milieu des années 1960 et jusqu’aux années 1990. Mais ils n’étaient utilisés que sur quelques champignons et jamais sur des surfaces importantes. Une nouvelle génération a suivi dans les années 2000. Elle a été utilisée à grande échelle à partir de 2013 en France, où onze substances actives sont aujourd’hui autorisées.
A partir de ces substances actives, les firmes de l’agrochimie font chacune leur tambouille. Elles prennent un SDHI qu’elles mélangent avec d’autres molécules pour, disent-elles, améliorer l’efficacité de leurs produits. Le tout est vendu ensuite sous un nom commercial. C’est par exemple le fluxapyroxad chez BASF, le bixafen ou le fluopyram chez Bayer, l’ isopyrazam chez Syngenta… On parle plus, alors, de ces marques que de fongicides SDHI.
Quels volumes de SDHI sont aujourd’hui répandus en France ?
J’ai posé la question aux firmes qui les commercialisent, sans jamais avoir de réponses. Je n’en ai pas eu davantage avec l’UIPP [Union pour la protection des plantes], le syndicat professionnel de l’industrie des pesticides. Mais on parle bien du nouveau chéri de l’industrie agrochimique. Les SDHI sont aujourd’hui épandus sur l’essentiel des surfaces agricoles, dont près de 80 % des surfaces de blé, presque autant d’orge, les arbres fruitiers, les tomates, les pommes de terre. On les utilise aussi sur les pelouses, celles des terrains de foot, toujours pour lutter contre les champignons et les moisissures. Le marché mondial des SDHI était évalué à 2,586 milliards de dollars (2,343 milliards d’euros) en 2018. Selon des analystes, il pourrait atteindre 6.391 milliards de dollars (5,79 milliards d'euros) d'ici à 2024.
Qu’est-ce qui ne va pas avec ces fongicides ?
Les SDHI ont pour principe de bloquer la respiration des cellules des champignons, en inhibant l’activité de l’enzyme SDH (la succinate déshydrogénase). Ces fongicides bloquent alors la chaîne respiratoire de ces cellules, un processus qui, résumé à l’extrême, consiste à prendre l’oxygène pour le transformer en énergie. Sans celle-ci, les cellules meurent. Et donc le champignon aussi. Sur le papier, il n’y a rien à dire. Les SDHI sont redoutables pour venir à bout de ces nuisibles.
Le problème est que la SDH est une enzyme présente dans presque la totalité des êtres vivants. Et les SDHI s’attaquent à toutes, pas seulement celles des champignons et moisissures. Des scientifiques l’ont montré en laboratoire : ces SDHI bloquent très efficacement la SDH des êtres humains. Le 15 avril 2018, après avoir tenté au préalable d’alerter les pouvoirs publics, neuf chercheurs, cancérologues, médecins et toxicologues de l' Inserm, du CNRS et de l' Inra, spécialistes des maladies mitochondriales, ont publié une tribune dans Libération , dans laquelle ils pointent les risques pour la santé humaine que fait courir l’utilisation de plus en plus massive de ces fongicides. Des anomalies de fonctionnement de la SDH peuvent entraîner, chez l’homme, la mort de cellules et causer de graves encéphalopathies. Ou, au contraire, une prolifération incontrôlée de cellules et être à l’origine de cancers.
Un lien a-t-il pu être établi entre certains cancers et une exposition à des fongicides SDHI ?
Voilà pourquoi ce livre s’appelle « Le crime est presque parfait ». Dans l’état actuel de nos connaissances, il est très difficile de relier l’exposition à un pesticide et telle ou telle maladie. En revanche, ces scientifiques nous disent que la toxicité sur le long terme de ces SDHI sur l’homme n’a pu être encore sérieusement étudiée. Dans ce contexte d’incertitudes, ils demandent à suspendre l’utilisation de ces fongicides. C’est ce qui se ferait dans un État qui aurait pour principale priorité de protéger sa population. Or, et c’est ce que raconte ce livre, ce n’est pas du tout ce que fait l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui délivre les autorisations de mises sur le marché (AMM).
Vous avez la main particulièrement lourde contre l’Anses… Pourquoi ?
Il y a déjà des lacunes dans la façon dont l’Anses évalue les risques liés à l’usage des produits qu’on lui soumet à autorisation. Ses tests reposent sur des fondements aujourd’hui datés. Un exemple : on a longtemps cru que l’ADN ne pouvait connaître des variations que par le biais de mutations et que les cancers étaient l’expression de ces mutations génétiques. Avec l’épigénétique, on découvre que ces mutations peuvent aussi être le fait de l’activation ou de l’inhibition d’un gène. Autrement dit, la séquence ADN peut rester intacte, mais un de ses gènes va passer en « on » ou en « off ». L’épigénétique étudie alors ces mécanismes et le rôle de notre environnement dans leur réalisation. La recherche bouillonne sur ces questions et des chercheurs pensent que ces mécanismes épigénétiques peuvent être la cause de cancers ou de maladies graves. Or, l’Anses, lorsqu’elle recherche les effets cancérogènes d’un pesticide, ignore l’épigénétique aujourd’hui. Pourquoi ? C’est la question posée par le collectif de chercheurs reçu par l’agence après leur tribune. La réponse est extraordinaire : les tests épigénétiques seraient trop longs, trop complexes, et trop chers.
Cette insuffisance n’est pas la seule lacune de l’Anses que je pointe. Je décris dans ce livre les nombreux liens qui unissent l’agence avec les lobbies de l’agrochimie. Mais il y a un problème même dans les missions qu’on confie à l’agence. D’un côté, elle délivre des autorisations de mise sur le marché, y compris donc pour les pesticides. De l’autre, elle est censée protéger notre santé et notre environnement. Imaginez dans quelle position inconfortable elle se trouve si elle se rend compte, après coup, de la dangerosité d’un produit dont elle a autorisé la mise sur le marché.
Vous terminez votre livre en évoquant Henry David Thoreau, père de la désobéissance civile… C’est à quoi vous appeler aujourd’hui ?
Les SDHI sont au cœur d’une polémique similaire à celles survenues autrefois sur le DDT, un insecticide interdit dans les années 1970 en raison de son impact environnemental et sanitaire élevé, ou sur l’amiante, autrefois utilisé dans l’industrie avant d’être considéré comme hautement toxique et interdit en France en 1997. Dans les deux cas, des scientifiques avaient lancé l’alerte, mais ils ont longtemps été discrédités avant d’être pris au sérieux.
Pour les SDHI, nous avons la « chance » d’être avant une potentielle catastrophe sanitaire. Entendons-nous bien, personne ne sait s’il y aura une catastrophe SDHI. Mais des scientifiques de renommée internationale nous disent qu’elle est possible et il est intolérable qu’ils ne soient pas pris au sérieux. La seule réponse de l’Anses à ce jour est que les informations et hypothèses évoquées ne justifient pas la modification ou le retrait des autorisations de mises sur le marché. Quand on sait comment l’Anses est arrivé à cette conclusion, on n’a pas envie d’en rester là. On se doit de demander des comptes.
L’Anses assure ne pas rester les bras croisés
Après l’alerte du collectif des neuf chercheurs, le 16 avril 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), avait constitué un groupe d’experts [dont Fabrice Nicolino conteste la légitimité]. Il était chargé d'« examiner sans délais les éléments évoqués » par les lanceurs d’alerte.
Ces experts ont publié un rapport de 92 pages en décembre 2018 sur la base duquel l’Anses a rendu, le 14 janvier dernier, un avis rassurant quant aux risques potentiels des SDHI sur la santé de l’homme et de l’environnement. « Les informations et hypothèses évoquées n’apportent pas d’élément en faveur d’une alerte sanitaire pour la santé humaine et l’environnement en lien avec l’usage agricole de ces fongicides qui pourrait justifier la modification ou le retrait des autorisations de mise sur le marché », détaille l'agence.
Elle lançait cependant un appel à la vigilance au niveau européen et international, et soulignait la nécessité de renforcer la recherche sur de potentiels effets toxicologiques chez l’homme. Le 21 juillet dernier, dans un communiqué, l’Anses a fait un point sur les travaux engagés.
20 Minutes (11.09.2019)
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