Le journaliste Hervé Kempf refuse la Légion d'honneur de Ségolène Royal

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Pour justifier ce geste rare, le rédacteur en chef de "Reporterre" a publié une lettre adressée à la ministre de l'écologie. Attention, coup de gueule !

Hervé Kempf, rédacteur de Reporterre. Photo : Wikipédia

Hervé Kempf, rédacteur de Reporterre. Photo : Wikipédia

Quand certains courent après les honneurs et les dorures de la République, d’autres les fuient tant qu’ils peuvent. C’est le cas d’Hervé Kempf : ce journaliste a tout simplement refusé la Légion d’honneur que souhaitait lui remettre Ségolène Royal. Gros plan sur un geste rare et courageux qui mérite quelques explications.

Hervé Kempf est rédacteur de Reporterre, un magazine écologiste. C’est à ce titre, et pour son « action en faveur de l’environnement et du développement durable » que Ségolène Royal, ministre de l’écologie, souhaitait l’honorer et le récompenser.

Seulement voilà, fait rarissime, le journaliste a décliné l’offre ! Pourquoi ? Hervé Kempf s’explique dans une lettre ouverte adressée à Ségolène Royal et publiée sur le site de son magazine.

Extraits :« Je vous remercie de votre attention, mais ai l’honneur de refuser cette distinction. Elle me parait tout à fait incompatible avec l’exercice du métier de journaliste, dont un principe de base est, pour assurer sa liberté, de se tenir à distance des personnes de pouvoir et d’en refuser les avantages ou distinctions qu’elles voudraient lui prodiguer. »

Dans son courrier, Hervé Kempf dénonce, pêle-mêle, la concentration de la presse française aux mains de quelques milliardaires, la loi sur le secret des affaires votée en 2015, les procès contre les médias libres, les violences policières dont sont victimes les journalistes et la mort d’une dizaine de reporters assassinés depuis 2010 à travers le monde parce qu’ils enquêtaient sur des scandales écologiques…

Le journaliste Hervé Kempf refuse la Légion d'honneur de Ségolène Royal

« Tout ceci rend impossible à un journaliste, s’il lui en prenait la fantaisie, d’accepter une décoration de la part d’un gouvernement qui n’a rien fait, au contraire, pour limiter le pouvoir des oligarques et les atteintes à la liberté d’informer (…) Comment expliquez-vous qu’Aujourd’hui en France, qui appartient au milliardaire Arnault, Libération, qui appartient au milliardaire Drahi, Le Monde, qui appartient au milliardaire Niel et à ses comparses, Le Figaro, qui appartient au milliardaire Dassault, reçoivent de l’Etat respectivement 7,8 millions d’euros, 6,5 millions, 6,5 millions et 5,4 millions ? Alors que, pour prendre un exemple au hasard, Reporterre ne reçoit pas un centime de ces aides.

Je ne tends pas la main pour mendier, Mme Royal, mais pour qu’on mette tout le monde sur pied d’égalité : que soient supprimées les subventions à ces titres de milliardaires, et on verra qui recueillera l’attention du public. »

Un courrier sans détour ni concession qu’Hervé Kempf conclut avec humour et ironie :

« Au fait, Mme Royal, vous nous avez refusé jusqu’ici une interview. Maintenant que vous voulez me donner une décoration, ça sonne vraiment bizarre, ce refus. On se parle bientôt ? »

Avec cette décision pleine de panache, Hervé Kempf rejoint la courte liste de ceux qui ont refusé d’échanger leur honneur contre une breloque. Chapeau !

+PositivR Axel Leclercq -15 novembre 2016

Publié dans Initiative, Portrait

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J
Ils ont aussi refusé la légion d’honneur : <br /> - Le compositeur Hector Berlioz : "Je me fous de votre croix. Donnez-moi mon argent ! "<br /> - Pierre et Marie Curie : "En sciences, nous devons nous intéresser aux choses, non aux personnes"<br /> - La romancière George Sand : Elle écrit malicieusement au ministre qui lui propose la croix: «Ne faites pas cela cher ami, je ne veux pas avoir l'air d'une vieille cantinière!»<br /> - Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre : «J'ai toujours décliné les distinctions officielles. Lorsque, après la guerre on m'a proposé la Légion d'honneur, j'ai refusé […]. De même, je n'ai jamais désiré entrer au Collège de France comme me l'ont suggéré quelques-uns de mes amis […]. L'écrivain doit refuser de se laisser transformer en institution même si cela a lieu sous les formes les plus honorables comme c'est le cas.»<br /> - L'économiste Thomas Piketty : "le rôle du gouvernement n'est pas de décider qui est honorable" et que "ils feraient bien de se consacrer à la relance de la croissance en France et en Europe."<br /> - Marcel Aymé : "Si c'était à refaire, je les mettrais en garde contre l'extrême légèreté avec laquelle ils se jettent à la tête d'un mauvais Français comme moi. Et pendant que j'y serais, pour n'avoir plus à y revenir, pour ne plus me trouver dans le cas d'avoir à refuser d'aussi adorables faveurs, ce qui me cause nécessairement une grande peine, je les prierais qu'ils voulussent bien, leur Légion d'honneur, se la carrer dans le train comme aussi leurs plaisirs élyséens"<br /> - l'auteur de BD Jacques Tardi l'a aussi rejetée "pour rester libre".<br /> - Georges Brassens "Ce petit hochet à la boutonnière / Vous le condamne à de bonnes manières. / Car ça la fout mal avec la rosette, / De tâter, flatter, des filles les appas…"<br /> - Albert Camus<br /> - Jacques Prévert <br /> - Léo Ferré brocarda « ce ruban malheureux et rouge comme la honte »<br /> - Georges Bernanos<br /> - Sophie Marceau<br /> - Brigitte Bardot<br /> - Bernard Clavel s'estimant indigne de "porter le même ruban que (son) oncle qui avait versé son sang pour son pays", préféra rester "dans le clan de ceux qui l'ont refusée, où, disait-il, je côtoie Berlioz, George Sand, Littré, Courbet, Daumier, Maupassant, Eugène Le Roy et Marcel Aymé". <br /> - Maurice Ravel<br /> - Gustave Courbet<br /> - Annie Thébaud-Mony, chercheuse spécialiste des cancers professionnels, avait refusé la Légion d'honneur pour protester contre l'« indifférence » autour de la santé au travail et l'impunité des «crimes industriels». <br /> - En 2009, deux journalistes, Marie-Eve Malouines (France Info) et Françoise Fressoz (Le Monde), déclinaient la décoration par souci d’indépendance. « Pour exercer librement sa fonction, un journaliste politique doit rester à l’écart des honneurs »,expliquait alors Françoise Fressoz.<br /> - Honoré Daumier caricaturiste du XIXe siècle, connu pour ses dessins satiriques d’hommes politiques : « Je prie le gouvernement de me laisser tranquille ! »
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D
Ils seraient environ 93 000 à avoir bombé le torse pour recevoir le "hochet" initié par Napoléon Bonaparte : quelques autres, certes beaucoup moins nombreux, mais non des moindres l'ont toutefois refusé comme vient de le faire Hervé Kempf. <br /> <br /> La "breloque" en question il faut de surcroit se la payer : une vingtaine d’euros pour les chevaliers) pour obtenir le brevet officiel après la remise de la décoration. Et surtout, chacun doit se procurer sa décoration, achetable par exemple auprès de la Monnaie de Paris: il faut compter de 168,50 euros pour un chevalier (57 euros pour le modèle réduit) à 884,50 euros pour la plaque de Grand-Croix…<br /> <br /> Hervé Kempf, dans son courrier à S. Royal dénonce une injustice flagrante, celle de ces "subventions" –et ce ne sont pas juste quelques miettes- auxquels ont droit certains grands groupe très influents…<br /> De fait, on comprend mieux qu'en lisant le journal on a souvent l'impression de se faire "promener", les sommets de l'information bidouillée étant atteints par les "informations" télévisuelles qui à force de mensonge, de manipulation, de lèche, de désinformation, de course à l'audimat constituent une véritable plaie régulièrement infectée par l'intervention des politiques ! <br /> <br /> Pour assainir le "paysage de l'information" il faudrait avoir le courage six mois durant de laisser ces "feuilles de choux" à leurs milliardaires de patrons et tous les "J.T. du P.A.F." à leurs annonceurs publicitaires. <br /> Nous prendre pour des cons est certes en leur pouvoir mais rien ne nous oblige à les payer pour cela ! Quand l'affaire sera devenue moins juteuse peut-être que la "presse" redeviendra une affaire de journalistes et non pas un placement parmi d'autres, un outil de promotion ou arme de propagande.<br /> Longue vie à Reporterre et… chapeau bas M. Kempf !
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