Climat : la moitié des plages du monde pourraient disparaître d’ici à la fin du siècle

Publié le par Jean-Louis Schmitt

D’ici à 2100, le littoral pourrait reculer en moyenne dans le monde de 35 à 240 mètres dans un scénario d’émissions élevées. La réduction des rejets carbonés permettrait d’éviter près de la moitié du recul du trait de côte…

Une plage de Floride, le long du golfe du Mexique, en 2008.

Une plage de Floride, le long du golfe du Mexique, en 2008. Photo : Craig Litten/AP

Dans l’imaginaire, le littoral est souvent associé à une magnifique plage de sable fin qui s’étire face la mer. Ces rivages blancs, jaunes ou encore noirs, qui occupent plus d’un tiers des côtes du monde, sont essentiels aux sociétés, à leurs économies, notamment pour le tourisme et les loisirs. Elles fournissent en outre des protections contre les tempêtes et les ouragans. Mais ces milieux précieux et patrimoniaux semblent plus que jamais menacés.

D’ici à la fin du siècle, près de la moitié des plages de sable du monde, le plus souvent situées dans des zones densément peuplées, pourraient presque entièrement disparaître sous l’effet de l’érosion liée aux activités humaines et aggravée par le dérèglement climatique, alerte une étude publiée lundi 2 mars dans Nature Climate Change. Il existe toutefois une lueur d’espoir dans ce ciel menaçant : la réduction des émissions de gaz à effet de serre permettrait d’éviter près de la moitié du recul du trait de côte.

L’équipe de chercheurs européens, menée par Michalis Vousdoukas, du Centre commun de recherche de la Commission européenne, a analysé l’évolution du littoral sableux dans tous les pays du monde, entre 1984 et 2015, à l’aide d’images satellites. Les auteurs ont ensuite extrapolé les tendances historiques pour prévoir la dynamique future des côtes selon deux scénarios de réchauffement climatique.

Ces changements de trait de côte sont d’abord liés à des facteurs physiques, géologiques et anthropiques : les tempêtes, les aménagements côtiers comme les digues, les barrages ou les ports, l’urbanisme ou les prélèvements de sable aggravent localement un épuisement naturel des stocks sédimentaires hérités de la dernière période glaciaire. S’y ajoute le retrait du littoral dû à l’élévation du niveau de la mer. D’ici à la fin du siècle, la montée des océans pourrait atteindre entre 0,59 mètre et 1,10 mètre par rapport à la période 1986-2005, selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

L’Australie et Mayotte très affectées

Leurs résultats montrent que l’érosion des plages sableuses, déjà importante aujourd’hui, va s’aggraver à l’avenir. Une étude parue en 2018 estimait que près d’un quart d’entre elles subissent un retrait supérieur à un demi-mètre par an. D’ici à 2050, le littoral pourrait reculer en moyenne dans le monde de 1,1 mètre à 78 mètres dans le cas d’un scénario d’émissions de gaz à effet de serre modérées ; le recul atteindrait 98 mètres en cas d’émissions maintenues à un niveau élevé, sans politique de limitation des rejets carbonés.

A la fin du siècle, la situation devrait encore empirer, avec un recul du trait de côte de 15 mètres à 164 mètres en cas d’émissions de CO2 modérées et de 35 mètres à 240 mètres dans le pire scénario. Les scientifiques en concluent que la limitation des émissions éviterait 17 % de l’érosion prévue d’ici au milieu du siècle, et 40 % d’ici à 2100.

Combien de plages seraient menacées ? Les auteurs ont calculé que 14 % à 15 % des plages de sable pourraient subir, d’ici à 2050, une érosion sévère – comprise comme un recul du trait de côte supérieur à 100 mètres – et entre 36 % et 49,5 % d’ici à 2100, selon les scénarios d’émissions.

Cette érosion globale et massive masque des disparités géographiques. Certains pays seraient particulièrement exposés, comme la République démocratique du Congo, la Gambie, la Guinée Bissau, le Pakistan ou Mayotte pour la France, qui verraient plus de 60 % de leur littoral sableux affecté quelles que soient les trajectoires d’émissions. « Outre une vulnérabilité accrue aux risques côtiers, plusieurs de ces pays sont susceptibles de subir des conséquences socio-économiques importantes, car leur économie est fragile et dépendante du tourisme », prévient l’étude.

En classant les pays en fonction de la longueur totale des plages de sable qui pourraient disparaître, l’Australie serait la plus touchée avec plus de 11 000 km en danger (soit environ 40 % de son littoral sableux). Le Canada, le Chili, le Mexique, la Chine et les Etats-Unis seraient également très affectés. A l’inverse, quelques régions pourraient connaître des accumulations de sable, comme en Amazonie, en Asie de l’Est et du Sud-Est et dans le Pacifique tropical nord.

« Importantes incertitudes »

Si le dérèglement climatique n’est aujourd’hui pas le principal facteur d’érosion des côtes, il le sera à l’avenir : l’élévation du niveau des mers serait responsable d’environ 75 % des modifications du trait de côte à l’échelle mondiale dès le milieu du siècle. En revanche, les auteurs ne voient pas d’effet significatif des tempêtes, dont l’intensité s’accroît globalement avec le changement climatique, même si elles pourraient laisser des cicatrices sur certains sites (côte sud-est du Royaume-Uni, nord-ouest de l’Allemagne ou encore nord du Queensland en Australie).

« C’est la première étude qui a été réalisée à l’échelle mondiale en termes de projections. C’est un bon travail, mais certains chiffres doivent être pris avec des précautions en raison d’importantes incertitudes », prévient Bruno Castelle, directeur de recherche CNRS en dynamique littorale au laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux (université de Bordeaux), qui n’a pas participé à l’étude.

Il cite ainsi le modèle utilisé pour calculer le retrait du trait de côte lié à l’élévation du niveau de la mer (la loi de Bruun), sujet à débat dans la communauté scientifique. « Il implique que le système sédimentaire [plage, plage sous-marine et dune] puisse reculer, ce qui n’est pas possible partout car parfois il n’y a pas d’espace derrière », précise-t-il. Le scientifique note en outre qu’une plage qui s’érode fortement ne va pas forcément disparaître. « Certains secteurs en France, notamment en Aquitaine, ont déjà reculé de plus de 100 mètres en soixante-dix ans, et sont encore là. »

« Déjà une réalité »

« Ces projections dans l’avenir ne doivent pas faire oublier que l’érosion des plages est déjà une réalité, rappelle Alain Hénaff, maître de conférences en géographie à l’université de Bretagne Occidentale. La fixation des rivages par des ouvrages [digues, enrochements], en particulier, pour défendre des enjeux humains imprudemment implantés sur un milieu littoral, a conduit à renforcer le départ des sédiments des plages en limitant leurs espaces de mobilité. La poursuite de l’accumulation d’enjeux [hommes et biens] sur ces territoires ne fait qu’amplifier les risques d’érosion et de submersion. »

En juillet 2019, un rapport du centre de réflexion La Fabrique écologique montrait que l’adaptation aux risques d’érosion et de submersion du littoral français était « très insatisfaisante », qu’il s’agisse du déploiement d’ouvrages de protection, des solutions fondées sur la nature (comme l’implantation de végétaux sur les dunes), de la maîtrise de l’urbanisme ou de la relocalisation des activités et des biens exposés.

Audrey Garric/Le Monde (02.03.2020)

 

Note : les valeurs présentées dans cet article ont été modifiées à la suite de corrections effectuées par la revue Nature Climate Change, qui avait mis en ligne par erreur une mauvaise version de l’étude.

 

 

 

 

 

 

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Publié dans Environnement, Point de vue

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D
Et moi , à Ste Marie de la Mer, c' est catastrophique pour les maisons de pêche. Toutes ces érosions des îles du Soleil Levant .
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B
Guère réjouissant...
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D
phénomène déjà ancien, que j'ai suivi sur la côte d'Opale
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