Observation des oiseaux : un vagabondage en quête de ramage et de plumage

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Véritable sport national chez les Anglo-Saxons, le « Bird Watching », comprenez la découverte des oiseaux, explose désormais en France. L'ennui, c'est que le peuple des airs se fait de plus en plus rare. Visite guidée du côté du Bois de Boulogne.

La Fauvette grisette (Sylvia communis)… Photo : Jean-Louis Schmitt (Cliquez pour agrandir)

La Fauvette grisette (Sylvia communis)… Photo : Jean-Louis Schmitt (Cliquez pour agrandir)

Le rendez-vous est immuable. Qu’il pleuve, qu’il vente ou que le ciel promette la clémence, ils se réunissent chaque dimanche à 9h15, face à l’ancienne gare de la porte d’Auteuil (Paris 16e). Seul le Covid a imposé une parenthèse à ce rendez-vous dont Stéphane Collaro aurait pu dire en son temps : « Quelle est cette étrange secte? » Rien de sectaire dans ce rassemblement, il s’agit seulement d’un groupe de curieux de nature qui a choisi de tendre l’oreille, d’ouvrir le cœur et de marcher à la rencontre d’un chant ou d’une silhouette fugitive.

Découvrant le peuple des airs dans son Limousin natal, Jacques Pénot a initié ces sorties nature dès février 1946. Pas besoin d’être compétent, ni de prendre rendez-vous, il suffit de se présenter porte d’Auteuil. Je revois l’ornithologue appuyé sur sa canne, bien assis sur le banc, attendant que s’égrènent les minutes jusqu’au moment précis où le temps du cheminement est venu. Les amateurs d’oiseaux s’engagent alors pour trois heures et demie de marche. Bien souvent, ils se contentent d’entendre ou de croiser quelques espèces communes. Mais en vagabondage, on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise. Michel Durand qui, avec Emmanuel Du Chérimont, a repris l’animation des sorties depuis la disparition de Jacques Pénot, rappelle volontiers qu’un certain 7 janvier 1996, alors que s’achevait la sortie, Jacques fut surpris par un oiseau perché à une dizaine de mètres. À l’évidence, il s’agissait d’une espèce peu commune. Rigoureux, l’ornithologue nota les moindres détails qu’il compara à sa vaste documentation. Aucun doute, il s’agissait d’une grive de Naumann ou, plus précisément, d’une sous-espèce méridionale (Turdus naumanni). Quelques mois plus tard, il publiait dans la revue scientifique Alauda son incroyable découverte de cette grive de Naumann que l’on croise en principe du côté de la Sibérie. Que diable cet oiseau au sourcil couleur chamois-roux pâle était-il venu faire du côté du Bois de Boulogne? Peut-être le bonheur dun expert comme Pénot, tout simplement!

Les jumelles en main et la poésie en bandoulière, les ornithologues du dimanche savent qu’il faut marcher à pas feutrés et se garder du verbe haut. Dans la communauté des observateurs, la découverte d’un nouvel oiseau ou l’écoute de son chant se traduit par une expression très spécifique : « On a contacté » tel ou tel. Avec un peu de chance, il n’est pas rare d’accumuler plus de 30 contacts au cours d’une seule sortie. Naturellement, les saisons déterminent les fréquences. Au printemps, par exemple, les oiseaux particulièrement territoriaux donnent leur chant en spectacle. Seule ombre au tableau, la richesse des feuillages dissimule les volatiles. Il faut alors se contenter le plus souvent de les écouter faute de les voir. Quelques méthodes mnémotechniques participent à l’initiation des débutants. Ainsi le cri de la pie ressemble à une boîte d’allumettes que l’on secoue. On dit du Pouillot véloce qu’il « chafète ». En clair, il fait « tchif tchaf » et comme il s’exprime très vite, cela renvoie aussi à son nom « véloce ». Avec ses « tita tita », la Mésange charbonnière rappelle les pièces qui tombent dans la main du charbonnier. Les cris de la Fauvette à tête noire évoquent deux silex qui s’entrechoquent « chac – chac – chac ». Pour le Rouge-gorge, l’affaire se complique si l’on s’en tient à l’excellent site Oiseaux-net : « Le chant est une suite de notes sifflées et roulées, de tonalité élevée, comme un babil doux et liquide qui semble couler naturellement au long d’une phrase continue. » Si l’évocation ne manque pas de poésie, convenons qu’elle n’éclaire guère le néophyte. Fort heureusement, notre oiseau exprime plus fréquemment des « tics » d’excitation à tonalité mécanique. À n’en pas douter, c’est bien le charmant passereau au poitrail de feu qui s’affiche ainsi.

Lors d’une sortie de printemps, les trois espèces les plus « contactées » furent dans l’ordre : la Fauvette à tête noire, le Troglodyte mignon et le Pouillot véloce. Méticuleusement conservées dans un carnet de notes, ces données viennent enrichir plus d’un demi-siècle d’observations. Avec le recul, il est possible de faire un état des lieux. Sans surprise, la disparition de dizaines d’espèces l’emporte largement sur la colonisation de nouvelles. Le Bouvreuil pivoine, par exemple, s’est estompé du Bois de Boulogne et reste rare au Bois de Vincennes. L’Alouette des champs, qui nidifiait encore sur l’hippodrome de Longchamps durant les années 1970, s’est effacée du paysage. Même chose pour le Coucou, autrefois nicheur du côté de Boulogne. Quant au fameux chanteur qui s’exprime de jour comme de nuit, le Rossignol philomène, il ne niche plus au Bois de Boulogne depuis 1974. Sans doute n’a-t-il pas supporté les travaux menés en bordure du périphérique. Malgré un retour fugitif de 2000 à 2005, on ne l’a plus jamais revu.

D’autres visiteurs, moins nombreux, ont occupé l’espace. Parmi les nouveaux venus, la Tourterelle turque a conquis les lieux dès 1962, sans pour autant nidifier. Mais l’oiseau qui s’est imposé de manière inattendue reste la Perruche à collier. En Île-de-France, sa population est passée de 1100 individus en 2008 à plus de 5000  en 2016. Les vols groupés accompagnés de chants sont plutôt considérés comme plaisants, d’autant que l’on n’a pas constaté de véritable dégradation provoquée par l’espèce. Pas sûr que l’état de grâce se poursuive. En attendant, cette grande Perruche enveloppée de vert fait le bonheur des apprentis ornithologues. C’est l’un des oiseaux les plus faciles à identifier. Avec un peu d’expérience, ils pourront découvrir la Bouscarle de Cetti, également nouvelle espèce nichant sur l’étang des Tribunes, côté Seine. Ce petit passereau séduit Olivier Messiaen qui lui a consacré une pièce dans son catalogue. La consécration! 

Allain Bougrain-Dubourg

 

 

 

 

 

 

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Z
J'espère que cela permettra de protéger les survivants .
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B
Merci pour ce beau vagabondage en quête de ramage et de plumage...
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J
Tant mieux si la découverte des oiseaux explose en France. Les curieux pourront agir pour tenter de protéger le peuple des airs.
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M
Les ornithos. vont devoir apprendre a se contenter de peu, pour les plus vieux il reste les souvenirs ...
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