Le lombric se raconte

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Discret mais indispensable à la bonne santé des sols, le ver de terre est en grand danger de disparition, victime de la chimie déversée en masse dans les champs. On s'en fout ou on fait en sorte de sauver ce petit jardinier qui aère la terre sans relâche et permet à nos légumes de supporter les étés de plus en plus chauds ?

Il existe plus de 200 espèces de vers de terre qui vivent dans des niches écologiques différentes et participent ainsi de manière complémentaire à la décomposition et à l'aération des sols… Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)

Il existe plus de 200 espèces de vers de terre qui vivent dans des niches écologiques différentes et participent ainsi de manière complémentaire à la décomposition et à l'aération des sols… Photo : JLS (Cliquez pour agrandir)

« Si vous ne m’apercevez qu’en éventrant la terre, c’est que je suis un nocturne. Chaque nuit, je remonte de mon terrier vertical pour chercher de la litière. C’est lors du demi-tour que je vide mon intestin et que vous retrouvez le lendemain des « turricules » à la surface du sol. S’ils vous incommodent, sachez que ce sont des engrais admirables… Ainsi j’arrive à transformer 20 à 30 fois mon volume de terre chaque jour. Vos scientifiques ont indiqué que nous parvenions à ingérer entre 100 et 400 tonnes de terre par hectare et par an, certains évoquent même le poids considérable de 1 000 tonnes par an.

Du reste, le philosophe Aristote n’avait pas hésité à nous qualifier « d’intestins de la terre ». Et à propos d’intestin, j’avoue que nous sommes drôlement fagotés. Nous ne possédons ni yeux, ni dents mais nous pouvons nous flatter d’avoir quatre cœurs et trois paires de reins. Quant à notre respiration, elle se fait par la peau. J’ajoute que nous sommes hermaphrodites, c’est à dire à la fois mâles et femelles mais que, par bonheur, il nous faut être deux pour nous accoupler afin d’en venir à pondre plusieurs centaines d’œufs par an. Barnum aurait pu nous exhiber sans rougir sous son chapiteau. Il aurait clamé, à raison qu’en brassant le sol de profondeur, riche en argile et la surface chargée d’humus, nous fabriquons constamment la terre que vous utilisez pour vos cultures.

Notre quotidien n’est pourtant pas aussi réjouissant.

Alors que nous étions près de 100 à 200 lombrics au m², nous voilà esseulés. En certains endroits, j’ai même le sentiment que les lieux ont été abandonnés. Plus un ver de terre pour faire le travail de jardinage. Récemment, vos scientifiques du CNRS ont rendu un rapport accablant. Du côté de Chizé, dans les Deux-Sèvres, le bon professeur Bretagnolle a révélé avec ses collègues, que sur 450 km² de prélèvements, nous avions disparu dans 25 % des cas. Quant aux survivants, ils apparaissent gavés de produits chimiques en tout genre.

Les chercheurs ont, en effet, voulu voir quel était l’impact des pesticides, comprenez les insecticides, fongicides et autres herbicides sur notre quotidien. Résultat, 90 % des échantillonnages contenaient au moins l’un de ces odieux poisons. Ils ont même retrouvé sur près de 80 % d’entre nous des néonicotinoïdes avec parfois une concentration 400 fois supérieure à ce qui est mesuré dans le colza lorsqu’il est traité par l’imidaclopride, le fameux produit.

Nous, les travailleurs de l’ombre, nous voilà officiellement empoisonnés, victimes de la chimie. Ne vous étonnez pas, en conséquence, que votre terre ne soit plus généreuse, drainante même après des pluies battantes. Sa belle couleur foncée s’estompera faute d’humus. Elle perdra sa délicieuse consistance meuble et grumeleuse. Attendez-vous à constater que les racines de vos légumes peineront à atteindre les profondeurs. Ils deviendront du coup, sensibles au moindre manque d’eau durant l’été, après avoir subi une terre collante et difficile à travailler au printemps.

Beaucoup d’oiseaux aussi paieront le tribu de votre empoisonnement.

Le vanneau huppé se régale de notre petit peuple. De même que l’étourneau sansonnet, le merle noir et tant d’autres. Eux aussi finiront par s’empoisonner au rythme de la chaine alimentaire. Nous ne sommes pas éternels. Même la légende qui voudrait que, coupés en deux nous reformions deux vers n’est pas fondée. Ne pas s’en tenir aux apparences, je vous avoue humblement notre extrême fragilité en formant le vœu que notre petit peuple pourra vous servir encore le plus longtemps possible. »

Allain Bougrain-Dubourg (01.12.2020)

 

Le ver de terre? Il sait tout faire! Illustration : Coco/Charlie Hebdo

 

 

 

 

 

 

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Commenter cet article
A
Je ne suis pas très fan du dessin mais c’est bien de parler de ce ver de terre qui fabrique notre terre ! Il faut aussi rappeler que la moto bineuse et autres outils destinés à aérer la terre ne font en fait que les tuer et favoriser la dissémination de toutes ces adventices que sont les chardons et surtout les orties. Je vais mettre du foin sur mon potager et laisser les vers de terre travailler ! C’est mieux pour le sol ... et pour mon dos !!! »
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J
J'ai eu la chance qu'on m'offre un livre sur mes compagnons de jardin : "Des vers de terre et des hommes" de Marcel B. Bouché, publié en 2014 chez Actes Sud. L'auteur y propose "une synthèse des connaissances relatives aux vers de terre et aux écosystèmes". Très intéressant mais il faut du temps pour bien lire ces 300 pages !
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C
Il est si nécessaire! Dommage qu'ils soient pratiquement tous plus ou moins empoisonnés! Belle journée!
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Z
Encore un petit peuple à sauver , que la liste est longue!
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J
Tu l'as dis !
B
Oh bien le dessin !!!!
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B
Très belle lettre que je vais partager.<br /> Justement ce matin, j'ai sauvé un ver de terre. Le pauvre se tortillait sur le carrelage dans le hall de mon bâtiment, sans doute ramené sous une chaussure d'un voisin. Je l'ai vite récupéré pour le mettre dans l'herbe mouillée du jardin de la résidence.
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B
Oui il faudrait Jean-Louis !
J
C'est bien Béatrice mais, il faudra à l'avenir dire à ton voisin qu'il essuie ses pieds avant d'entrer ou alors qu'il se déchausse ;-)
M
Chez nous on en a plein, dans le fumier des chevaux entreposé, on en donne, on s'en sert dans le jardin, etc... mais je sais que le ver de terre est en danger à cause des diverses pollutions chimiques et de l'eau. Les merles se régalent, le geai des chênes aussi tout à l'heure piquait dans la pelouse.
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J
Chère Marine, il ne faut pas confondre "ver de terre" et "ver de fumier" ou "ver de compost (Eisenia fetida) : ce sont deux espèces différentes ! Le premier ne peut survivre dans le compost et le second, ne survit pas dans le sol ! A chacun son métier : le premier aère et allège le sol, le second décompose le compost (ou le fumier) et, lorsqu'il n'y a plus rien à décomposer, il disparaît comme par magie ! On peut alors considérer que le compost est "mûr" et on peut le mettre au jardin...
C
Ces petits êtres besognent dur : c'est justice de leur rendre hommage et, là, c'est fait avec tact tout en nous en apprenant beaucoup sur cet illustre inconnu !
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J
Un ami cher m'avait offert un livre "vous reprendrez bien un ver de terre". Ces créatures du dessous sont passionnantes et essentielles. C'est important de souligner leur rôle.
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J
Apparemment, tu as de bons amis, bien inspirés en tous cas !
J
Toujours très intéressant mais une chose est de chercher, trouver et vérifier les dégâts, autre chose est de vouloir et surtout pouvoir améliorer/corriger progressivement le cours des choses actuelles. Y a-t-il vraiment une inflexion ? J’espère que oui.
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J
Ah, l'indispensable et l'irremplaçable ver de terre ! Même certains "jardiniers" ignorent son rôle majeur dans le travail du sol : il méritait bien qu'Allain le mette sous les projecteurs (pas trop lontgemps, hein : ça lui serait fatal et, comme en plein soleil, il désècherai...)
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