Plan à 15 milliards pour sauver l'aéronautique : les grands industriels se taillent la part du lion
Le gouvernement a annoncé ce 9 juin un plan de près de 15 milliards d’euros pour sauver le secteur aéronautique, dont 7 milliards à destination d’Air France étaient déjà connus. Pour le reste, l’État débloque des aides d’urgence qui vont surtout bénéficier aux grandes entreprises du secteur. Les PME et ETI en sont réduites à la portion congrue.
L'Etat au chevet des grands industriels de l'aéronautique. Photo : Pascal Pavani/AFP
Durement touché par la crise du Covid-19, le secteur de l’aéronautique français, qui représente 300.000 emplois et 58 milliards d’euros de chiffre d’affaires, attendait l'annonce des mesures de son plan de sauvetage ce mardi 9 juin à Bercy. Plusieurs ministres et PDG du secteur étaient ainsi présents pour dévoiler un plan de près de 15 milliards d’euros sur trois ans, dont 7 milliards d’euros à destination d’Air France – un prêt direct de l’État de 3 milliards d’euros et une garantie de l’État sur des prêts bancaires pour 4 milliards d’euros – étaient déjà connus. Fidèle à la politique économique menée depuis deux mois, le gouvernement va en fait principalement débloquer des aides de court terme pour soutenir la trésorerie des entreprises du secteur.
Ces mesures d’urgence permettraient toutefois de sauver un tiers des emplois dans l’aéronautique, a indiqué le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire. Les compagnies aériennes vont concrètement bénéficier d’un moratoire de 12 mois sur le remboursement de leurs crédits à BPI France. "Cela représente un gain de trésorerie de 1,5 milliard d’euros pour les compagnies", a précisé le ministre. En outre, l’État s’engage auprès des campagnes aériennes achetant de nouveaux aéronefs Airbus pour qu’elles puissent "attendre jusqu’à 18 mois avant de commencer à rembourser leur crédit à l’export au lieu des 6 mois habituels. Cela représente un effort d’au moins 2 milliards d’euros", a ajouté Bruno Le Maire. Enfin, pour soutenir le carnet de commandes du tissu industriel militaire, l’État va accélérer les commandes publiques dans les trois prochaines années d'avions, d'hélicoptères et de drones pour un peu plus de 800 millions d’euros.
Des Soutiens en fonds propres insuffisants
Le gouvernement poursuit donc la tendance affichée depuis le début de la crise, comparé à l’Allemagne, les États-Unis, le Brésil ou le Japon : des garanties et des mesures de trésorerie, plutôt que de la dépense publique de long terme. Pour l’ancien capitaine d’industrie Loïk Le Floch-Prigent, c’est insuffisant. Car le vrai sujet concerne selon lui les besoins criants en fonds propres des PME et ETI, "a fortiori dans l’aéronautique, où les assembleurs sont moins touchés que le tissu de sous-traitants, qui sont pour beaucoup surendettées".
Pour alimenter les fonds propres des PME et des ETI fragilisées, Bercy s’est contenté d’annoncer la création d’un fonds d’1 milliard d’euros, doté "dès cet été de 500 millions d’euros". L’État y apportera 200 millions d’euros, tout comme les industriels Airbus, Safran, Dassault et Thalès, et "100 millions, au moins, seront fournis par le gestionnaire du fonds qui sera choisi par appel d’offre", a précisé Bruno Le Maire. Ces 500 millions d’euros permettront in fine de lever 500 autres millions sur les marchés financiers, pour un total d'1 milliard d’euros. A noter qu'un autre fonds sera créé pour la numérisation et la robotisation des PME et des ETI du secteur : il sera doté de 300 millions d’euros sur trois ans par l'Etat.
Des contreparties environnementales… pour 2035
Il serait, au reste, mal vu que l’État signe un chèque en blanc au secteur aéronautique. Comme pour l’automobile, le gouvernement a donc intégré des contreparties environnementales mesurées à son plan : "Nous nous fixons comme objectif de parvenir à un avion neutre en carbone en 2035 au lieu de 2050, notamment grâce au moteur à très haut taux de dilution et au recours à l’hydrogène", s'est félicité Bruno Le Maire.
"A cette fin, le Conseil pour la recherche aéronautique civile – le Corac – recevra un soutien massif d’1,5 milliard d’euros sur 3 ans", a-t-il ajouté. Ces aides permettront selon Bercy de garantir l’emploi de 35.000 ingénieurs hautement qualifiés, et de "développer en France les technologies de réduction de la consommation de carburant, les technologies d’électrification des appareils et les expérimentations de carburants neutres en carbone comme l’hydrogène". Spécialiste en économie industrielle de l’innovation, l’économiste atterré Benjamin Coriat est sceptique : "Un avion vert avec seulement 1,5 milliard d’euros de dépenses en R&D, c’est vraiment pas cher… On demande à voir !"
Enfin, les contreparties sociales sont, elles aussi, limitées. Les industriels du secteur se sont certes engagés à "préserver au maximum les emplois en France". Mais, assume Bruno Le Maire, "soyons lucides, il y aura des ajustements nécessaires, mais ils doivent se faire dans toute la mesure du possible sans départ contraint". Il ne s’agira donc pas d’imposer aux poids lourds de l'aéronautique de maintenir l’emploi, mais de miser sur leur bienveillance. Une bienveillance qu’ils ont posée sur papier dans "une charte d’engagement sur les relations entre clients et fournisseurs au sein de la filière aéronautique française".
Mathias Thépot/Marianne (09/06/2020)
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