Strasbourg dit non à la pêche électrique

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Après le vote d’hier au parlement européen pour l’interdiction de la pêche électrique (402 voix contre 232), l’association Bloom par la voix de Claire Nouvian peut s’enorgueillir d’avoir mené un combat exemplaire contre les lobbies industriels néerlandais et d’avoir suscité une belle mobilisation autour de ce scandaleux procédé ! Pour autant, le combat n’est évidemment pas terminé comme en témoigne l’article ci-dessous…

Grâce à un actif militantisme, le groupe écologiste (ici ses chefs Philippe Lamberts et Ska Keller) est parvenu à mobiliser le Parlement européen contre la pêche électrique. Photo AFP

Ce que dit la science sur la pêche électrique

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Si le parlement européen a tranché, le chemin avant une interdiction définitive est encore long. Surtout, les chercheurs ne sont pas certains des effets.

La pêche électrique doit être interdite. C'est en tout cas la conclusion d'un vote du parlement européen, ce mardi 16 janvier. Il faudra encore beaucoup de réunions au sein des instances européennes avant une possible interdiction totale. En attendant, les dérogations accordées depuis 2007 ont sauté, et les opposants ont salué cette victoire.

A l'inverse de la pêche au filet classique, le dispositif ne drague pas autant les fonds marins, mais envoie des impulsions électriques qui font se convulser les poissons qui vivent au fond de la mer. Ceux-ci remontent alors et sont pris dans les filets.

Mais que dit vraiment la science sur cette technique? A vrai dire, les chercheurs sont plutôt divisés sur le sujet.

Les points positifs

Une étude publiée en 2013, commandée par le gouvernement néerlandais, pionnier du secteur et ferveur défenseur de cette technique, faisait état d'un impact environnemental plutôt positif. D'abord, car les bateaux de pêche consomment entre 37% et 49% de carburant en moins. Et rejettent également moins de poissons non voulus (57%). De plus, comme ces filets n'ont pas besoin d'autant draguer le fond des océans (les poissons remontent suite à l'impulsion électrique), cela semble donc moins nocif pour les fonds marins.

Autre avantage supposé, explique le spécialiste Michel Kaiser: la sélectivité dans la taille des poissons. Le fonctionnement même de la pêche électrique fait réagir avant tout les poissons d'une certaine taille. Celle souhaitée par les pêcheurs. En conséquence, les plus petits réagissent moins à la décharge et se font donc moins attrapés. Ici aussi, le chercheur travaille en lien avec le projet du gouvernement néerlandais de pêche électrique.

Une autre étude du centre de recherche marine Wageningen (néerlandais) a étudié en 2011 l'impact sur sur les morues. Selon les résultats, les jeunes poissons, qui ne devraient pas être pêchés et passent entre les mailles des filets, n'ont montré aucune séquelle. D'autres travaux néerlandais, publiés en mars 2016, ont montré que les poissons rejetés, car trop petits, survivaient mieux que ceux pris dans des filets classiques puis remis en mer.

Une étude belge publiée en 2014 a de son côté étudié l'impact sur des crevettes et vers marins. Le but: savoir si les espèces non voulues par les pêcheurs étaient impactées par l'impulsion électrique. Les deux espèces y réagissent différemment, mais de manière générale, aucune conséquence directe et à long terme n'a été détectée.

Les points négatifs

Tout n'est pas rose pour autant pour la pêche électrique, loin de là. On pourrait bien sûr critiquer le fait que la majorité des études ont été en partie financées par le gouvernement néerlandais, en pointe sur la question. Ce à quoi il serait possible de répondre qu'elles ont été publiées dans des revues scientifiques et relues par des pairs.

Mais surtout, dans la plupart des études, les aspects positifs sont en général pondérés par des sujets d'inquiétude. Par exemple, l'étude sur les morues a montré que les poissons de la taille souhaitée (les plus gros) souffraient dans la majorité des cas (50% à 70%) de blessures vertébrales. Conséquence: des hémorragies et des fractures. Et ce, même dans le cas où les morues ne sont pas les poissons recherchés.

Même si dans le cas où cela ne toucherait que les poissons effectivement pêchés, cela pose des questions éthiques. "Les chalutiers électriques produisent des captures d'une qualité déplorable, stressées et souvent marquées d'hématomes consécutifs à l'électrocution. Les poissons sont de si mauvaise qualité qu'on ne peut rien en faire", notaient également 200 chefs dans une tribune publiée le 11 janvier.

Quant à l'étude sur les crevettes et les vers, elle n'a été réalisée qu'en laboratoire. "Malgré ces résultats prometteurs, d'autres effets indirects ne peuvent pas être écartés", estiment en conclusion les auteurs.

Ce que veut la science

Difficile en l'état de se prononcer avec certitude d'un point de vue scientifique. D'ailleurs, la plupart des études souhaitent que d'autres travaux soient réalisées pour vérifier les points positifs et négatifs de la pêche électrique.

Ainsi, le Conseil International pour l'Exploration de la Mer (CIEM), une organisation internationale scientifique, a publié son avis sur la question en février 2016, à la demande de la France. Si l'organisation estime effectivement que la pêche électrique semble avoir des avantages sur la pêche au filet classique, "le contexte de régulation existant n'est pas suffisant pour prévenir l'introduction de dommages potentiels".

Le rapport évoque notamment la question des êtres vivants qui pourraient être touchés par des dégâts collatéraux, à l'instar des morues. Ou encore la question du réglage des appareils. Plusieurs études ont montré qu'en fonction de l'intensité, de la fréquence ou du temps d'exposition, les animaux marins ne réagissent pas de la même manière. Il faudrait donc vérifier si un "bon" dosage existe.

D'ailleurs, si la pêche électrique a été interdite en Chine en 2001 après des années de pratique intensive, c'est notamment en raison d'une "utilisation non régulée avec une puissance électrique excessive et de mauvais paramètres". Les crevettes pêchées (de même que le reste de la vie marine) ont ainsi été blessées, estimait une étude chinoise de 2007.

Une autorisation européenne critiquée

Il faudrait donc que les chercheurs continuent à travailler sur la question. D'ailleurs, le comité européen scientifique sur la pêche était de cet avis... en 2006, a rappelé récemment l'association Bloom, qui a mené la lutte contre la pêche électrique. Le comité avait été interrogé sur la question d'une dérogation à des fins de recherche en Europe.

Dans son rapport, l'organisme affirmait que "si le développement de cette technologie ne doit pas être entravé, il y a un certain nombre de problèmes à résoudre avant que toute dérogation soit accordée". Quelques mois plus tard, en 2007, l'Union européenne a laissé la possibilité aux entreprises d'expérimenter la pêche électrique à hauteur de 5% du parc de chalutiers en mer du Nord.

Ce n'est pas tout. Dans un rapport de 2015, le CIEM rappelait que les 84 licences attribuées par l'Union Européenne dans le cadre de l'expérimentation de ces dernières années n'était "pas dans l'esprit du précédent conseil et qu'un tel niveau d'expansion était injustifié d'une perspective scientifique".

En effet, les autorisations récentes concernent "35% de toute la flotte de chalutiers à perche hollandais de plus de 18 mètres". Bien plus que les 5%, donc. "A ce niveau, cela revient essentiellement à permettre une pêche commerciale sous un déguisement de recherche scientifique".

 

Huffpost/Gregory Rozieres (16.01.2018)

Publié dans Environnement, Pêche

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C
bravo à Bloom ; mais parfois c'est décourageant cet acharnement , la course au profit à tout prix, sans vision à long terme autre que celle d'amasser toujours plus.
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J
Sous couvert de "recherche scientifique" les lobbies de la pêche industrielle vont naturellement tenter de poursuivre malgré tout cette scandaleuse pratique tout comme le fait d'ailleurs le Japon pour la chasse aux baleines qui se poursuit allègrement... Il faudra toutefois compter avec l'association Bloom qui, dans ce domaine, mène un combat acharné : à nous de la soutenir chacun à sa mesure !
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