Lettre des animaux aux humains déconfinés : la tourterelle des bois
Quoi de plus beau que de regarder le vol majestueux des oiseaux migrateurs ? Dépêchez-vous d'imprimer ces images dans votre mémoire à tout jamais, car grâce aux chasseurs, vous risquerez de ne plus jamais en voir…
Pour Allain Bougrain-Dubourg, Président de la Ligue pour la protection des oiseaux, cette technique de chasse est douloureuse et non-sélective. Il rappelle que les tourterelles des bois sont "une espèce à l'agonie qui a perdu 60% de ses populations". Photo : Internet
Le premier mai reste présent dans nos mémoires. Rappelez-vous, chaque année, en cette période, alors que nous quittions l’Afrique pour donner la vie en Europe, un véritable barrage de feu nous attendait au-dessus du Médoc. Depuis des centaines de pylônes, près de 3 000 braconniers nous tiraient dessus alors que la chasse était fermée. À l’époque, nous étions quelques 60 à 70 000 à tenter de franchir ce mur mortel. 30 000 d’entre nous n’y parvenaient pas, elles tombaient à terre, criblées de plomb.
Cette année, au même endroit, les ornithologues ont compté nos effectifs de passage. 5 000 oiseaux seulement ! Bilan catastrophique pour notre espèce désormais à l’agonie. Les scientifiques estiment que 80 % de nos populations se sont éteintes au cours de ces dernières décennies. La situation est jugée si grave par la Commission Européenne qu’elle a demandé à la France (et aux autres pays que nous survolons) de cesser le feu immédiatement. Qu’avez-vous répondu ? On autorisera quand même l’abattage de 18 000 tourterelles ! C’est un mépris à l’égard de l’Europe qui invite à la raison, c’est un mépris également à l’égard des scientifiques qui ont plaidé pour un quota 0. C’est un mépris enfin à l’égard des citoyens qui – consultés sur cette question – ont demandé, à 75 %, que l’on en finisse avec notre massacre.
L’arrêté pris par la ministre est d’autant plus odieux qu’il a été publié la veille de l’ouverture autorisant notre abattage. En clair, les associations, comme la LPO, qui ont souhaité faire un référé immédiat devant le Conseil d’État pour casser la décision ministérielle, étaient grandement retardées par les impératifs administratifs. Ainsi, même si le Conseil d’État retoque l’arrêté, il faudra au moins une dizaine de jours pour que cesse notre carnage. Et encore, les forces de police seront-elles présentes pour vérifier l’arrêt des hostilités ? En attendant, la fête continue. On nous canarde sans mesure. Déjà plus de 6 000 d’entre nous ont été balayées du ciel.
Par bonheur, le temps de la migration est venu. Nous éprouvons toutes le désir de rejoindre les terres du sud. Près de 5 000 km d’un voyage harassant avant de gagner les zones d’hivernation en Afrique. Cela dit, les retardataires risquent de payer cher leur hésitation à s’engager dans le grand voyage. Quoiqu’il en soit, la décision du Conseil d’État sera déterminante pour notre avenir. S’il choisit de préserver la vie plutôt que de favoriser la mort, l’arrêt de la chasse à la tourterelle sera au moins effective l’année prochaine. Notre communauté pourra venir se reproduire en France sans risquer d’en mourir.
Allain Bougrain-Dubourg/Charlie Hebdo (08.09.2020)
Illustration : Juin/Charlie Hebdo
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