Le busard cendré

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Sangliers en goguette dans les rues, renards peinards faisant les poubelles avant les éboueurs, oiseaux qui chantent sans s'époumoner pour couvrir la pollution sonore des villes... Les bêtes adorent le confinement. Enfin pas tous. Le busard cendré risquerait la peau de ses oisillons sans les militants de la LPO qui localisent leurs nids, imprudemment installés dans les plaines agricoles…

Le Busard cendré est un rapace mince, aux ailes étroites et pointues, à la silhouette fine, légère et élégante. Photo : Terre d’Oiseaux

On me dit gracieux et c’est vrai que je ne manque pas d’allure lorsque je virevolte au ras des landes et des champs. Ne vous y trompez pas, mes ballets aériens n’ont pas vocation à exhibition. Mon vol léger, voire vacillant, est savamment dosé pour approcher les petites proies qui me permettent de survivre. Rongeurs, insectes, batraciens ou lézards figurent notamment au menu. Chaque capture réussie me redonne les forces perdues lors du périple migratoire que je viens d’effectuer depuis l’Afrique.

À peine arrivé, il me faut donner la vie en commençant par séduire une femelle. La démarche reste immuable. Elle impose d’effectuer une parade nuptiale aérienne, parfois ma promise m’accompagne. Elle s’unit aux larges cercles tracés dans le ciel ou aux piqués vertigineux. Non loin de nos échanges, d’autres couples se donnent en spectacle. Du reste, nous vivons tous en dortoirs collectifs une bonne partie de l’année. Contrairement aux aigles, aux faucons et autres circaètes, nous nichons au sol. Quelle imprudence! Je nai pas encore compris comment l’évolution a permis de pérenniser un tel risque.

Quoiqu’il en soit, il me faut repérer une plaine céréalière pour y aménager un nid rustique. Quelques herbes sèches et autant de brindilles suffisent à ma compagne. Chaque année, son désintéressement me touche davantage.

Ainsi décrite ma vie ressemble à une délicieuse romance. Le ciel risque pourtant de s’assombrir. À peine les nouvelles générations venues au monde que la chorégraphie des moissonneuses dessinera de mortels ballets. Décapités, morcelés, segmentés chantournés, nos poussins qui n’aspiraient qu’à prendre les airs.

Par bonheur, chaque année vous êtes des milliers de bénévoles à localiser nos nids et négocier avec les agriculteurs afin que nous soyons épargnés. Je rends hommage à ce travail de fourmis que vous vous imposez pour nous sauver la vie. Ainsi chacun d’entre vous accepte de consacrer 15 jours minimum de son temps à la surveillance de nos nids. Durant cette période, votre engagement permet d’épargner près de 2000 jeunes busards menacés par les machines agricoles.

De grâce, déconfinez-vous!

Mais qu’en sera-t-il cette année? Le confinement vous interdit de courir la campagne pour trouver nos nids et les agriculteurs nauront guère le temps de musarder pour nous épargner.

À ce jour, le ministère de la transition écologique et solidaire est formel : pas question de lâcher les écolos dans la nature même pour la bonne cause!  Nos populations déjà très fragiles risquent d’être gravement accablées par votre absence. De grâce, déconfinez-vous! Aidez-nous à donner la vie, ou plutôt à ne pas la perdre

Alors que je concluais sur cet ultime appel, j’apprends que vous m’avez entendu. Nous les busards, les becs crochus, les mal-aimés, nous tenons à vous dire toute notre reconnaissance ainsi qu’aux bénévoles de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et autres associations que se dévouent pour notre survie.

Allain Bougrain-Dubourg/Charlie Hebdo

https://charliehebdo.fr/wp-content/uploads/2020/05/juin-bougraindubourg-busard-1792x2048.jpeg?x85182

Illustration : Juin/Charlie Hebdo

 

 

 

 

 

 

Si vous avez apprécié cette publication,

partagez-là avec vos amis et connaissances !

Si vous souhaitez être informé dès la parution d’un nouvel article,

Abonnez-vous !

C’est simple et, naturellement, gratuit !

 

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
Z
Moi aussi, j'aime bien chaque semaine lire les articles d'Allain Bougrain- Dubourg. Ce qui est impensable c'est que pour les animaux , on ne met jamais en oeuvre la solution avant les désastres .
Répondre
J
Le contenu et le dessin sont sympathiques. Je pense aussi à toutes ces vies qui disparaissent lors des fauches des prés. Les machines sont si puissantes, rapides.
Répondre
J
J’aime beaucoup ces ‘’lettres d’animaux’’ d’Allain Bougrain-Dubourg : une manière originale de nous en apprendre davantage sur une espèce, de nous informer, de nous rendre attentif aussi aux multiples périls qui menacent les animaux et que le plus grand nombre ignore bien évidemment ! Le grand danger des busards est la récolte : comme le rappelle ici l’auteur, heureusement, des bénévoles veillent… Mais ils ne peuvent être partout et nombre de jeunes oiseaux –pas seulement des busards d’ailleurs- sont réduits en charpie par les monstrueuses moissonneuses-batteuses ! Le même cruel sort touche de nombreuses autres espèces d’animaux (caille des blés, faon de chevreuil, couvée d’alouette etc.) lors de la fauche des prés… Et puis, il y a les millions d’insectes, de papillons, de petits rongeurs… qui, subissent le même funeste sort ! Les victimes ne sont pas perdues pour tout le monde : comme me le rappelait Aurélie il y a peu : les cigognes, nombreuses, suivent les faucheuses. Les buses, milans, renards et quantités d’autres opportunistes profitent de l’aubaine…
Répondre