Au Brésil, la production de nourriture rime avec destruction de la vie

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Une géographe de Sao Paulo établit, grâce à des cartes, le lien entre l’utilisation de la chimie en agriculture, la déforestation en Amazonie et l’empoisonnement des populations…

Un avion pulvérise un champ de soja près de Palmeirante, au Brésil, en février 2018. Photo : Ueslei Marcelino/Reuters

Larissa Mies Bombardi est une géographe engagée. C’est donc sous forme de cartes que la professeure à l’Université de Sao Paulo dresse un réquisitoire contre les méfaits de l’agriculture industrielle à la conquête de son immense pays, le Brésil. En 2017, l’universitaire a publié « Géographie de l’utilisation de pesticides au Brésil et connexions avec l’Union européenne », un atlas traduit en anglais en 2019.

Depuis, elle ne cesse de mettre à jour et d’élargir ses recherches. En décembre 2019, elle est ainsi venue présenter de nouvelles cartes au Parlement européen, où des élus de la Gauche unitaire européenne l’avaient invitée. Ces documents montrent notamment la progression rapide et parallèle des produits chimiques, les « agrotoxicos », et de la déforestation en Amazonie. « Le déséquilibre qui consiste à importer massivement des herbicides, insecticides et fongicides en provenance d’Europe, notamment d’Allemagne, contre des exportations de denrées agricoles est directement inscrit dans les accords internationaux », rappelle Larissa Mies Bombardi.

Le Brésil consomme, à lui seul, 20 % des pesticides commercialisés dans le monde. En quinze ans, les tonnages ont augmenté de presque 300 %, accompagnant le boum des cultures génétiquement modifiées. Son corollaire, le glyphosate, arrive du coup très largement en tête des ventes.

Epandage par avion sur d’immenses parcelles

« L’asymétrie des échanges et l’absence de réglementation sur les pesticides ont une dimension génocidaire au Brésil : une personne meurt tous les deux jours et demi d’empoisonnement », s’insurge l’universitaire de 47 ans, qui a passé son post-doctorat à l’université de Strathclyde en Ecosse. « Sur les dix substances les plus vendues au Brésil, trois sont interdites dans l’Union européenne : l’acéphate, l’atrazine et le paraquat », précise-t-elle dans son atlas. Le Brésil autorise par exemple l’utilisation sur les agrumes de 116 produits, dont 33 sont prohibés dans l’UE ; sur les 24 traitements tolérés outre-Atlantique pour les ananas et le riz, 10 sont bannis par Bruxelles, recense-t-elle encore. Elle souligne en outre le grand écart des taux de résidus : ceux du diuron, par exemple, peuvent être légalement 900 fois plus élevés dans son pays que dans l’UE.

Cependant, la mutation des paysages brésiliens a débuté dès la période de dictature militaire des années 1960, rappelle la géographe. « Pour compenser le tarissement des investissements dans le secteur des produits manufacturés, les stratèges ont misé sur l’industrialisation de l’agriculture. L’obtention d’un crédit rural était alors liée à l’achat d’intrants pour les grandes exploitations comme pour les petites. » Résultat, quelques monocultures ont fait tache d’huile. Le soja – notamment sous forme de tourteau pour l’alimentation du bétail –, est passé au premier rang des exportations en 2016. En 2002, cette légumineuse occupait 18 millions d’hectares ; en 2015-2016 elle s’étendait sur 33,2 millions d’hectares (« l’équivalent de 3,6 fois le Portugal », note l’universitaire), soit une augmentation de 79 % en superficie et de 84 % en volume.

Le Brésil est aussi le principal vendeur de sucre du monde, le deuxième producteur d’éthanol et de maïs ; tandis que le poulet, la cellulose, le café et le bœuf figurent aussi parmi ses dix principales sources d’exportation. « Dans le même temps, les cultures des aliments traditionnels riz, haricots, blé, manioc ont perdu du terrain. C’est préoccupant pour la souveraineté alimentaire, note l’universitaire. Depuis la levée du moratoire sur la canne à sucre en 2007, les plantations s’étendent en Amazonie pour répondre à la demande en agrocarburants. Cette culture n’a rien de vert : c’est le deuxième secteur le plus consommateur de pesticides. » L’épandage se fait généralement par avion sur d’immenses parcelles, au mépris des paysans et des riverains.

« Malformations congénitales »

« En tenant compte des données du ministère de l’agriculture, nous estimons que 700 000 personnes ont été intoxiquées en trois ans, car pour un cas d’intoxication déclaré, il s’en produit 50 en réalité, assure-t-elle. Dans le Brésil d’aujourd’hui, il est très difficile de porter un regard critique sur un secteur qui soutient l’économie nationale, aussi je ne travaille qu’à partir de données officielles, même si elles sont largement sous-estimées. Et même ainsi, le tableau est déjà terrible. » Larissa Mies Bombardi montre, à l’appui de ses dires, ses cartes qui recensent des milliers d’intoxications involontaires – parmi lesquelles les enfants comptent pour une large part – ou correspondant à des tentatives de suicide des paysans.

« La logique de cette agriculture moderne se traduit par la perte des droits du travail, l’expulsion des paysans, la contamination de l’environnement, des empoisonnements et des malformations congénitales, et suscite un problème très grave d’extrême concentration des terres, parfois illégale », dénonce Larissa Mies Bombardi. Elle appelle à « un nouveau pacte social dans lequel la production de nourriture ne serait pas une forme potentielle de destruction de la vie ».

La géographe, qui est l’une des administratrices de l’ONG internationale Justice Pesticides, cherche des partenaires, universitaires et autres chercheurs, pour approfondir les connaissances des impacts de ces molécules sur la santé des populations, sur les aspects économiques d’un commerce inéquitable aussi, ainsi que sur la résistance au « modèle hégémonique actuel ». Enfin, elle réfléchit à la création d’un portail Internet de partage d’informations pour la suite de son projet sur la « Géopolitique des pesticides ».

Martine Valo/Le Monde (20.02.2020)

 

 

 

 

 

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D
La folie des hommes; cela m'amène à un aspect autre mais lié : le coronavirus est la conséquence de décennies de mondialisation, les populations se déplacent pour un tourisme de masse , les aliments viennent par avion de contrées lointaines tout en polluant et en nous nourrissant de façon malsaine, ; les animaux d'élevage au lieu d'être consommés sur place voyagent dans des conditions atroces;  s'il y a un foyer ici ou là la maladie se propage vite et loin! La punition ne vient pas de Dieu comme pour Sodome et Gomorrhe, elle est la conséquence d'une folie collective mais je ne peux m'empêcher de la voir comme un fléau vengeur et je l'espère rédempteur.... et salvateur !
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D
Produire autrement et surtout le faire comprendre ce à quoi tend ton blog
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K
C'est terrible...
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Z
Entre l'agrochimie tueuse et les virus exterminateurs et baladeurs, v
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Z
Voilà aussi que les commentaires s'échappent tout seuls ! je disais donc qu'entre l'agro chimie tueuse et les virus exterminateurs et baladeurs voilà "Le Fléau"( roman de Stéphen King) !
S
Quel immense gâchis ! <br /> Je me demande bien pourquoi les brésiliens ont voté pour Bolsonaro, ne pensent-ils pas en priorité à leur santé et à celle de leurs enfants ?
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D
Chaque génération s'est un jour demandé comment elle quittera ce monde.<br /> Du temps des romains ce fut l'intoxication au plomb, les hordes barbares et autres douceurs.<br /> Au Moyen-Age, la faucheuse avait pour nom Peste, Choléra, Famine, guerres sans fin.<br /> Puis 3 conflits mondiaux vinrent écrémer le surplus.<br /> On parla plus récemment du péril jaune et de LA bombe.<br /> Aujourd'hui il semblerait que nous ayons le choix entre l'égorgement "rituel" au nom d'un dieu haineux et l'effondrement économique mondial du genre crise de 29 puissance 12?<br /> A moins que l' "agrochimie" ne prenne tout le monde de vitesse ...<br /> Les paris sont ouverts : DE QUOI CRÈVERONS-NOUS ?
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J
Et puis, il y a la grippe et, désormais aussi le Coronavirus ! Tu parles d'un choix...