« J’ai troqué mon fusil de chasse pour un appareil photo »

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Témoignage d’un chasseur repenti : Jean-François Meunier raconte au journal minimal comment, un jour, après avoir abattu un chevreuil magnifique, il a décidé d’arrêter de tuer des animaux…

Jean-François Meunier armé d’un… appareil photo. Crédit photo : Geoffroy Noizet.

Chasseur pendant plus de quarante ans, Jean-François Meunier, retraité habitant dans la Loire (42), s’épanouit désormais dans la chasse-photo, une activité pour laquelle il a reçu de nombreux prix locaux et a même été sélectionné pour le prestigieux FINN (Festival international nature de Namur).

Depuis quand êtes-vous chasseur ?

J’ai pris ma première carabine à 11 ans et j’ai chassé jusqu’à l’âge de 53 ans. J’ai essentiellement chassé le petit gibier, au chien d’arrêt – lapin, perdrix, faisan, lièvre – avant de pratiquer la chasse au grand gibier à la carabine, mais ça c’était moins ma tasse de thé, c’est même ce qui m’a conduit à arrêter. Je chassais en famille, avec mon père et mon grand-père. Et puis, j’en avais aussi la passion, il ne faut pas le nier.

Quand avez-vous décidé d’abandonner votre fusil ?

Le dernier que j’ai tiré à la carabine, c’était un chevreuil. Quand j’ai eu son cadavre devant moi, je me suis dit  « mais, il y a deux minutes cette bête, elle était magnifique, pleine de vitalité, pourquoi tu lui as pris la vie ? ». Je n’en avais même pas besoin pour me nourrir. Tuer cet animal m’a vraiment bouleversé. Et là, j’ai arrêté.

Oiseau d’eau par excellence, le grèbe huppé passe toute son existence à nager et à plonger. Crédit photo: Jean-François Meunier.

Êtes-vous devenu anti-chasse, ce jour-là ?

Non, je ne suis pas devenu anti-chasse. En fait, je suis un cas un peu spécial. Je ne chasse plus… Mais je dirige toujours un groupement de chasse privée ! Et puis je vais encore de temps en temps sur le terrain avec les chasseurs. Bon, mes chasseurs ne sont pas tout à fait des écolos, mais ce ne sont pas des tueurs invétérés. On ne lâche pas de bêtes d’élevage – j’appelle ça les cocotes ! Ils savent qu’il faut diminuer certaines formes de chasse. Ça se fait automatiquement, puisque le petit gibier disparaît. Il faudra que les chasseurs se rendent un jour à la raison. D’ailleurs, tout doucement, ils arrêtent. J’ai notamment d’anciens copains chasseurs qui s’arrêtent, commencent par prendre des jumelles et finissent par prendre l’appareil photo.

Vous ne cautionnez donc par l’idée que la chasse permette de « réguler les nuisibles » ?

Non. Il y a un équilibre naturel à respecter et l’homme l’a beaucoup détruit. Aujourd’hui il y a de moins en moins de petit gibier, du fait de l’agriculture, de la route et la chasse. La perdrix a disparu tout doucement, lapins et lièvres ont eu des maladies… Le cheptel naturel diminue de plus en plus. Alors, sur le peu qui reste, peut-on encore parler de nuisibles ?

Par exemple, le renard – qui est l’ennemi public numéro un, n’est pas si nuisible que ça. Il en faut même. Et le sanglier, aussi. Les chasseurs l’ont mis là pour compenser l’absence de petit gibier. C’est un gibier facile et très prolifique, notamment depuis qu’il y a du maïs partout. Alors maintenant, on s’étonne que le sanglier indispose les agriculteurs ou les golfeurs, qui râlent parce que leur terrain est retourné par les coups de museaux. Mais il faut dire que la population de sangliers est maintenue par les chasseurs, et que l’Office national des forêts pourrait très facilement les éradiquer !

« C’est comme ça qu’on retrouve le côté chasse : approcher sans déranger ». Crédit photo: Jean-François Meunier.

Quand êtes-vous passé à la chasse-photo ?

J’ai toujours fait de la photo. Je pratiquais déjà en tant que chasseur. C’était une activité en parallèle de la chasse… Et puis, dans les dernières années, je venais avec l’appareil photo plutôt que le fusil. Mais c’est la même sensation. C’est la même approche que je faisais quand j’avais une carabine. Néanmoins, pas besoin d’avoir chassé pour faire de la chasse-photo, même si la connaissance du gibier qu’on acquiert par la chasse aide beaucoup. Ma règle numéro 1, c’est de déranger le moins possible.

Vous vous souvenez de votre première photo ?

Bien sûr ! Ma toute première photo, c’était un rouge-gorge sur un engin agricole rouillé avec du givre autour. Elle n’a pas été tellement difficile à l’époque. Je me souviens en montagne, j’ai approché un renard sans camouflage, j’ai réussi la photo. Là, j’étais heureux.

Plusieurs de vos photographies ont été primées, combien de temps vous a-t-il fallu pour atteindre ce résultat ?

Il m’a fallu trois à quatre ans pour être au niveau. En concours, on se pose parfois la question de savoir comment la photo a été obtenue, avec des pièges, des trucages… Il y a eu une photo qui a défrayé la chronique, à un concours de la BBC. On voyait un loup sauter au-dessus d’une clôture. Et peu à peu des Canadiens, des Américains, spécialistes du loup ont dit « mais c’est pas normal, un loup ça ne saute pas les clôtures comme ça, le loup il passe à côté ou dessous », puis d’autres photographes espagnols ont reconnu le loup, « c’est le loup de tel parc », un loup dressé qui a sauté sur commande. C’est stupide !

Le tarier pâtre est une espèce de passereau. Crédit photo: Jean-François Meunier.

Quels conseils pourriez-vous donner à un chasseur phototographe débutant ?

D’abord, il faut dire que la chasse-photo ce n’est pas de la photo animalière. La chasse-photo c’est de la photo « de nature ». On ne pratique pas dans un zoo ou en appâtant les animaux avec de la nourriture. C’est comme ça qu’on retrouve le côté chasse : approcher sans déranger. Ensuite, le téléobjectif il est obligatoire. 30 mètres c’est une distance minimale pour faire une photo. Après, il faut être patient. Pour faire une bonne photo, je vais devoir sortir deux à quatre fois, pendant près de trois heures. Mais on peut prendre une très belle photo un jour parce qu’on fait une rencontre sur un chemin. Les gens seraient surpris de savoir le nombre d’animaux qu’il y a là, tapis, à côté d’eux !

Dernière chose, ce n’est pas le matériel qui va faire la photo, mais votre connaissance du terrain. Un urbain – même s’il a une très bonne connaissance de la technique photo – ça va être difficile pour lui si on le lâche comme ça dans la nature. Même moi, la semaine dernière, dans un coin du Cantal que je connais bien, je n’ai pas fait un cerf. J’en ai entrevu deux. Mais pas assez pour faire une photo. Quand on aborde le terrain, il faut savoir s’il y a un biotope intéressant pour l’espèce, savoir reconnaître les indices de présence des animaux au sol, des poils qui s’accrochent, des passages dans les fourrés. C’est une communion absolue avec la nature.

Jacques Tibéri/Le Journal Minimal (31 octobre 2017)

Publié dans Portrait

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D
Toujours en adéquation totale avec Jean-Louis et même viscéralement quand il dit " pourquoi je n'ai pas le droit de les empêcher de tuer; eux ils m'empêchent bien de regarder, juste regarder !"<br /> Malgré le contAct persistant entre ce chasseur repenti et le monde de la chasse que je ne comprends pas non plus, on peut le considérer comme un héritier de Lamartine qui a fait de même après avoir privé de vie un chevreuil et le dit dans des pages sublimement émouvantes.<br /> Je ne retrouve pas ces pages mais Jean-Louis les connaît je crois...
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M
Chouette ! Mais…<br /> Dommage que M. Meunier n’est pas totalement rompu avec le milieu cynégétique ! Le fait qu’il continue à diriger un « groupement de chasse privée » me gêne profondément ! Il y a là quelque chose comme une collusion implicite de l’activité en question… Sans doute suis-je quelque peu « extrémiste » mais, honnêtement, n’y a-t-il pas là un paradoxe évident ?
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J
Ce point-là m'a également dérangé même si je ne l'ai pas soulevé ! C'est exact : il y a là une incohérence que, personnellement, je ne comprend pas non plus !
D
Idée intéressante que je pratique, ayant troqué le filet à papillons contre l'appareil photo depuis longtemps<br /> La chasse peut cependant rester un moyen de régulation, mais il faut donner la priorité à la gestion et non à la chasse au gibier elle-même
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J
Même réponse qu'à Stef ci-dessous mon cher Domi : "gestion" et "régulation" sont d'immondes fourre-tout qui ne servent qu'à justifier une activité d'un autre âge ! Je ne parle évidemment pas des peuples dont la chasse est un moyen de survie mais de "nos" pratiques occidentales qui sont autrement discutables !<br /> D'ailleurs, tu remarqueras que le vocable "gibier" n'entre pas dans mon vocabulaire personnel : pour moi, il n'est question que de "faune" ! De même, je banni le terme de "nuisible" puisqu'il s'agit là d'une dénomination totalement subjective : dans la nature il n'y a des "nuisibles" que lorsque l'équilibre est perturbé... et, la faute à qui ?
S
Ignorant en la matière, il me semble pourtant que la chasse sélective, l'(ONF ? déciderait des proies ?), pourrait concilier chasse, équilibre naturel, intérêts professionnels et privés, et ne pas coûter un rond à l'état.
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S
Merci pour toutes ces précisions factuelles qui enrichissent le savoir. Quant à "boucherie" il me semble n'apporter rien au débat qu'une émotion peut-être excessive, émotions qui ne sont que rarement des arguments de la raison. Pour ma part j'adore manger du sanglier, et des viandes à goût forts, même si je n'en fais pas par ailleurs une religion...
J
Vaste débat Stef ! Pour faire court : tant que nous aurons besoin de « réguler » -comme ils disent- c’est que nous aurons commis de grosses erreurs ! Si l’homme n’intervenait pas –c’est un gros perturbateur…- il n’y aurait nul besoin de « gérer » une nature qui le fait très bien elle-même !<br /> Seulement voilà : l’homme a foutu une sacrée pagaille dans tout cela et le résultat est un énorme déséquilibre ! Pour ne parler que de ce que je connais (la chasse chez nous, en France) il y a tout de même quelques incohérences notables en particulier que, d’une part, on nous explique à longueurs de journées que la chasse est nécessaire (pour « réguler » donc…) et, par ailleurs, on entretient à grands coups de nourrissages de vastes populations de sangliers ! De même, toujours par souci de « régulation » sans doute, on lâche des milliers d’animaux d’élevage (ce que Jean-François Meunier appelle joliment des « cocottes »)… C’est un peu paradoxal non ?<br /> Enfin, mes lecteurs habituels le savent, je suis régulièrement outré par les tueries de renards et autres mustélidés ! Ces exterminations n’ont strictement aucune justification scientifique bien au contraire ! On sait désormais parfaitement que le renard, toujours classé nuisible, ne l’est nullement, bien au contraire : il est –tout comme le chat forestier- un redoutable régulateur naturel de micromammifères donc très utile à l’agriculture ! <br /> Malgré ces connaissances, on continue à tuer Goupil comme si de rien n’était ! <br /> Bien entendu, il arrive qu’un renard commette l’irréparable dans une basse-cour : c’est indéniable et, je suis bien placé pour comprendre qu’on puisse lui en vouloir pour ça ! Cependant, lorsque l’on analyse ces forfaits (tout comme ceux des loups) il en ressort généralement diverses négligences imputables aux propriétaires des volailles en question ! N’oublions pas que ces attaques constituent en outre du pain béni pour les chasseurs puisqu’elles justifient leur activité…<br /> Bref, si la chasse se limitait à des interventions ponctuelles pour, effectivement, limiter certaines espèces « à problème » cela pourrait à la limite être « admissible » ! Or, on le voit bien : la chasse ce n’est pas ça mais une vaste boucherie qui plus est qualifiée de sport ! <br /> C’est en fait un sinistre loisir qui magnifie tristement l’acte de tuer de malheureuses bêtes sans défense… et ça, c’est juste intolérable !
M
Bravo à Jean-François ! Il en reste malheureusement encore trop de ceux qui, comme le dit Jean-Louis, "en ont" et, qui, sans le moindre état d'âme, tirent, tirent et tuent encore ! Honte à ceux-là : en espérant qu'un jour, tous ces crimes se payeront !
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J
Comme quoi : un miracle est toujours possible ! <br /> <br /> Malheureusement, le charme a été rapidement rompu et la réalité s’est fait jour avec la cohorte de 4X4 passant devant chez moi : ces hommes-là –des vrais, des qui " en ont "…- s’en vont gaiement massacrer cette faune que moi j’ai tant de plaisir à regarder, juste regarder !<br /> On me dit que je n’ai pas le droit de les empêcher de commettre leurs méfaits, que c’est légal…<br /> <br /> C’est peut-être légal, il n’empêche que c’est injuste ! Pourquoi je n’ai pas le droit de les empêcher de tuer ? Eux, ils m’empêchent bien de regarder, juste regarder ?<br /> <br /> J'en aurai presque oublié de dire que les photos de Jean-François Meunier sont magnifiques : il a bien fait de raccrocher son fusil ! La vie sera toujours plus belle que la mort...
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J
Et... MERCI à François ! Il comprendra...