De l’œuf à la poule

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Hommage à Princesse qui vient de nous quitter : elle avait neuf ans et demi (pour une poule de cet âge, c’est quasi « canonique » et, pour le coup, le « demi » ça compte…). Princesse a eu un destin peu commun : poussin d’un jour, elle était en effet destinée à nourrir les cigognes d’un parc de la région ! Le destin en a décidé autrement et, ensemble, nous avons traversé quasiment une décennie avec tout ce que cela comporte…

La poule Princesse. Photo : JLS

Mais, avant d’en revenir au cas particulier de Princesse, il n’est jamais superflu de rappeler le sort terrifiant de ces millions de poules pondeuses confinées dans des élevages de plus en plus gigantesques et donc dépourvus de la moindre once d’humanité (1) ! Âgées de quelques semaines (18 pour être précis) les jeunes poulettes vont rejoindre l’une ou l’autre de ces « usines » (2) dont elles ne ressortiront qu’environ 70 semaines plus tard, après avoir pondu quelques 300 œufs par an. Le calvaire ne s’arrête pas lors de la « mise à la réforme » puisque les malheureux volatiles connaîtront encore les affres d’un ultime transport qui les mènera vers un abattoir situé parfois à plusieurs centaines de kilomètres… Mais, n’allons pas trop vite !

Les bâtiments de ponte

Ce sont pour la plupart d’immenses hangars dépourvus de fenêtre : difficile pour le néophyte d’imaginer que derrière ces murs ce sont des dizaines de milliers de poules qui survivent dans un univers de cauchemar où tout -l’éclairage, les tapis de fientes, l’évacuation des œufs, la distribution de la nourriture, de l’eau…- est automatisé (3) ! Afin que la rentabilité soit maximale, les volailles y sont entassées (5 à 60 par cage selon les élevages) : elles ont généralement si peu d’espace que le moindre déplacement occasionne naturellement une gêne pour les compagnes de misère…

Le vacarme dû à la densité de population confinée est évidemment assourdissant, insupportable pour tout être normalement constitué… Pourtant, les captives n’ont d’autre alternative que d’endurer cet enfer le temps que durera leur [courte] vie ! La folie très logiquement les guette et, après quelques semaines de ce traitement dément, la plupart des poules « développent des anomalies du comportement » (4)…

Et puis, il y a toute la batterie de traitements et vitamines nécessaires afin que les volailles « tiennent le coup » ! Le récent scandale lié au Fipronil n’est qu’un exemple parmi d’autres de produits (parfaitement légaux… ou pas) utilisés dans ces élevages où les risques sanitaires, concentration oblige, sont bien évidemment considérables… Mais, que le consommateur se rassure : il peut tout à son aise continuer à se gaver d’œufs issus de ces élevages monstrueux puisque les différents ministères veillent scrupuleusement aux grains J !

Photo : L214

Grandir vite, mourir jeune

Si la vie d’une poule pondeuse n’est guère enviable, celle des poulets dits « de chair » ne l’est guère davantage ! La demande de viande de volaille à bas prix ne cessant d’augmenter (5) les élevages concentrationnaires continuent très logiquement à se développer de même… Le gigantisme des installations semble, là encore, n’avoir aucune limite et, sur les 845 millions de poulets élevés chaque année en France, la plupart (80 %) le sont de manière intensive avec généralement de 17 à 22 oiseaux au m² ! La densité de population est telle –certains élevages disposent de bâtiments (injustement appelés « poulaillers ») de 40 000 individus- que « plus ils grandissent, plus leurs conditions de vie se dégradent. Cette surpopulation provoque de sérieux problèmes de bien-être et les poulets souffrent de nombreuses pathologies. Privés d’exercice essentiel pour le développement osseux, ils souffrent souvent de problèmes de locomotion. La litière n’est généralement pas changée durant la durée de vie des animaux et devient progressivement humide et chargée en ammoniac provenant des excréments. Le contact prolongé avec cette litière provoque souvent des inflammations cutanées chez les poulets... » (6).

Les races étant soigneusement sélectionnées sur des critères basés essentiellement sur la rapidité de la croissance, le calvaire des poulets en question n’excède généralement pas 40 jours (environ 6 semaines) au bout desquels les animaux atteignent leur poids idéal d’abattage !

Pour ceux qui douteraient encore de la réalité des conditions de vie décrites ici, de nombreuses vidéos sont disponibles sur les réseaux sociaux et, bien mieux que les mots, montrent les affres endurées par ces malheureuses bêtes durant leur courte vie !

Photo : L214

L’abattoir, comme une délivrance

Ultime étape d’une existence véritablement hallucinante, l’abattoir peut en effet être perçu comme tel ! Pour autant, les choses ne se passent pas aussi simplement et, avant de passer de vie à trépas, les volailles doivent encore passer par d’incontournables cases tel le « ramassage » où elles sont entassées en grand nombre dans des caisses (7) et le transport toujours éprouvant qui s’effectue selon le cours du marché sur des distances plus ou moins longues… !

Enfin, arrivées à l’abattoir, « elles sont sorties des caisses, suspendues conscientes à des crochets sur une chaîne automatique. Elles sont ensuite plongées dans un bain électrifié, saignées, déplumées, éviscérées puis conditionnées pour la consommation. L'accrochage, l'étourdissement électrique et la saignée ne sont pas des opérations indolores. Elles occasionnent stress et souffrances à un grand nombre d'oiseaux » (8)…

Photo : L214

Tout part… de l’œuf

Avant de « produire » des poulets ou des poules pondeuses, n’oublions pas l’étape du couvoir ! C’est là que tout commence en effet… D’emblée, balayons l’image bucolique de la mère-poule veillant jalousement sur ses poussins dont l’industrialisation à rapidement eu raison !

Dans ces couvoirs gigantesques éclosent quotidiennement des milliers de petites boules jaunes qui, selon les commandes, sont expédiées vers les élevages ! Certains couvoirs sont spécialisés dans la production de femelles (destinées à devenir des poules pondeuses donc) d’autres ne fournissent que des mâles (futurs « poulets de chair »). Or, dans les deux cas, les « produits non commercialisables » sont impitoyablement « détruits » et, souvent de manière violente (broyés ou entassés vivants dans d’énormes sacs poubelles)… Et c’est précisément de là que venait notre Princesse : un enfer dès le premier jour d’une existence qui aurait dû s’achever illico ! Le sort en aura décidé autrement et notre merveilleuse poule rescapée n’aura laissé indifférent aucun des nombreux visiteurs qui l’ont croisé dans le jardin où, en compagnie d’autres compagnons d’infortune, elle aura vécu une belle et, finalement, exceptionnellement longue vie de… Princesse !

JLS

 

  1. En France, elles sont entre 40 et 50 millions à vivre ce cauchemar au quotidien !
  2. Seules 25% des poules pondeuses françaises ont un accès à l’extérieur des bâtiments (bio : 7%, label rouge 5% et plein air 13%) : tout le reste ne connaîtra jamais autre chose que l’univers sordides des cages où elles sont entassées…
  3. Voir à ce propos la vidéo de L214 sur l’élevage des poules pondeuses.
  4. « Mouvements stéréotypés prolongés, agressivité (voire cannibalisme) envers leurs congénères. Leurs os sont très fragiles à cause du manque de lumière et du manque d'exercice… » (Source : L214)
  5. En 30 ans en France, la consommation de volailles par habitant a plus que doublé, passant de 12 kg/habitant en 1970 à plus de 25 kg aujourd'hui. (Source : CIWF France)
  6. Source : CIWF France
  7. « Effectué à grande vitesse par des travailleurs recrutés pour l’occasion, donc souvent inexpérimentés, [le ramassage] se fait rarement en douceur. Il occasionne fréquemment des fractures aux pattes, surtout pour les poules qui ont vécu un an en cage. » (Source : L214)
  8. Source : L214

 

Article publié dans le n° d’octobre 2017 de la revue "Vivre en Harmonie"

 

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D
Bonsoir chers tous , quel choc , hier soir en voyant la photo de "Princesse" Bien sûr que j' étais au courant de son départ, mais revoir à nouveau sa photo, je fus triste à mourir encore une fois.<br /> Hommage à Princesse. <br /> Lorsque j' étais petite fille, j' ai grandi chez mes grands parents (pauvres) avec une basse cour! Mon corps est d' ailleurs marqué par des signes dûs aux oies, au coq qui ne m' aimaient pas, mais j' étais obstinée, je voulais me faire aimée! Ce que je préférais c' étaient les poules, et elles me le rendaient bien. Lorsque ma grand'mère m' appelait et que je ne répondais pas, mon chien Floc, vrai chien de berger, (mon oncle) il lui montrait où je dormais : dans le poulailler! oui, et avec leurs poux. Lorsque j'eu la chance, au crépuscule de ma vie, de pouvoir garder Princesse! Adorable! Elle répondait à son prénom, petit déjeuner avec moi, bon pain beurré et bonne confiture, le midi ce que je mangeais, et le soir de même. <br /> Ensuite, elle se mettait devant les 3 marches à descendre et gloussait pour que je la descende! Pour faire quoi, aller dans le pré, manger des végétaux et le blé avec les pigeons! Et, revenait, pour être dans mes jambes toute la journée! Une poule n' aime pas les caresses, je lui en faisais quand même! Je lui parlais! Et, le soir,(elle avait une horloge biologique, ) après notre souper, et celui avec les pigeons, elle voulait réintégrer son poulailler, hyper propre , nickel,! Je savais exactement quelle heure , il était. Mais pendant que les patrons n' étaient pas là, nous avons quand même débordé un peu. (Cela reste entre nous) Et, moi pendant tout son circuit, ( sa boum) je suivais! ou j' attendais assise sur la terrasse dans le pré, en l' observant, ravie, elle , les chats et les pigeons! Princesse! je m'y étais attachée, oui, à une poule mais exceptionnelle, domestiquée. <br /> Et, en toute modestie , il faut comprendre un peu la psychologie animale! A mon retour à mon domicile, Jean Louis me téléphona surexcité, pour m' informer qu' elle avait pondu un oeuf, après un arrêt de 9 ans! Egoïstement, j' ai mis cela sur le compte de l' affection donnée, des écarts alimentaires, des fiestas que nous nous octroyons! Et, aujourd' hui, je ne verrais plus ma Princesse! >Je suis triste , très triste! oh, comme "son papa et sa maman" qui restent humbles et discrets. Ils ne souhaitaient surtout pas qu' elle doive souffrir! Elle est partie d'une "belle mort" et moi, je pleure! Toutes mes excuses si je vous ai ennuyé, mais c' est mon petit hommage à mon amie PRINCESSE.
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J
Oui, que de souvenirs communs ma chère Danielle !<br /> Nous sommes tristes et Princesse nous manque : c'était la dernière de toutes les volailles accueillies et jamais nous n'oublierons non plus les Noirette, Blanche-Neige, Poupoule, Cendrillon, Julie, Rico, Licot, Magalie, Esmeralda, Frenchie, Cancan, Grisette... et toutes les autres qui ont passées aux Joubarbes !<br /> Je ne peux publier tes photos dans les commentaires Danielle mais, je les "garde au chaud" et les utiliserai à l'occasion !<br /> Merci pour ton émouvant récit !
D
Princesse va manquer aux Joubarbes...
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A
quand je lis ça... je me dis que Princesse a eu bien de la chance de croiser votre route...<br /> bises à vous deux :-*
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M
Quelle tristesse que le sort de toutes ces volailles !<br /> Tout cela parce que les gens veulent de la bidoche bon marché...<br /> En plus, combien finiront à la poubelle ?<br /> J'ai honte...
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R
Bon article ! <br /> A diffuser à vos contacts...
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J
Merci pour l'ensemble de vos commentaires qui sont, comme je le disais à l’instant à Domi, un réel encouragement m’invitant à partager avec vous mes divers sujets de préoccupations ! <br /> Evidemment, on ne peut pas plaire à tout le monde et, certains thèmes abordés sont sensibles et très logiquement matière à controverse ! Je ne prétends pas détenir ‘’la’’ vérité qui est fonction de bien des facteurs divers mais, par mes modestes publications, je souhaite néanmoins contribuer à véhiculer tantôt d’autres approches des problématiques en question, tantôt faire part de mon sentiment personnel qui, naturellement, vaut ce qu’il vaut mais n’est en aucun cas plus important que d’autres…
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D
ton blog est décidément passionnant
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J
Merci ! Tes encouragements me poussent à faire encore mieux...
D
tu fais bien de mettre ce scandale en évidence ; et pourtant les solutions existent, les élevages au sol, en plein air, trouvent également j'imagine leur rentabillité
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D
Je ne peux que me sentir très proche et solidaire de la vision de Denis....hélas<br /> Quant à Princesse c'est beau de lui rendre hommage, comme a été belle sa vie, vie que nous aimerions pour toutes ses congénères.<br /> J'avoue m'être attardée sur sa photo .......
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D
Comme d'habitude il n'est pas un jour où je ne lis pas les articles du blog<br /> m'indignant et me désolant en même temps que toi devant l'étendue des horreurs perpétrées par certains humains.<br /> je dis toujours: la pire chose qui soit arrivée à cette planète fut l'apparition des hommes<br /> après tout, son auto destruction programmée remettra-t-elle les pendules à l'heure ...<br /> il est à redouter que les plus ignobles survivent<br /> Ce qui me navre c'est que tout ce gâchis a pour dénominateur commun, cupidité, voracité, folie des grandeurs<br /> il suffirait de "pas grand chose" pour accorder une pause à la planète.<br /> Or nous le savons il n'en sera rien car il n'existe pas de digue ni de rempart contre la folie et la violence de certains.<br /> Toujours plus, toujours plus vite, toujours plus haut mais à quoi bon ?
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S
Il est bien triste que l'exigence de rendement mène au mépris du vivant.
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O
Article très intéressant, qui tout en rendant hommage à Princesse, permet à travers elle d'informer quand aux conditions honteuses d'exploitation de ses congénères .<br /> Merci Jean-Louis
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