Utopia : le cinéma le plus écolo de France est à Pont-Sainte-Marie

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Des toilettes sèches, un chauffage biomasse, un bâtiment en bois : ce cinéma de l'agglomération de Troyes (Aube) appartient au réseau Utopia. Il espère inspirer d'autres salles obscures de France pour gagner en sobriété énergétique…

Eco-construit et autosuffisant en énergie, le cinéma Utopia a ouvert à Pont-Sainte-Marie (Aube) en décembre 2022. Photo : Anne Faucon

C’est le cinéma qui rend vert de honte tous les autres. À Pont-Sainte-Marie, près de Troyes, à quelque 200 km à l’ouest de Paris, vient d’ouvrir le premier cinéma 100 % écolo de France et peut-être bien d’Europe, et pourquoi pas du monde.

Tous les éléments convergent vers ce branding écoresponsable, de l’isolation en paille aux murs en bois, des panneaux solaires sur le toit aux projecteurs laser à faible consommation énergétique jusqu’au système de récupération des eaux et au chauffage à la biomasse. Même les toilettes sèches participent à l’effort de l’écociné.

« Je pense qu’à l’avenir, les salles de cinéma vont venir à l’écologie pour faire des économies, pas nécessairement pour des valeurs déontologiques, mais, peu importe, l’essentiel c’est qu’on y aille », dit en entrevue au Devoir Anne Faucon, directrice générale de l’établissement inauguré en décembre. C’est elle qui a développé le minicomplexe de quelque 850 mètres carrés comptant quatre salles.

Le contenu est évidemment à l’image du contenant. La programmation reste entièrement vouée aux films d’art et d’essai sans blockbuster hollywoodien. On ne sert pas non plus de pop-corn ou de friandises. C’est le cauchemar des cinémas Guzzo.

La salle verte est la septième du réseau Utopia, consacré au cinéma de répertoire et de qualité, et cofondé par Anne-Marie, la mère d’Anne Faucon. « Ce n’est pas une entreprise familiale quand même, précise-t-elle. Je n’ai pas eu droit à du favoritisme. Je ne suis pas la fille de Bernard Arnault, quoi. »

Anne Faucon explique ensuite longuement le parcours atypique de sa maman, née dans une famille sans le sou, devenue infirmière en psychiatrie avant de se réorienter en créant avec des potes soixante-huitards cinéphiles, en 1971, un premier cinéma indépendant dans une salle prêtée par l’Église à Aix-en-Provence. La salle a ensuite déménagé dans une ancienne église d’Avignon et est devenue officiellement Utopia. L’expansion reste surtout concentrée dans le sud de la France, notamment à Bordeaux, à Montpellier et à Toulouse.

Le gros bon sens écolo

Anne Faucon a quitté cette ville au bout de 25 ans pour lancer plus au nord son projet de construction d’un cinéma du XXIe siècle. Elle négociait avec Troyes, envisageait un plan B, quand elle a reçu l’appui décisif de la mairie de Pont-Sainte-Marie, déjà bien engagée dans le développement durable, petite ville pionnière de « l’hippomobilité », la collecte des ordures s’y faisant avec un cheval de trait.

« Dès le départ, je voulais construire une salle écologique en démontrant que ça ne coûte pas nécessairement plus cher, dit Mme Faucon fille. À Toulouse, les architectes nous répétaient sans cesse qu’il fallait compter 30 % de budgets supplémentaires avec cette option. »

La construction d’Utopia Pont-Sainte-Marie a coûté 2,5 millions d’euros (3,4 millions de dollars), financée par des emprunts à 60 %. Environ 600 000 euros viennent de divers paliers gouvernementaux, et 100 000 euros des citoyens. La Ville a cédé le terrain pour un siècle.

Le résultat n’est pas certifié écolo (genre LEED), et Anne Faucon n’y tient pas. « Je n’ai pas envie de demander de label. C’est encore un truc pour vous faire payer. C’est comme pour la certification bio des légumes en plastique que vous retrouvez dans les grandes surfaces en décembre. Disons que je suis pour le label du bon sens. »

Elle fait aussi observer que pour vraiment connaître le bilan d’un cinéma, il faut considérer le béton et les autres matériaux de la construction, mais aussi inclure ses factures d’électricité, toute la malbouffe vendue, « y compris le maïs modifié par Monsanto », et le nombre de spectateurs accueilli. « La meilleure énergie, c’est celle qu’on ne consomme pas, dit-elle. Avoir des salles à taille humaine, c’est bien. »

Tous les choix faits à Pont-Sainte-Marie vont dans ce gros bon sens écolo. Les meubles proviennent de brocantes et de dons. Le minicomplexe composte au max. Les projecteurs 2K se passent « des Avatar et des autres conneries américaines en 3D ». Le papier des toilettes sèches sert à allumer le feu.

Les salles ont ouvert le 21 décembre. Les films indépendants composent 95 % de la programmation, qui génère 90 % des revenus. En France, plus de 1300 salles généralistes reçoivent du soutien étatique (une dizaine de millions par année au total) en proposant un minimum de 15 % de films indépendants, souvent projetés à des heures peu attrayantes.

L’achalandage est au rendez-vous dans la salle modèle, selon la directrice. Même au guichet, l’étonnante aventure se poursuit avec ses valeurs assumées. Les billets s’achètent sur place, à l’ancienne, pas en ligne et surtout pas à une machine.

« Quand une représentation est pleine, on en suggère une autre et on explique nos choix, conclut Anne Faucon. Il n’y a pas de place pour Xavier Dolan ? On peut rabattre nos cinéphiles vers un petit film moins connu qui n’a pas eu la même chance publicitaire. Il faut faire la queue chez nous. On a l’instinct des mammifères, comme dit Richard Desjardins. On a besoin de se regrouper. »

Stéphane Baillargeon/Le Devoir

 

 

 

 

 

 

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Z
Une belle initiative qui devrait être largement imitée!<br /> Amitiés Jean-Louis.
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B
Super ce cinéma<br /> Il me fait penser à celui de Tournefeuille en Haute-Garonne dans un bâtiment en bois... des salles petites et calfeutrées, des tables au coin du feu pour se reposer ou boire une collation... J'aimais beaucoup y aller.<br /> Bon dimanche Jean-Louis
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D
Là encore : une démonstration de ce à quoi il faut tendre !
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J
Bien d’accord, pourvu que d’autres suivent…
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M
Très belle réalisation espérons qu'elle fera des émules un peu partout.
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