La dernière danse des abeilles

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Décrété journée mondiale des abeilles, le 20 mai rend hommage au Slovène Anton Janša qui, au 18ème siècle, fut pionnier de l’apiculture moderne. Le brave homme doit se retourner dans sa tombe en constatant le destin pathétique des butineuses. Retour en arrière pour tout comprendre.

Photo : Jean-Louis Schmitt (Cliquez pour agrandir)

C’est durant les années 2000 que les abeilles commencent à butiner nos consciences. Alors qu’elles tentent de survivre à l’hiver, blotties dans leurs ruches, les apiculteurs et les associations de protection de la nature se rassemblent en ce mois de février 2008 pour plaider leur cause. Peine perdue. Manifestant devant le ministère de l’Agriculture, ils sont reçus avec autant de courtoisie que d’indifférence. Henri Clément qui conduit la marche au nom de l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF) refuse de baisser les bras. Il n’a pas le choix, la situation se révèle catastrophique. À l’époque, près de 30 % des colonies d’abeilles se sont éteintes depuis la fin des années 1990, tandis qu’en 10 ans, 15 000 apiculteurs cessèrent leur activité. Conséquences : la production nationale chute de 50 %, ouvrant la voie aux importations qui triplaient dans le même temps.

Les raisons du drame sont multiples mais une constante émerge : l’usage criminel d’un cortège chimique qui prétend faire le bonheur de la production agricole. Les abeilles vont-elles connaître leur dernière danse? La mobilisation générale sorganise. Un collectif dépassant les 400 parlementaires plaide pour une trêve en faveur des abeilles, des entreprises installent des ruches sur le territoire, tout comme de nombreuses municipalités.

L’opération « L’abeille sentinelle » initiée par l’UNAF contribue à sensibiliser l’opinion publique qui découvre simultanément que 35 % de notre alimentation repose sur la pollinisation des abeilles tandis qu’elles fécondent 80 % de notre environnement végétal. Ainsi, près de 20 000 espèces végétales souvent menacées survivent grâce à cette action pollinisatrice.

L’impact de l’homme

À l’évidence, les abeilles sont essentiellement malades de l’homme. C’est en partant de ce principe que les apiculteurs ont poursuivi leur action d’alerte, dénonçant notamment l’usage des néonicotinoïdes, ces substances insecticides qui se diffusent dans toute la plante pour la protéger des ravageurs. Surnommés « tueurs d’abeilles », les « néonics » agissent sur le système nerveux des butineuses en impactant également d’autres espèces. L’espoir renait en 2015 avec la loi sur la « reconquête de la biodiversité », qui met théoriquement un terme à l’hécatombe en s’accordant cependant quelques délais. L’interdiction est effective en 2018 et s’autorise la possibilité de dérogations sous conditions jusqu’en 2020. Pourquoi se gêner? Cette année-là, Julien Denormandie décide de déroger à nouveau durant trois ans en faveur des betteraviers.

Les bonnes habitudes étant prises, en début d’année 2023, Marc Fesneau s’apprête à récidiver pour répondre à nouveau aux demandes des betteraviers. Lasse, la Cour Européenne de Justice sonne définitivement la fin de la partie le 19 janvier dernier. Début mai, c’est le Conseil d’État qui annule, à son tour, à posteriori, les arrêtés qui avaient autorisé « provisoirement » l’emploi de ce type de pesticides pour le traitement des betteraves. L’agroalimentaire n’a pas dit son dernier mot.

Estimant que d’autres pays européens s’accommodaient sans conséquences de dérogations, il dénonce le potentiel d’une concurrence déloyale. Les tribunaux ont encore du pain sur la planche. En attendant que l’affaire trouve un épilogue, le Sénat a clairement condamné les lobbyistes pro pesticides ayant prétendu que les interdictions d’usage pourraient conduire à la destruction de 27 000 emplois « directs » et de 1 000 emplois « indirects ». Sèchement dénoncée par le président du Sénat, Phyteis, l’organisation représentative des producteurs de produits phytosanitaires, a dû admettre que le chômage n’était pas au rendez-vous, contrairement à ce qu’elle prétendait.

Photo : Jean-Louis Schmitt (Cliquez pour agrandir)

Des menaces multiples

Côté producteurs de miel, on doit faire face à d’autres pressions et notamment celles des varroas, ces acariens débarqués depuis l’Asie du Sud-Est au début des années 1980, ou celles des frelons asiatiques. Sans oublier la crise climatique dont l’impact est déjà avéré. Résultat, les ouvrières écourtent leur durée de vie et récoltent moins de nectar et de pollen. La production de miel s’en trouve d’autant affectée. L’UNAF, premier syndicat apicole de France, rassemblant quelque 23 000 apiculteurs, distingue les amateurs (moins de 50 ruches) des pluriactifs (50 à 200 ruches) et des professionnels (plus de 200 ruches).

La production française de miel pèse 20 000 tonnes les bonnes années et autour de 10 000 tonnes les mauvaises, contre 33 000 tonnes au début des années 90… La France, qui figure parmi les grands amateurs de miel en Europe avec quelque 600 grammes par an et par habitant, doit donc importer plus de 30 000 tonnes pour satisfaire ses besoins. L’Ukraine figurait en tête de liste des pays exportateurs, avec l’Espagne. Viennent ensuite l’Argentine et enfin la Chine. Cette dernière commercialiserait à elle seule le quart de la production mondiale de miel, soit plus de 450 000 tonnes.

Si la quantité est au rendez-vous, qu’en est-il de la qualité? LUnion Européenne a débusqué récemment des fraudes sur 46 % des miels analysées avec, principalement la dilution de sirop de sucre. Norberto Garcia, président de l’Organisation Internationale des Exportateurs de Miel se confiant à la revue Reporterre, soulignait que les exportations de miels originaires d’Asie avaient augmenté de 196 % alors que, dans le même temps, le nombre de ruches n’avait grimpé que de 13 %. « À moins que les abeilles asiatiques et en particulier chinoises soient devenues très productives, des sirops sont ajoutés au miel », avait ironisé le professeur syndicaliste argentin.

Allain Bougrain-Dubourg

 

 

 

 

 

 

Si vous avez apprécié cette publication,

partagez-là avec vos amis et connaissances !

Si vous souhaitez être informé dès la parution d’un nouvel article,

Abonnez-vous !

C’est simple et, naturellement, gratuit !

 

 

 

 

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
Z
A pleurer! A hurler!
Répondre
B
C'est dramatique...
Répondre
M
Les abeilles ne sont que la partie émergée de l'iceberg des centaines d'espèces meurent des effets des insecticides. Quant au miel chinois un reportage a montré il y a quelques années que les chinois avaient mis au point des miels artificiels qui ne sont pas issus des abeilles mais de la chimie ...
Répondre
J
C’est malheureusement toujours la même logique, nous mettons aux manettes des irresponsables qui favorisent coûte que coûte les intérêts financiers avant toute considération. C’est une délinquance grave et criminelle car notre intérêt vital passe par les abeilles, entre autres d’ailleurs, dont le rôle dans la pollinisation n’est plus à démontrer. Toutes ces obscures politiques qui sévissent depuis des décennies viennent en plus nier par l’action de leurs représentants les données scientifiques qui reposent sur des travaux et des études confirmées auxquelles nous ne donnons pas assez la parole. C’est ainsi que j’ai entendu hier soir le ministre de l’écologie dire en réponse à un journaliste de l’émission Quotidien qui lui faisait remarquer qu’il ne répondait pas à la question posée que sa réponse à lui, ministre, était ce qu’il avait envie de dire. Quel mépris face pourtant à des arguments importants sur l’inaction concernant le réchauffement climatique. Ces gens là pensent que leur parole est supérieure à toutes les autres, ils utilisent leur position ministérielle pour asséner leur vérité qui se fiche éperdument des intérêts pour la vie, privilégiant le fric, leur pouvoir, leur prétention sans limite et de plus en s’affichant en bienfaiteurs d’une masse populaire probablement considérée comme inculte.<br /> Il nous faudrait bien autre chose au pouvoir…
Répondre
D
Un drame se joue
Répondre