Accusé de ne pas suffisamment protéger la biodiversité, l’Etat se retranche derrière le droit européen

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Les cinq associations à l’origine du recours en « carence fautive » pour les défaillances du processus de mise sur le marché des pesticides ont répondu aux arguments du gouvernement.

Pie-grièche écorcheur (« Lanius collurio ») mâle sur une branche. (Alsace Bossue). Photo : Jean-Louis Schmitt (Cliquez pour agrandir)

Pie-grièche écorcheur (« Lanius collurio ») mâle sur une branche. (Alsace Bossue). Photo : Jean-Louis Schmitt (Cliquez pour agrandir)

Arguments contre arguments. La bataille entre associations de défense de l’environnement et gouvernement se poursuit dans le cadre de la procédure « Justice pour le vivant ». Il y a un an, cinq organisations ont déposé un recours pour « carence fautive » contre l’Etat français pour manquement à ses obligations de protection de la biodiversité : elles l’accusent, en particulier, d’être responsable de défaillances dans le processus d’autorisation et de mise sur le marché des pesticides, qui ont une répercussion majeure sur la destruction des espèces et des écosystèmes.

Mardi 24 janvier, ‘’Pollinis’’, ‘’Notre affaire à tous’’, ‘’l’Association pour la protection des animaux sauvages’’, ‘’l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières’’ et ‘’Biodiversité sous nos pieds’’ devaient rendre public le dépôt auprès du tribunal administratif de Paris de leur « mémoire en réplique », dans lequel elles répondent aux arguments de l’Etat. Ceux-ci ont été rendus au tribunal le 19 décembre 2022, le jour même de la signature au Canada, à l’issue de la COP15, d’un accord mondial visant à mettre un terme à l’érosion de la biodiversité.

Les failles du système européen d’évaluation des risques liés aux produits phytosanitaires ont été identifiées de longue date, mais persistent en raison du blocage de certains Etats et d’industries. Parmi ces insuffisances figurent notamment la non-prise en compte ou la sous-évaluation des « effets cocktails » – les conséquences de la coexposition à plusieurs substances –, des effets sublétaux, ou encore le fait que les espèces utilisées pour les tests ne sont pas représentatives de l’ensemble des classes d’espèces concernées.

Possibilité « d’aller plus loin »

Dans sa réponse de décembre 2022, un document de moins de vingt pages que Le Monde a pu consulter, le gouvernement ne conteste pas ces lacunes, mais rejette toute « faute ». Son principal argument est qu’il ne dispose « d’aucune marge de manœuvre », la procédure d’autorisation de mise sur le marché étant « entièrement harmonisée et complètement encadrée » par le droit de l’Union européenne (UE). La France, comme les autres Etats membres, n’aurait donc aucune « capacité d’action » pour modifier la procédure à l’échelle nationale.

Les associations estiment toutefois que l’Etat ne peut se retrancher derrière cet argument. « La réglementation européenne donne un cadre, mais n’empêche pas les Etats d’aller plus loin, assure Julia Thibord, responsable du contentieux stratégique à Pollinis. Au contraire, l’UE exige qu’ils complètent si nécessaire ses règlements pour s’assurer que les principes généraux, tels que le principe de précaution ou la protection effective de l’environnement, sont bien respectés, et pour prendre en compte les dernières connaissances scientifiques et techniques. »

Les cinq organisations soulignent que des Etats, dont la Belgique ou le Danemark, dérogent déjà aux règlements européens ou ont mis en place des cadres nationaux spécifiques. « Nous avons toutes les connaissances scientifiques nécessaires pour mettre à jour le processus d’évaluation, insiste Barbara Berardi, directrice de la recherche à Pollinis. Ne pas le faire n’est justifié ni scientifiquement ni juridiquement. »

Des objectifs non contraignants

Si la question du processus d’autorisation des produits phytosanitaires est au centre de la procédure lancée dès 2021, les associations estiment que le gouvernement a commis une autre faute en ne respectant pas ses engagements en matière de réduction de l’usage des pesticides. Dès 2008, par le biais d’un premier plan Ecophyto, qui a été suivi par deux autres plans, il s’était fixé l’objectif de réduire de moitié l’usage des produits phytopharmaceutiques et biocides en dix ans.

Sur ce point, l’Etat affirme que ces objectifs ne sont pas contraignants et n’engagent donc pas sa responsabilité – à la différence, par exemple, des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. « Si l’existence du plan Ecophyto est prévue par la loi, le législateur n’a pas repris les objectifs quantifiés qu’il fixe, écrit-il dans son argumentaire. Ces objectifs ont donc toujours une valeur programmatique. » L’accord de Kunming-Montréal, adopté lors de la COP15, prévoit une baisse de 50 % des risques liés aux pesticides d’ici à 2030, une cible qu’ont notamment défendue la France et l’UE. « Un juge peut tout à fait dire si un objectif est contraignant, explique Dorian Guinard, maître de  conférences en droit public à l’université Grenoble-Alpes et membre de Biodiversité sous nos pieds. C’est, par exemple, ce qu’ont fait le Conseil d’Etat en 2020 puis le tribunal administratif en 2021, à propos de l’accord de Paris, en donnant ainsi tout son sens à la stratégie nationale bas carbone. Concernant les pesticides, il n’y a jusqu’ici pas eu de consécration normative pour dire que la cible était contraignante, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne l’est pas. »

« Pluralité de causes »

Enfin, l’Etat rejette, dans son argumentaire, le lien de causalité entre la « faute » qui lui est imputée – les défaillances du processus d’homologation des produits phytosanitaires – et le préjudice écologique lié – le déclin de la biodiversité. « Une pluralité de causes et d’acteurs peuvent être associés à la contamination des sols et des eaux ainsi qu’au déclin de la biodiversité et de la biomasse, précise-t-il. La carence alléguée à l’Etat ne peut à elle seule constituer la cause du préjudice écologique. » Si l’érosion de la biodiversité est multifactorielle, les scientifiques s’accordent toutefois sur le fait que l’usage intensif des pesticides en est l’une des causes majeures. Dans un rapport d’expertise collective publié en mai 2022, les chercheurs de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement et de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer affirment, par exemple, que les produits phytosanitaires sont « une des causes principales » du déclin des invertébrés terrestres et des oiseaux dans les zones agricoles, et qu’ils sont mis en cause dans la disparition des amphibiens et des chauves-souris. L’Etat dispose maintenant de trois semaines pour répondre, s’il le souhaite, au mémoire de soixante-dix pages déposé par les associations.

Perrine Mouterde

 

 

 

 

 

 

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J
Lorsque l’on se retranche derrière des subtilités de textes législatifs pour se dédouaner et en particulier sur tous ces sujets de la protection de la nature comme ici, c’est que l’on est complètement idiot !
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B
Consternant...<br /> Bien jolie photo de cette Pie-grièche écorcheur
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Z
Le puissant lobby de la chimie tueuse dicte sa loi! Et l'Etat dit amen!
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M
Comme toujours l'Europe sert de paravent au gouvernement qui n'hésite pas à tordre les textes dans le sens qui l'arrange. Dans ce cas précis pour ne surtout pas contrarier les tenant de l’agriculture industrielle et le lobby chimique qui va avec.
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