Le préfet de Haute-Savoie sonne le glas des bouquetins

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Bafouant les appels à la raison, la préfecture de Haute-Savoie fait procéder à la destruction immédiate de 75 bouquetins des Alpes, sur pression des éleveurs et des élus locaux…

Bouquetin des Alpes. Photo : Jérémy Calvo

Décidément, c’est devenu une habitude dans l’administration : on choisit le vendredi, en dernière minute, pour prendre les arrêtés qui meurtrissent la faune. Le Ministère de la Transition écologique avait usé de cette ficelle pour rétablir le piégeage aux alouettes, le préfet de Haute-Savoie vient de faire de même pour autoriser l’abattage de 70 bouquetins des Alpes, espèce théoriquement protégée. Ainsi, dans les deux cas, le temps que les associations et les tribunaux se retournent, même en référé (autrement dit, en urgence), les massacreurs peuvent œuvrer en toute tranquillité.

Concernant les bouquetins du Bargy, l’affaire mérite un retour en arrière. Déjà, en avril 2020, le noble animal s’exprimait dans Charlie Hebdo pour plaider sa cause. Il rappelait à cette occasion qu’après avoir été abattus dans toutes les hauteurs montagneuses, les ultimes survivants furent préservés par la création du Parc National du Grand Paradis en Italie puis, plus tard, dans celui de la Vanoise en France. Heureuse époque où l’espèce passait d’une soixantaine d’individus, dans les années 1960, à près de 1 800 aujourd’hui.

La touchante histoire digne d’un épisode de Belle et Sébastien s’est sérieusement détériorée avec l’apparition en 2012 d’un foyer de brucellose mis en évidence parmi la population des bouquetins du Bargy. L’affaire aurait pu rester anecdotique si le Bargy en question n’était pas l’un des hauts lieux de la production du fromage Reblochon. Vent debout, les 70 exploitations bovines locales et la filière ont demandé l’abattage des bouquetins. Effectivement, on ne plaisante pas avec une zoonose bactérienne qui peut provoquer des avortements, une réduction de la fertilité, des atteintes articulaires ainsi que des pertes de productions et autres désagréments non négligeables. Prudent, l’Office Français de la Biodiversité prévient : « L’origine du foyer bovin étant initialement inexpliqué, des investigations menées dans les populations sauvages ont permis de découvrir que les bouquetins étaient largement infectés. » Ce constat ne signifie pas pour autant que les bouquetins soient à l’origine de la zoonose. Peut-être en sont-ils également victimes. Peu importe, conclut l’administration, la solution s’appelle éradication! Près de 500 bouquetins sont abattus tandis que les tests font apparaître que 130 seulement sont positifs.

On aurait pu en rester là si, en novembre 2021, on ne constatait l’apparition d’un nouveau cas de brucellose chez un bovin. En réaction, la préfecture de Haute-Savoie autorisait l’abattage de 170 bouquetins de manière indiscriminée. En clair, inutile de savoir si l’animal est positif ou non, le premier venu passera de vie à trépas. Cette décision radicale venait à autoriser l’abattage de plus de la moitié de la population locale d’une espèce protégée, estimée à quelque 300 individus dans la région… pour en éliminer 4 malades.

France Nature Environnement One Voice et la LPO ne sont pas restées indifférentes. Lançant un recours de suspension de l’arrêté auprès du Tribunal administratif de Grenoble, elles obtenaient gain de cause le 17 mai 2022. Obstiné, le préfet de Haute-Savoie récidivait en déposant un nouveau projet d’arrêté en juillet 2022 pour en finir avec les bouquetins qui n’ont pas pu être capturés et testés, soit 75 individus. Son acharnement n’a évidemment pas tenu compte de la consultation publique qui a pourtant recueilli 88 % d’avis défavorables. Même le CNPN (Conseil National de Protection de la Nature) sollicité pour la circonstance, avait émis un avis défavorable le 16 juin 2022. Par ailleurs, depuis le printemps 2022, 170 bouquetins capturés ont révélé que 96 % d’entre eux n’étaient pas porteurs de la maladie.

Face au constat, de nombreux biologistes s’opposent à la radicalité. En abattant « à l’aveugle » les bouquetins, on désorganise la hiérarchie sociale des hardes et on contribue à contaminer davantage d’individus. Une thèse de Sébastien Lambert, codirigée notamment par l’Université de Lyon et l’Anses, démontrait que la seule stratégie acceptable consistait à réaliser des captures en euthanasiant exclusivement les animaux séropositifs.

Seulement voilà, en matière de zoonose, les vieilles habitudes font toujours recette. Un cas avéré dans un élevage et toutes les bêtes doivent disparaître. Sauf que, dans la nature, il en va tout autrement. Les animaux conservent une autonomie qui ne se règle pas par un abattage collectif. Ignorant cette réalité, le préfet de Haute-Savoie a décrété que, dès lundi matin 16 octobre et jusqu’au 18 octobre, l’accès au massif du Bargy serait interdit au public. Amis de la nature et des animaux, circulez il n’y a rien à voir lorsque l’administration effectue ses basses besognes. En désespoir de cause, les associations vont une nouvelle fois se retourner devant le Tribunal administratif en urgence. Mais elles seront évidemment prises de vitesse par le zèle admirable du préfet.

Allain Bougrain-Dubourg

 

 

 

 

 

 

 

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B
Ce massacre programmé est scandaleux !!<br /> Je suis écœurée...
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Z
Une telle décisione résume bien toute la politique en faveur du massacre des animaux . Je suis écoeurée!
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J
C’est toujours la même chose, petits cerveaux, petits esprits, intelligence étriquée et n’agissant aveuglément que pour détruire.
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C
Ecoeurant et parfaitement inutile d'autant qu'à cette époque de l'année les vaches sont descendues des alpages et ne mangent donc plus l'herbe soit disant contaminée par les bouquetins. C'est le même préfet qui autorise la construction de la retenue d'eau à La Clusaz......
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M
Triste mais il fallait s'y attendre c'est tellement plus simple de massacrer que de réfléchir. Et le lobby paysan a bien plus de poids auprès des politiques que toutes les associations de protections réunies.<br /> Suggestion boycotter le reblochon en représailles surtout qu'il est très probable que ce sont le bovins qui contaminent les bouquetins et non l'inverse.
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