Entretien avec Pablo Servigne : effondrement et émotions

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Comment gérer ses émotions face à la crise environnementale ? L'auteur collapsologue Pablo Servigne en discute avec Julien Perrot.

A la mi-août 2022, j'étais de passage dans la Drôme où Pablo Servigne m'a invité. Après un début d'été caniculaire et plusieurs feux de forêt dans cette région, il vient de pleuvoir. Nous profitons donc de la fraicheur relative pour discuter au pied d'un arbre.

C'est la deuxième fois que nous nous rencontrons. Pablo était venu en Suisse en 2020. Nous avions pu alors apprendre à identifier les chants des pics dans une première vidéo et discuté de l'effondrement dans une seconde.

Pablo Servigne a écrit de nombreux livres, dont "Comment tout peut s'effondrer" sortit en 2015 qui annonçait la fin probable de notre monde industriel.

Mais finalement, il y a toujours eu des gens qui annonçaient des fins du monde

Oui, il y a toujours eu des fins du monde, ou des effondrements de civilisation et de société. En plus, je pense que la veille des effondrements, il y a toujours eu des gens qui n'y croyaient pas et disaient que tout allait continuer. Aujourd'hui, on ne sait pas ce qu'il va réellement se passer. Cependant, tous les signes convergent vers une décroissance et d'autres éléments montrent qu'on ne pourra pas maintenir notre niveau de vie. Il v a y avoir beaucoup de perturbations, de problèmes et d'autres euphémismes pour éviter de prononcer le mot effondrement.

En vérité, on ne saura qu'on a vécu un effondrement seulement lorsque les historiens de futur analyseront notre époque.

Ce discours sur l'effondrement suscite beaucoup d'incrédulité chez certaines personnes, mais aussi beaucoup d'émotions chez d'autres

Oui, la peur, la colère, la tristesse et le désespoir. Mais cela a aussi provoqué beaucoup d'actions. De nombreuses personnes ont changé de vie pour réagir face à la peur. Étymologiquement, émotion, c'est "motion", le mouvement. Et d'un point de vue biologique, une émotion est un signal d'alarme du corps qui indique qu'il faut bouger. La peur nous fait fuir ou nous battre, la colère nous fait dire non. Les émotions doivent nous faire bouger, il y a un problème quand on ne bouge pas.

Donc ces émotions que provoquent ces nouvelles inquiétantes sur l'état du monde sont positives ?

Elles ne sont ni positives ni négatives. Il y en a qui sont désagréables comme la peur et d'autres agréables. Il faut les voir comme un tableau de bord. Certaines émotions nous indiquent que quelque chose ne va pas et qu'il faut bouger. Si on les cache, on est aveugles à nos propres besoins.

La peur ne te paralyse pas ?

C'est une émotion qui m'habite depuis longtemps. C'est une belle énergie de vie, un réflexe de survie qui nous aide à fuir. Par contre, si la peur est trop grande, elle peut paralyser et rend très vulnérable. D'ailleurs, c'est pour cela que les régimes politiques qui utilisent la peur ont une plus grande prise sur les populations.

On a souvent accusé les collapsologues de faire peur aux gens. Alors que je veux plutôt les alerter pour qu'ils se préparent et qu'ils aient moins peur. Quand il y a un incendie dans son immeuble, on ne va pas dire aux pompiers qu'ils nous font peur.

En ce moment, notre maison brûle, on le voit bien cet été. La peur peut-elle être un moteur de l'action pour un changement positif ?

Elle doit l'être. Si la peur est là, il faut apprendre à bien à traverser. Elle nous indique un danger, et le chemin à suivre. La posture collaspologiste que je propose et de prévenir de l'effondrement et de faire des efforts pour le traverser.

Tu expliques dans tes livres que c'est un processus de deuil. Il faut accepter la fin de ce monde d'abondance. Tous les voyants sont au rouge, mais pourquoi ceux qui sont au pouvoir n'actionnent pas les leviers pour que cela change ?

Nous venons de traverser une pandémie contre laquelle tout le monde s'est mobilisé. Un virus, c'est simple. C'est un petit danger très technique, on sait comment le combattre.

Le climat, c'est un danger qui arrive trop lentement, qui est global et très complexe. Il remet complètement en cause notre mode de vie. La pandémie n'avait changé notre mode de vie que pour quelque temps. Le climat le changerait pour toujours.

Le problème du climat est très dur à prendre en charge, car il des impacts aussi bien à grandes qu'à petite échelle. Notre cerveau est fait pour fuir des dangers courts. La peur est faite pour être courte. On ne doit pas être en stress toute notre vie.

L'effondrement est parti pour durer longtemps, alors comment traverser nos peurs pendant cette période ? On est obligé de gérer nos émotions pour trouver la joie.

Comment vis-tu ces émotions au quotidien ?

Aujourd'hui, ça s'est calmé. J'ai l'impression que c'est un peu comme un deuil. Au début j'étais dans le déni et dans l'action pour ne pas ressentir les choses. Pendant des années, j'ai vécu des montagnes russes d'émotions. Au psychiatrique, on dit que le deuil dure deux ans. C'est un peu pareil face à l'effondrement, il faut laisser passer le temps en s'aider les uns les autres. L'espoir revient quand on se met tous en action, et l'incertitude qui nous fait peur est la clé du mouvement.

Julien Perrot

Vidéo : Avec Pablo Servigne : Emotions et effondrement (La Minute Nature n° 319) 13 :22

 

 

 

 

 

 

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D
Sérieux , compétents , calmes … mais j’ai du mal à comprendre, pas de leur faute mais de la mienne, si la peur dont ils parlent beaucoup c’est positif ou négatif . Un peu les deux me semble-t-il . Et le « tous en action » Pablo Servigne semble y croire … je comprends Julien Perrot quand il s’interroge sur les raisons de l’inaction des dirigeants . Et il a raison de rappeler que des populations sont déjà très impactées par le changement climatique. Il ne dit absolument pas que nous les privilégiés nous préférons ne pas savoir mais il me semble bien que c’est le cas . Le problème est sans doute trop grand pour notre capacité à l’intégrer ?
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J
Oui, très belle discussion.
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B
Quelle belle discussion !!!
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