C’est épuisant de lutter

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Le président de la Ligue pour les Oiseaux (LPO), Allain Bougrain-Dubourg, vient de sortir le « Dictionnaire amoureux des oiseaux » aux éditions Plon. Un inventaire ornithologique accessible à tout âge qui donne envie de se poser sur l'épaule de son auteur afin de faire le tour du monde, à la rencontre du peuple des airs.

Bruant jaune (Emberiza citrinella). Photo : Jean-Louis Schmitt (Cliquez pour agrandir)

Vous citez souvent des auteurs dans vos écrits. Votre passion pour les oiseaux vous est-elle venue à travers des lectures et, si oui, lesquelles ?

Allain Bougrain Dubourg : Pas du tout. Ce sont plutôt les oiseaux qui m’ont amené à rencontrer les auteurs qui les avaient valorisés. Je me plais à penser que j’ai passé trois jours avec Maurice Genevoix, l’écoutant me parler du chant du merle entre deux bombardements de 14 ou me racontant Raboliot, piégeur d’oiseaux. De même qu’avec Léonard de Vinci, me décrivant son observation des oiseaux et des chauves-souris pour imaginer ses engins volants (qui n’ont du reste jamais volé!). George Sand fait également partie des incontournables. Terrienne dans ses bottes crottées elle avait une parfaite connaissance du peuple des airs. Et puis je ne peux passer sous silence Audubon, le premier peintre à avoir placé l’oiseau dans son environnement, une manière d’effacer la « nature morte ». Hugo me guide constamment, lui qui « aime l’araignée et l’ortie parce qu’on les hait ». Avec lui, chaque mot joue son rôle, comme chaque être dans la nature. À propos des oiseaux, il les qualifiait de « poussières d’âme ». Qui dit mieux? Peut-être Prévert qui considère quun oiseau en cage signifie la liberté en deuil. Et la plume de Sylvain Tesson et tant d’autres auteurs admirables… qui peut se sentir rassasié?

Plus qu’un dictionnaire amoureux, on sent la plume du militant dans vos écrits. Vous avez d’ailleurs récemment écrit sur les alouettes dans Charlie – rapport à l’autorisation de sa chasse –, n’êtes-vous pas lassé de lutter constamment?

À vrai dire, c’est épuisant. J’ai déserté la table des vœux pieux (rencontre biodiversité et climat) du Conseil National de la Refondation car le Président Macron venait d’autoriser le piégeage de plus de 100 000 alouettes, espèce à l’agonie, et l’abattage de 75 bouquetins, espèce protégée. Lors de la première rencontre au Conseil, je lui avais pourtant dit que, pour sauver la biodiversité, l’élémentaire consistait à respecter deux piliers, le droit et la science. Or, ils ont été traités avec mépris, j’ai donc préféré aller une nouvelle fois devant le Conseil d’État pour agir en faveur de la nature que de participer à cette rencontre. Après que la justice a tranché, je reviendrai à la table du Conseil National de la Refondation … S’ils veulent encore de moi! [La LPO a été entendue par le Conseil d’État qui a suspendu le piégeage des alouettes dès le lendemain du référé, ndlr].

Dans votre livre, on sent à la fois de l’espoir mais aussi, et surtout, beaucoup d’inquiétude concernant la survie de certaines espèces. Pensez-vous que certains oiseaux sont voués à être condamnés?

On ne peut pas l’exclure. Le pigeon migrateur Américain, l’oiseau sauvage le plus nombreux de la planète, s’est éteint au zoo de Cincinnati en 1914. Pourtant, au 19ème siècle, on décrit ses vols comme ininterrompus durant plusieurs heures au point d’obscurcir le ciel. Des milliards de pigeons survolaient l’Amérique du Nord mais leur nombre s’est peu à peu réduit après qu’ils furent abattus à coups de bâtons et de fusils. Il en restait pourtant quelques milliers avant que l’espèce ne s’éteigne. Pourquoi ne s’est-elle pas pérennisée lorsqu’elle fut enfin protégée? Parce quelle avait besoin dun seuil de population pour envisager lavenir. En clair, les derniers oiseaux ont refusé de donner la vie faute d’être suffisamment nombreux. Ce constat remet évidemment en cause limage d’Épinal de l’Arche de Noé avec un mâle et une femelle capables de redonner l’espoir. Concernant la situation d’aujourd’hui, le dernier rapport de BirdLife est dramatique. Sur les 11 000 espèces d’oiseaux identifiées, la moitié est en déclin et 1 400 gravement menacées. En France, le dernier couple de pie-grièche à poitrine rose a donné la vie il y a deux ans dans l’Hérault. Depuis, plus rien. Qui s’en émeut? Nous sommes si peu

 Avocette élégante (Recurvirostra avosetta.) Photo : Jean-Louis Schmitt (Cliquez pour agrandir)

Les oiseaux sont généralement moins « sexy » que les animaux à poils dans la lutte pour la cause animale. Avec ce livre, espérez-vous sensibiliser à leur cause?

Moins « sexy » c’est vous qui le dites! Comment ne pas succomber au charme des tisserins, admirables bâtisseurs capables de faire dincroyables nids qui seront occupés par une femelle satisfaite de l’œuvre. Et le martinet qui dort dans le ciel et le rossignol qui clame son admirable mélodie nocturne. Et le manchot bravant le froid. Et l’aigle des cimes, le modeste roitelet et l’imposante autruche. Le peuple des airs m’inspire tellement que je lui ai consacré une prière dans ce livre. Voici comment je conclue :Toi qui guides le pinceau de Braque, Van Gogh, Audubon ou Monet
Toi qui nous tires les larmes et qui nous portes à rire
Toi qui fais la roue, toi le bec crochu, toi l’empalmé
Toi qui accompagnes notre sommeil et toi qui nous réveille
Toi qui t’écrases sur les phares et toi qui heurtes les autos
Toi l’éphémère et toi la vieille plume
Toi l’immaculé qui nous promets la paix
Toi l’oiseau, prends-moi sous ton aile, donne-moi une poignée de ta sagesse pour que je m’élève à tes côtés.

Avez-vous vu un recul ou une avancée dans la protection de la biodiversité sous la présidence de Macron?

La véritable avancée, je l’ai connue fut le Grenelle de l’Environnement, initié par Nicolas Sarkozy. À l’époque, Jean-Louis Borloo nous avait recommandé de ne pas perdre la « magie du Grenelle ». Elle s’est estompée. Pourtant on connaît les clefs de la résilience. Elles nous sont données par les scientifiques de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) qui pointent comme première cause du déclin, l’agriculture intensive avec son cortège chimique, vient ensuite l’artificialisation (la manière dont le béton et l’asphalte rongent les terres agricoles et naturelles). Il y a également les prélèvements monstrueux sur une faune déjà en sursis. Les causes étant identifiées, il reste à agir. Mais pour amener les lobbys à la raison, il faut du courage et de la détermination.

Hirondelle rustique (Hirundo rustica) Photo : Jean-Louis Schmitt (Cliquez pour agrandir)

Vous avez récemment été sélectionné lors de l’événement caritatif ZEvent, est-ce que cette mise en lumière auprès d’un public plus jeune a changé quelque chose pour vous et la LPO?

Ce fut effectivement un événement important pour deux raisons. D’abord parce que ce sont les jeunes qui ont choisi la LPO parmi de nombreuses autres organisations. C’est signe que nous sommes crédibles, au plus près des générations futures et c’est extrêmement flatteur. Ensuite la LPO bénéficiera (après appel à projets) de 2 millions d’euros. C’est une somme considérable qui nous aidera notamment à soutenir nos centres de soins pour la faune sauvage.

Pour finir sur une note plus légère, quel est l’oiseau qui vous inspire le plus? 

Dans l’introduction du « Dictionnaire amoureux des oiseaux » j’ai tenté de répondre à cette question en soulignant que l’oiseau m’invite à l’accompagner dans son envolée. J’ajoute : le voyage ne conduit pas seulement à explorer de lointaines contrées. L’oiseau propose aussi un périple intérieur. Il m’engage à l’humilité lorsque j’observe ses exploits. Il m’inspire la solidarité lorsque je constate sa compassion. Il m’encourage à la persévérance lorsque j’admire sa fidélité. L’oiseau est un miroir aussi nécessaire qu’insaisissable. Son humilité me bouleverse, sa fragilité me trouble, sa beauté m’éblouit. Je lui dois l’exaltation et l’angoisse, le désarroi et l’enthousiasme, l’ivresse et les larmes. Tant d’émotions m’ont été offertes par sa simple contemplation. 

La Rédaction de Charlie Hebdo

 

 

 

 

 

 

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N
Très belles pensées de ce cher Allain Bougrain-Dubourg : je comprends et partage l'ensemble de ces jolies pensées. Oserai-je vous féliciter pour vos photos ? Allez, je me lance ; je les apprécie toutes et en particulier celle de l'Avocette qui me rappelle le Parc
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N
Oups, envoyé trop vite : je voulais dire le Parc Ornithologique du Marquenterre que j'aime beaucoup !
J
Je viens de recevoir ce nouvel opus d'Allain Bougrain-Dubourg que je vais lire avec le plus grand intérêt mais, auparavant, je dois dire que je comprends cet espèce de lassitude qu'exprime Allain : comment ne pas se lasser quand on voit le peu d'intérêt de nos dirigeants pour la défense de l'environnement ! A vrai dire, il n'y a pas que nos hommes politiques qui sont en cause ! Ainsi, ai-je entendu nombre de commentaires stupides ces derniers jours de la part d'individus qui se réjouissent de l'actuel été indien sans se poser la moindre question quant au bouleversement climatique... <br /> Peut-être devrions-nous, nous aussi, prendre le meilleur et ne plus nous poser de questions quant au reste : cela nous éviterai à coup sûr bien des ulcères à l'estomac ... Mais, hélas, nous avons du mal à ''profiter'' sans poser de questions... On ne se change pas et on demeure tel que nous sommes : reponsables...
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B
Merci pour cet article<br /> Oui ça doit être épuisant.<br /> Je pense que je vais me procurer ce dictionnaire amoureux des oiseaux.<br /> <br /> A propos, j'ai reçu cet après-midi même ce document envoyé par mon amie québécoise qui tombe à pic :<br /> https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/oiseaux/elle-s-appelait-martha-la-derniere-tourte-voyageuse-est-morte-il-y-a-100-ans_102918
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J
Merci pour ce lien Béa : je vais regarder cela avec la plus grande attention.<br /> Je te remercie également au passage pour tes nombreux commentaires auxquels, par manque de temps et d'énergie, je ne réponds que rarement. Saches dans tous les cas, que je les lis et les apprécie tous. Avec toute mon affection...
M
Je ressens la même lassitude et je sens qu'il en est de même de toute évidence pout toi, Jean-Louis ! C'est tout à fait compréhensible puisque tu es engagé depuis fort longtemps et j'ai cru comprendre que tu as essuyé plein de revers aussi... Personne ne pourras te jeter la pierre si tu baisses les bras, d'ailleurs, tu continues à militer certes d'une autre façon mais, tu es toujours très actif, à ta manière...
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J
Merci pour ton sympathique commentaire Michel. Voilà qui fait chaud au coeur...
M
J'oubliai : le billet de cet interview est superbe !
Z
Remarquable interview d'Allain Bougrain-Dubourg, courageux militant à qui nous devons tant pour la protection des oiseaux et autres espèces animales . Merci à Charlie Hebdo.
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J
Bravo au président de la LPO et bravo à la rédaction de Charlie Hebdo pour cet interview !
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