L’araignée, mal-aimée
Arachnophobie : la peur des araignées est si pesante sur le territoire que l’Académie française a décidé de lui consacrer un qualificatif. C’est dire combien le chemin de la réhabilitation est semé d’embûches. L’histoire mérite pourtant que l’on marche vers la compréhension.
Chez les araignées, pas question de coup de foudre. Pour quelle raison la nature a-t-elle imposé des préparatifs aussi contraignants avant l’acte sexuel ? Bien malin qui détient la réponse.
En attendant d’en savoir plus, le constat en dit long. Il faut savoir, tout d’abord, que monsieur, assez souvent plus petit que madame, n’a pas les organes copulateurs reliés aux testicules. Il doit donc passer par étapes pour féconder madame. Première tâche imposée, recueillir le précieux liquide stocké dans l’abdomen, en tissant une toile spermatique. Ensuite, placer la semence dans ses deux bulbes à l’avant, comme s’il faisait le plein d’une seringue. Voilà monsieur prêt à l’emploi. Pourtant le plus dur reste à faire. Il lui faut maintenant pénétrer sur le territoire hostile et bien gardé de sa belle. Ne pas arriver en terrain conquis, la prudence s’impose.
Ayant occupé la planète bien avant les dinosaures (305 millions d’années) les araignées ont eu le temps de trouver la meilleure manière d’établir de bonnes relations pendant cette phase de rapprochement. Malins, certains mâles communiquent par des signaux vibratoires avec les femelles tisseuses de toiles. Si elles sont consentantes, elles laissent le mâle insérer ses bulbes copulateurs dans leur orifice génital.
Cela dit, sur les quelque 50 000 espèces répertoriées sur la planète, les méthodes d’approche varient sensiblement. Certaines araignées tambourinent le sol en cadence. D’autres choisissent d’offrir un cadeau nuptial, une proie emmaillotée de soie est toujours appréciée. Plus radicaux, quelques mâles parviennent à ligoter leur femelle tandis que d’autres préfèrent réaliser une petite danse pour séduire. Ensuite vient la ponte. Plus ou moins enveloppés de fils de soie en fonction des espèces formant des cocons de formes variées, les œufs sont ainsi précieusement conservés jusqu’à l’éclosion. Par de fraîches journées ensoleillées, les jeunes araignées se disperseront ensuite vers leur destin respectif.
Si la sexualité relève du grand art, la chasse est tout autant remarquable. Là aussi les pratiques varient en fonction des espèces. Certaines « chassent à courre », vives et précises, elles disposent d’une vue excellente. D’autres préfèrent l’affût comme les araignées-crabes, d’autres encore, les araignées cracheuses, sont capables de lancer des jets de soie en zigzag sur leur proie. Et puis il y a évidemment la technique de la toile-piège. Elle peut être en forme de tube, de nappe mais aussi géométrique. L’admirable spirale peut être réalisée en une à deux heures de travail et des mètres de fil de soie, une véritable performance. Reste à savoir comment le piège gluant n’incommode pas l’araignée elle-même. Tout simplement parce qu’elle enduit ses pattes d’une substance antiadhésive contenue dans sa bouche et qu’elle ne se déplace qu’en utilisant l’extrémité griffue de ses pattes. Positionnée au centre de la toile ou à proximité en étant reliée par un fil avertisseur, l’araignée n’a plus qu’à attendre. Dès qu’une bestiole se prend dans le piège, elle se jette sur elle, lui inocule son venin puis l’emmaillote avant de s’en délecter. Patiente, l’araignée peut jeûner durant quelques semaines, voire plusieurs mois, selon les espèces.
Ces modes de vie, rapidement résumés, devraient rendre admiratif, effacer les préjugés et pourquoi pas générer une certaine affection. « Il n’est pas évident de changer le regard des arachnophobes », prévient Christine Rollard, maîtresse de conférences au Muséum National d’Histoire Naturelle, en particulier lors d’une exposition consacrée aux araignées en 2012.
Ayant dédié sa vie à ces aimables petites bêtes, elle est devenue une sorte de thérapeute des phobiques. La démarche consiste à recevoir une ou deux fois ces personnes durant deux à quatre heures en commençant par expliquer ce que sont réellement les araignées, à les dessiner, les présenter en photo, en peluche ou en plastique, pour ensuite en observer sous une loupe puis à en voir en terrarium ou en extérieur. La méthode porte souvent ses fruits. Le discours qui accompagne la démarche de mise en confiance n’y est pas étranger. Il est rappelé, par exemple, que seule une centaine d’espèces d’araignées peuvent provoquer une réaction chez l’homme et très peu sont potentiellement dangereuses. Même les plus grosses, précise la biologiste, mordent rarement l’homme, la morsure étant une attitude de défense, utilisée en dernier recours. En résumé, la majorité des espèces d’araignées est incapable de percer notre peau. De plus la propreté et la sensorialité des araignées plaident aussi en leur faveur.
Si 5 700 espèces peuplent l’Europe, 1 750 ont choisi la France. L’une d’entre elles mérite que l’on s’y attarde. Il s’agit de l’argyronète qui, vivant sous l’eau dans des mares, construit un petit dôme de fils de soie accrochés à la végétation pour emprisonner des bulles d’air qui constituent ainsi une cloche lui permettant de respirer. L’architecte naval Jacques Rougerie s’en était inspiré pour créer ses « maisons sous la mer ». Les araignées séduisent aussi nos industries. Les fils de soie concentrent des propriétés incomparables, constatent les scientifiques. À diamètre équivalant, ils sont plus solides que l’acier et possèdent une mémoire de forme 5 à 12 fois supérieure au latex. Les ingénieurs espèrent reproduire le modèle de ce matériau soyeux pour confectionner différents textiles comme des vêtements ou des parachutes légers. Le milieu médical ne reste pas indifférent, les fils des araignées pourraient permettre de réaliser des sutures. Même certaines toxines des venins se révèlent pleines de promesses. On envisage de leur trouver une application thérapeutique dans les insuffisances cardiaques, les tumeurs du cerveau ou encore les maladies neurologiques.
Dans l’interminable liste des mérites, il est bon d’avouer la régulation des moustiques, tiques et autres proies. Les chercheurs affirment que, chaque année, les araignées mangent plus de 400 millions d’insectes par hectare. Il existe même une espèce qui protège les grains de raisin contre les attaques des insectes ravageurs. Ajoutons que des araignées sont mangées frites ou en brochette en Asie, qu’elles servent d’aphrodisiaque (réduites en poudre) au Brésil ou en Australie et qu’elles faisaient office de muses au mythe grec d’Arachné, au conte d’Andersen Les Habits neufs de l’empereur ou aux nombreuses légendes amérindiennes et africaines.
À tous ceux qui ne voyaient dans l’araignée qu’un être affreux, noir, velu et méchant, le temps est venu de la compassion. Comment pourrait-il en être autrement ?
Allain Bougrain-Dubourg
Article aimablement revisité par Christine Rollard et l’OPIE (Office pour les insectes et leur environnement)
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