Elles se racontent des histoires…
Le ‘’petit bonheur’’ du jour, c’est un petit livre d’une amie, Martine. S’il ne s’agit pas d’un livre sur la Nature ou sur les animaux, le fait qu’il émane d’une amie suffit à lui seul d’être mis à l’honneur ici, sur ce blog… Voilà donc un recueil de très courtes nouvelles, semblables, dans leur forme, aux 40 billets de train, que certains d’entre vous connaissent puisque j’en ai également parlé ici même. Pour l’occasion Martine Boncourt s’est associée à Yo Luttmann qui partage avec elle la passion pour les petites choses de la vie, ses aléas, ses surprises, son ludisme, sa légèreté et sa gravité souvent confondues…
Des voyages réguliers, à deux, en train, voilà de merveilleuses occasions pour se raconter de petites ou même de grandes histoires… Photo : Jean-Louis Schmitt (Cliquez pour agrandir)
Toutes deux se sont laissées aller au plaisir de se faire rire, de se faire peur, de se défier, de s’amuser, de s’émouvoir au travers d’une soixantaine d’histoires vécues, au plus près de la vérité humaine, avec ce rien d’affabulation propre à tout récit, qui évite, paradoxalement, de se raconter des histoires.
Édité par Odilon, il est en vente exclusive chez Martine Boncourt. Pour toute commande, c’est à son adresse : ma.boncourt@gmail.com Prix : 12 € + 2 € de participation aux frais de port.
Les histoires ? L’une d’elles a déjà été publiée sur ce blog. A vous de la retrouver. Une autre ? D’accord, en voici une :
Le mandarin
Le gamin est assis sur le bord du lit d’hôpital. Il porte ses grosses boots de neige rouges qu’il balance d’avant en arrière dans le geste automatique qu’affectionnent les mômes insouciants. Il n’a pas pris la peine d’enlever ni son anorak, ni son bonnet de laine jaune fluo orné d’un gros pompon multicolore. À six ans, ça fait belle lurette que Nicolas a exigé de s’habiller comme il veut. Il mâche un chewing-gum. Il rit en lisant la bande dessinée apportée pour Sébastien, son frère aîné, qui vient de s’isoler dans les toilettes.
Tout à coup entre un aréopage de médecins précédés du mandarin, mains dans les poches de sa blouse blanche immaculée, ouverte sur une tenue élégante mais décontractée. ll marche vers nous du pas alerte, légèrement chaloupé, du surbooké mais sûrement pas tâcheron et, se saisissant de la fiche de soin accrochée au pied du lit, jette un coup d’œil rapide à l’enfant assis sur son bord et dit d’un ton plein de satisfaction : « Eh bien ! Je vois que ça a l’air d’aller mieux ! »
À ce moment-là, le frère de l’interpellé sort des toilettes. Étonnant spectacle que celui des deux mômes : l’un, le cadet, bariolé comme un arc-en-ciel, et ne comprenant pas bien ce que lui veulent ces drôles de types cornaqués par un chef au sourire avantageux, et l’autre, l’aîné, avançant vers nous la mine décomposée, pâle et gémissant, habillé d’une chemise d’hôpital d’un bleu délavé d’où émerge, en écharpe, le bras plâtré qu’il s’est cassé dans la journée, la raison de sa présence, et de la nôtre, en ces lieux.
La méprise du mandarin, qui révèle autant de suffisance que d’incompétence, apparaît d’autant plus grossière que le contraste du tableau est frappant. Et malgré la douleur que je partage avec mon pauvre petit gars abîmé, je ne peux m'empêcher d’éclater de rire… tout en désignant le véritable estropié !
Sans un mot, sans un regard pour l’enfant concerné, mais avec un autre, noir, appuyé et pétri d’animosité pour moi, la mère, le chef quitte la chambre, suivi par sa cour silencieuse qui tente avec difficulté de contenir le fou rire que cette scène fort édifiante a suscité autant chez eux que chez moi… Bien fait.
En voici une autre encore :
Trahie par son inconscient
De loin, j’ai franchement cru reconnaître un ami de mon fils aîné. Aussi, arrivée à son niveau, je me suis arrêtée pour que l’auto-stoppeur monte dans ma voiture. Mais ce n’était pas lui. Celui-là était bien plus âgé, malgré sa silhouette d’adolescent. Et son visage un peu marqué et assez déplaisant ne me disait rien qui vaille. Quand je me suis aperçue de mon erreur, je n’ai pas eu le cœur, ou l’indélicatesse, ou les deux à la fois, de redémarrer et de m’en aller, que dis-je ? de m’enfuir… Et je ne suis pas très sûre qu’il n’ait pas perçu mes hésitations. Parce qu’à peine installé à mes côtés, dans ma petite Rover, il m’a dit : « Alors ! On prend des auto-stoppeurs ! On n’a pas peur ? »
J’ai pensé : « Ça commence bien ! » Mais loin de me démonter, cette introduction malheureuse m’a mise en appétit. J’ai caché mon trouble comme j’ai pu et j’ai attaqué : « Pourquoi voulez-vous que j’aie peur ? Je suis commissaire de police ! » (J’en avais l’âge et, je tentais de m’en convaincre, l’assurance.) Je n’ai cependant pas eu l’impression que mon identité professionnelle l’ait beaucoup impressionné. Intéressé plutôt. Mais par quoi ? Par la profession ou par le jeu de la vérité ?
« Où exercez-vous ? m’a-t-il demandé.
– À Lyon.
– Mais votre voiture est immatriculée dans le 67…
– Oui, je suis en vacances chez des amis qui me l’ont prêtée.
– Et c’est intéressant comme boulot ? Qu’est-ce que vous faites surtout ?
– Oh là, là ! Si vous croyez que je peux, en quelques mots, vous décrire un métier aussi complexe, aussi varié… Je ne sais pas, moi, vous regardez des séries à la télé ?
– Oui.
– Eh bien, Navarro, ça vous dit quelque chose ? C’est assez juste, assez conforme à ce que nous vivons... »
Et je m’amusais intérieurement de ma double malhonnêteté, car je trouvais à l’époque cette série plutôt ennuyeuse. Mais en réalité, on ne tient jamais le coup très longtemps dans le mensonge. Et, par ailleurs, j’avais le sentiment, je ne savais pourquoi, que la situation m’échappait. J’en eus bientôt la preuve. Car, alors que je devais rouler à environ 80 à l’heure, et que, tout à mon rôle de flic qui a la situation bien en main, je n’avais absolument pas entendu le ronflement démesuré de mon moteur, impatient, mécontent, hargneux, prêt à exploser, et me trahissant ainsi mieux qu’un quelconque tremblement de main ou de voix, voici que mon auto-stoppeur me dit tout à trac :
« Dites, vous pourriez au moins passer la troisième ? »
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