Triste Monarque déchu
Loin des yeux, loin du cœur. En outre-mer, les oiseaux ne sont pas à la fête. Sur l'île de Fatu Hiva, le monarque est à l'agonie. Retour sur un déclin pathétique...
Il y a 200 ans, le Monarque était partout sur l’île de Tahiti… Photo : Fred Jacq
Évidemment, ce n’est pas tout près. 15 719 kms avant de rejoindre Papeete auxquels il faut ajouter 1 432 kms pour gagner les Marquises. Autant dire le bout du monde. Est-ce une raison suffisante pour rester indifférent face à la disparition de l’un des oiseaux les plus rares de la planète ? La Société Ornithologique de Polynésie « Manu » a décidé de se battre jusqu’au bout. Le défi à relever : sauver les 4 derniers couples reproducteurs de monarque de Fatu Hiva et la vingtaine d’individus composant la population de cette espèce unique au monde. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?
Les ornithologues gardent en mémoire son omniprésence. « Autrefois il était très répandu sur l’île mais l’arrivée du rat noir a signé son arrêt de mort », rappellent-ils en soulignant que le drame a frappé les cinq autres espèces de monarques qui se sont éteints en Polynésie durant les XIXe et XXe siècles.
Tout de noir vêtu, il semble déjà porter le deuil de son espèce. Ce passereau de 43,5 grammes fréquente pourtant les forêts de Pureau, autrement dit d’hibiscus aux fleurs jaunes ou rouges s’apparentant au paradis terrestre. Relégué dans les vallées accueillant les cours d’eau, on pourrait le croire discret et prudent. Rien de tout cela. Il se montre tout au contraire curieux du moindre événement en n’hésitant pas à s’approcher pour en savoir plus. Un bien vilain défaut pour un oiseau qui ne se méfie même pas des chats, nombreux sur l’île, en charge d’endiguer la prolifération des rats noirs introduits involontairement à la fin des années 80.
Dès lors, le déclin semble inexorable. Il faut dire que, contrairement à de nombreuses espèces d’oiseaux, le monarque n’a pas la ponte généreuse. Un seul œuf dans le nid et une ou deux nichées par an, pas de quoi compenser l’effroyable mortalité. Le dévouement des deux parents ne change guère les choses. Certes, ils construisent le nid de concert. De même, ils incubent l’œuf à tour de rôle et élèvent ensemble le poussin mais cette solidarité reste insuffisante. En 2008, l’espèce, au bord de l’extinction, ne comptait plus que deux couples fertiles. Évidemment, la mobilisation des amis des oiseaux permet de maintenir une flamme d’espoir mais aucune garantie de sauvegarde.
Les actions de protection n’ont pourtant pas manqué d’envergure. La population de chats a fait l’objet d’une surveillance constante grâce à 80 caméras placées dans les sites stratégiques couvrant plus de 350 hectares. Par ailleurs, depuis 2012, des opérations de stérilisation gratuite de chats ont été lancées sur l’atoll. Faibles résultats : seuls 5 % des poussins deviennent de futurs reproducteurs. Or, les observateurs ont permis de constater que les jeunes, en recherche de nouveaux territoires, se dispersaient au-delà des zones protégées. Des opérations de plus grande envergure s’imposaient donc.
Menacé par de nombreux dangers, provenant de la faune comme de la flore introduites, le monarque de Tahiti est l'un des oiseaux les plus en péril de Polynésie. C'est pour cette raison que l’association Manu mène une lutte sur plusieurs fronts à la fois et a récemment entrepris un programme de translocation des jeunes oiseaux afin de tenter de renforcer une des populations, trop consanguine.
Et comme si les menaces n’y suffisaient pas, en 2021 les équipes de Manu ont constaté la présence d’un nouvel ennemi. L’alerte fut donnée par la découverte de plusieurs juvéniles morts au sol sans signe de prédation. Après enquête, il a bien fallu admettre que les oiseaux étaient victimes de la malaria aviaire. Le parasite transmis aux oiseaux par la piqûre d’un moustique diminue la résistance des jeunes et peut contribuer à expliquer le terrible déclin du monarque. La réaction n’a pas tardé. Les équipes de Manu ont mis en place des pièges autour des nids pour tenter de diminuer le taux d’infection. Des mangeoires ont également été dispersées à l’attention des jeunes pour compenser leur faiblesse mais le véritable espoir réside dans la mise en œuvre d’un élevage. Il s’agirait de prélever les œufs, les incuber artificiellement, élever les jeunes sous protection et les relâcher une fois adultes dans des zones sous contrôle. Un tel programme demande des moyens financiers et humains non négligeables. Si la bonne volonté ne manque pas les budgets font encore défaut.
Parmi les initiatives solidaires, Univet Nature s’est manifestée. Le Docteur Alain Moussu explique l’engagement : « Pendant que l’humanité martyrise les animaux sauvages, elle n’a jamais autant choyé les animaux dits « de compagnie », il est normal que nous, vétérinaires, soyons solidaires des plus affectés ». Le zoo parc de Beauval a également répondu présent dans le cadre de ses programmes de conservation. De même, la LPO se mobilise. Dans un autre territoire des outre-mer, la Guadeloupe, elle vient d’obtenir avec l’association Amazona l’annulation des arrêtés préfectoraux autorisant la chasse de la colombe à croissant. L’année dernière, l’ASPAS, l’AFSA et l’AEVA, autres associations de protection de la nature, avaient obtenu l’annulation de tirs de la barge hudsonienne, de la colombe rouviolette et du pigeon à cou rouge. Combien de temps l’État va-t-il laisser chasser les espèces en mauvais état de conservation ? Combien de fois faudra-t-il aller devant les tribunaux pour imposer l’élémentaire ? Las, la LPO propose d’indexer l’évolution de la carrière des préfets au nombre de leurs arrêtés cassés ! En attendant, c’est le monarque de Fatu Hiva qui doit mobiliser toutes les énergies pour qu’une espèce de plus ne s’efface pas de la liste du vivant.
Allain Bougrain-Dubourg
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