Paysans, leurs solutions pour que foisonnent les circuits courts
Face à la crise que traverse le monde paysan, ces derniers se mobilisent. Soutenus par la Confédération paysanne, ils vont porter, tout au long du mois de juin, leurs propositions pour « défendre le revenu paysan ». Reporterre leur donne la parole…
« Il faut défendre l’accès des paysans aux marchés »
« Les marchés sont une des voies pour soutenir les paysannes et paysans. Depuis des siècles, ce sont des lieux où nous avons pu apporter nos produits. Sauf qu’aujourd’hui, 84 % des vendeurs ne sont pas des producteurs, ce sont des revendeurs ou des grossistes. Beaucoup de paysans rencontrent ainsi de grosses difficultés pour obtenir un emplacement. Les places sont chères, ou alors tirées au sort [1]. À Rennes, régulièrement, des producteurs reviennent avec toutes leurs marchandises, faute d’avoir obtenu une place. Il faut défendre l’accès des paysans aux marchés. Il existe aussi des fraudes : des commerçants qui se font passer pour des producteurs, ou qui abusent du terme “produit local”. Tout ceci peut changer : les mairies peuvent adopter des règlements de marché qui donnent la priorité aux paysans locaux et aux producteurs saisonniers [2]. L’idéal serait un changement de loi : elle n’oblige actuellement qu’à 10 % de producteurs dans les marchés ; on voudrait passer à au moins 25 %. Les paysans sont déjà extrêmement fragilisés par les aléas du climat, si en plus on doit jouer des bras pour écouler notre production, on y joue notre survie. »
Jonathan Chabert est maraîcher dans les Côtes-d’Armor, en circuit court. Photo : Jonathan Chabert
« L’alimentation ne peut pas être uniquement l’affaire des paysans »
« Les collectivités locales doivent s’impliquer à nos côtés. L’alimentation, c’est très politique, ça ne peut pas être dans les mains uniquement des paysans. Avec les projets alimentaires territoriaux [3], il y a plein de pistes intéressantes qui émergent : créer des boutiques paysannes communales, où l’accès serait donné en priorité aux nouveaux installés ; mettre en place l’abattage à la ferme ; construire des unités collectives de surgélation, pour que les maraîchers puissent congeler leurs légumes d’été pour les vendre l’hiver...
Sur la restauration collective, les collectivités ont aussi un rôle à jouer. Les cantines représentent un débouché important pour les producteurs... mais ça fonctionne mal, parce qu’il n’y a pas d’adéquation entre les produits qu’on a et les besoins d’un restaurant. Un producteur n’a souvent pas les volumes nécessaires, et puis il va vendre des kilos de courgettes “brutes”, alors que la restauration veut des courgettes déjà épluchées et découpées : il faut donc une légumerie. Autre problème : nous avons souvent beaucoup de produits en été, alors que les écoles sont fermées ; il faudrait que les producteurs puissent surgeler. Il y a des solutions, mais elles ont un coût, or le coût-matière par repas ne doit pas dépasser 1,70 euro, c’est très peu ! Les pouvoirs publics doivent mettre la main à la pâte, et au portefeuille. »
Émilie Dequiedt est éleveuse de brebis laitières en bio dans l’Hérault. Elle transforme le lait en fromage, yaourt, crème, glace. Photo : Émilie Dequied
« On pourrait créer des mini Rungis locaux »
« Même si la demande en produits locaux augmente, les producteurs en circuit court présents sur un même territoire se font souvent concurrence pour l’accès aux marchés, aux boutiques... Parce que les zones de production, les campagnes, ne sont pas celles où il y a de la demande — en ville. On reste sur un marché ultralibéral, même en circuit court. Il faut recréer des lieux collectifs de transformation et de vente entre producteurs pour qu’on puisse gagner de plus grands marchés : des mini Rungis locaux. On aurait ainsi une plateforme qui achèterait la viande, les fruits, les légumes des différents paysans, mais qui pourrait aussi commander des oranges à des producteurs bio de Sicile ou de l’huile d’olive à des paysans espagnols... Elle aurait ainsi un volume suffisant pour fournir restaurateurs, cantines, épiceries. C’est un projet que je porte avec le collège citoyen de France, et c’est peut-être une des solutions. »
Charlotte Kerglonou-Mellier est éleveuse laitière en Ille-et-Vilaine. Elle livre son lait à la coopérative Biolait. Capture d’écran/YouTube/Confédération paysanne
« La grande distribution fixe le tarif, et les producteurs restent la variable d’ajustement »
« Les producteurs sont pris en étau entre des coûts de production — intrants, gazole — qui augmentent et des ventes qui diminuent. À l’autre bout de la chaîne, les citoyens peinent à s’acheter des produits alimentaires, surtout bio et locaux. Au milieu, les grandes surfaces font des marges énormes, et continuent de faire des profits. On nous paye le litre de lait 10 ou 15 centimes, et il est revendu 1,50 euro ; idem pour les fruits et les légumes. La loi impose normalement un partage des bénéfices de la vente, de manière équitable entre producteurs, distributeurs et producteurs. Mais dans les faits, la grande distribution annonce un tarif, et les producteurs restent la variable d’ajustement. C’est elle qui fixe les règles. On est en plus en concurrence avec des agriculteurs d’autres pays européens notamment, qui produisent à moindre coût. Il n’y a aucune obligation pour les grandes enseignes de s’approvisionner local. Tout dépend du directeur du magasin. On demande que la loi soit réellement appliquée. La grande distribution a les moyens de mieux rémunérer les producteurs sans augmenter les prix à la caisse. »
Vincent Chombart est agriculteur céréalier et pépiniériste en Picardie. Photo : Confédération paysanne
Lorène Lavocat/Reporterre (08.06.2022)
Notes :
[1] Des tirages au sort sont souvent organisés avant chaque marché pour l’attribution des places. Certains producteurs peuvent ainsi se retrouver sans emplacement.
[2] Ces derniers produisent principalement des fruits ou des légumes sur une saison — comme les fraises, les cerises, les pommes : ils n’ont souvent pas accès au marché local, car ils ne sont pas là à l’année.
[3] Introduit par la loi agricole de 2014, le projet alimentaire territorial (PAT) vise à développer des filières courtes et locales, en rapprochant producteurs, collectivités territoriales et consommateurs.
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