Quand les animaux font leur cinéma

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Alors que le Festival de Cannes s’apprête à révéler les lauréats 2022, ils sont dignes, eux aussi, d’avancer langoureusement sur le tapis rouge, de faire halte devant la forêt de photographes et de grimper majestueusement les marches. Rien de tout cela. Les animaux ne sont pas invités à la fête. Dès la première heure, ils ont pourtant contribué à valoriser le cinéma.

Le Peuple Migrateur, film de Jacques Perrin, Jacques Cluzaud et Michel Debats (2001)

En 43 secondes, Louis Lumière filme « La pêche aux poissons rouges » qui est présenté au Grand Café de Paris en décembre 1895. Le cinéma animalier entre en scène. Un an plus tard, Ernest Normandin, concurrent des frères Lumière, décrit « la basse-cour » en colorisant le film, image par image. Suivra la fameuse caméra à grande vitesse de l’Institut Marey qui, en 1908, permet de réaliser des ralentis, notamment de chevaux. Pour la première fois, le public, médusé, découvre la décomposition du mouvement, particulièrement spectaculaire chez les oiseaux.

Depuis, les bêtes de scène n’ont cessé d’animer le grand ou le petit écran. Parmi les précurseurs, le biologiste Jean Painlevé (qui s’opposera à la création du Festival de Cannes et à son cortège de récompenses) fonde l’Institut de Cinématographie Scientifique. De la pieuvre aux oursins, en passant par les crabes ou les bernard-l’hermite, il entame dès 1927 une collection comptant plus de 200 films essentiellement animaliers. Sensible à la cause animale, il prête sa voix au documentaire de Georges Franju, en 1949, « Le sang des bêtes » qui lève le voile sur l’horreur des abattoirs. Mais ses tournages réalisés bien souvent en aquarium manquent d’envergure. C’est Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle qui vont inviter à la grande aventure océanographique. En 1956, ils proposent « Le monde du silence » (un titre curieux pour un univers sonore aussi puissant qu’exceptionnel!). Durant une heure et vingt-six minutes, les spectateurs découvrent les profondeurs de la mer. Le premier film du genre « Le 6ème continent » réalisé deux ans plus tôt par des Italiens est immédiatement dépassé. À l’époque, la plongée reste exceptionnelle et les images révélées par Cousteau s’apparentent aux futurs premiers pas sur la lune. Son film connaît la consécration. En obtenant la Palme d’Or du Festival de Cannes en 1956, il devient, avec « Fahrenheit 9/11 » le seul documentaire à avoir reçu la prestigieuse distinction. Aux États-Unis, il remporte l’Oscar du meilleur documentaire, au Japon, il fait un triomphe. Partout dans le monde, l’intimité des océans crève l’écran. Poursuivant à la télévision avec les aventures de la Calypso, Cousteau devient l’incontournable « Capitaine Planète ». Il convient pourtant de tempérer l’enthousiasme.

L’envers du décor et le retour de l’éthique

Durant les années 1990, les coulisses du tournage apparaissent au grand jour. Un cachalot juvénile a été lacéré par l’hélice du célèbre navire, il faut l’achever à la carabine. Ensuite l’équipage massacre les requins venus se rassasier de la carcasse. Ailleurs, ce sont des récifs coralliens qui explosent, suite au dynamitage des cinéastes. Les critiques pleuvent. Le cinéaste Gérard Mordillat qualifie le film de « naïvement dégueulasse ». « À l’époque, il n’y avait pas encore de conscience écologique » plaide l’océanographe François Sarano. Ce n’est pas faux. Frédéric Rossif qui a, lui aussi, grimpé les marches de la renommée, ne s’est pas embarrassé d’éthique. Dans « La fête sauvage » en 1975, et surtout « Sauvage et beau » en 1984, il est obsédé par la beauté de l’image. Le ralenti répond à ses désirs. Pour obtenir des séquences « inoubliables », il jette inlassablement des Grands-ducs en l’air, prisonniers des studios. Ailleurs, il aménage un enclos permettant de lâcher des lions qui s’affrontent avec une violence… esthétique. Les griffes crachent leur puissance, les canines entament les chairs, les fourrures se déchirent en lambeaux. L’odieuse beauté crève l’écran certes, mais Frédéric Rossif n’en sort pas grandi.

Gérald Calderon, avec « Le risque de vivre », François Bel et Gérard Vienne avec « Le territoire des autres » ou « La griffe et la dent » et, plus tard, Jacques Perrin, vont rehausser l’ambition des tournages et l’éthique qui s’impose. Celui que Paris Match a surnommé « Éternel jeune pionnier » lors de sa disparition le 21 avril dernier, mérite qu’on s’attarde sur son parcours dans le cinéma animalier. Ayant eu la chance de prétendre à une amitié partagée, je revois le producteur toujours insatisfait.

Jacques le Grand

Il méprise l’ordinaire, repousse le possible, ambitionne l’improbable. Cette star veut flirter avec l’inaccessible étoile. L’évidence s’est imposée lorsqu’il m’a proposé de collaborer à son film « Le peuple migrateur ». Il souhaitait tout simplement révéler en images ce qui n’avait jamais été montré. Son objectif : fondre la caméra dans l’intimité des oiseaux. Rien que cela! À tout autre, jaurais conseillé de renoncer. Devant Jacques, comment ne pas relever le défi? Cest lui qui, à l’âge de 27 ans a produit « Z » de Costa-Gavras et a obtenu l’Oscar du meilleur film étranger.

Avec Jacques Clouzaud et Michel Debats, il s’est lancé dans la réalisation d’un film qui demandera trois ans de tournage. Quatre cent cinquante personnes sont mobilisées tandis que des engins créés pour les besoins du tournage révèlent des images impensables. Le secret du film repose également sur l’imprégnation.

En 1935, Konrad Lorenz, père de l’éthologie, avait compris qu’en « parlant » aux œufs et en étant au côté du poussin lorsqu’il perçait la coquille, ce dernier considérait l’être présent comme un parent de substitution. Reprenant ce principe, Jacques Perrin met en œuvre cinq sites de reproduction et d’élevage. En fonction des espèces, ils sont implantés en France, en Islande ou encore au Québec. Quarante personnes sont recrutées pour devenir les futurs parents des grues cendrées, des cygnes ou des oies en tous genres.

Les chiffres donnent l’ambition du projet autant que le vertige : 500 km de pellicule, 450 heures de tournage, 175 sites visités, 80 chercheurs investis, six équipes de tournage, sans parler du budget. Sur ce chapitre, Jacques Perrin se montre discret. Reconnaissant que l’investissement s’élève à des sommes rarement atteintes (plus de 23 millions d’euros) dans le cinéma français, il m’avoue du bout des lèvres :« À quoi bon parler du montant de mes dettes, le bonheur qu’on a eu à tourner le film n’a pas de prix. » Le bonheur en question doit être tempéré par des épreuves à surmonter. Il aura fallu, par exemple, trois expéditions de quinze jours en Islande pour obtenir enfin le plongeon d’un bébé guillemot depuis l’immense falaise de sa naissance. À New-York, huit mois de paperasse s’avèrent nécessaires afin de régler les problèmes d’occupation de l’espace aérien. Malgré le professionnalisme des pilotes, huit ULM se crashent… sans victime! Tout cela nest rien dautre que la rançon d’images bouleversantes. Les oiseaux s’affirment maîtres du ciel, jonglant avec les cumulo-nimbus, tutoyant le vent, les embruns, la sécheresse, pariant sur la solidarité avec toujours cette volonté de progresser quoi qu’il arrive.

La magie du « Peuple migrateur » nous entraîne dans des cieux chargés de beauté, de courage, de solidarité aussi. Total respect Jacques Perrin.

Allain Bougrain-Dubourg

 

 

 

 

 

 

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Z
Un article intéressant et un trés bel hommage à Jacques Perrin le Grand.
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B
Oui un total respect à Jacques Perrin...<br /> Très beau texte d'Allain Bougrain-Dubourg. Merci à lui...
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