Oiseaux d’élevage : de la cage au carnage
Les chasseurs, autoproclamés « premiers écologistes de France » en 2018, se gardent bien d’évoquer les multiples élevages d’oiseaux destinés à satisfaire leur passion. L’un entre eux, situé dans les Deux-Sèvres, vient d’obtenir de la Préfecture l’autorisation de surmultiplier la production de « cocottes ». Vous avez dit sécheresse, pollution et zoonose ?
Le site fait de la reproduction et de l’élevage de faisans et perdrix destinés à être lâchés pour la chasse… Photo : La Nouvelle République
Dans l’administration, on les baptise très poétiquement « animaux-équivalents volailles ». Dans la réalité, ce sont des perdrix ou des faisans élevés en captivité pour servir, à terme, de chair à fusil. D’une manière ou d’une autre, leur sort n’est guère enviable.
L’ASPAS, L214, One Voice et d’autres, ont peu à peu levé le voile sur la sordide réalité de leur quotidien. Dans la Drôme, dénonçait One Voice, l’élevage « Faisandrôme », véritable usine à faisans qui croupissaient dans des conditions infâmes, laisse apercevoir de petits monticules émergeant de la bourbe où leurs pattes s’enfoncent. « Un zoom de la caméra permet de comprendre de quoi il s’agit : de cadavres ! Oui. Le sol est constellé de ces corps d’oiseaux en décomposition. » Un cas particulier qui fait honte à la profession ? Même pas. Il est admis qu’en élevage « conventionnel », le quotidien n’a rien d’une aimable partie de campagne.
Commençons par la ponte. « Les mâles fécondent les femelles, qui sont ensuite placées dans des cages minuscules, hors sol et grillagées, pour faciliter la récupération des œufs », nous dit Luc Tribuel après avoir enquêté pour Reporterre dans le Domaine National de Rambouillet qui élève quelque 16 000 faisans, dont 3 000 sont abattus chaque année. « Cette gestion a vocation à servir d’exemple d’une chasse durable, respectueuse des équilibres naturels, qui pourrait contribuer à une évolution des pratiques », rassure l’établissement public en affirmant, sans rire, que l’élevage de cocottes peut incarner le respect.
Poursuivons le vagabondage bucolique avec l’élevage des futures victimes. « Les poussins sont placés à plusieurs milliers d’individus dans un hangar. L’environnement totalement artificiel, sans leur mère, sans végétation, entraine d’inévitables agressions entre eux », constate l’ASPAS, qui précise que la solution consiste bien souvent à plonger ce petit monde dans l’obscurité pour calmer les velléités. Il faut pourtant bien que le gibier s’habitue un tant soit peu à la lumière du jour. Pour éviter le pire, il reste à équiper chaque oiseau d’un couvre bec, clipsé dans les narines ou d’un anneau qui perfore la cloison nasale. Le stress, l’inconfort, voire les pathologies provoquées par ces accessoires contre-nature, n’indisposent en tous cas pas les producteurs de gibiers qui ne jurent que par l’éthique. Le groupe Gibovendée se flatte de produire près de 20 millions d’œufs à couver, chaque année, et d’élever un million d’oiseaux dans le même temps. Un pareil palmarès permet de satisfaire plus de 500 sociétés de chasse en précisant : « Nous sommes très exigeants sur la beauté de l’animal. »
En France, la cynégéculture, autrement dit l’élevage du gibier, représente 150 à 200 millions d’euros de chiffre d’affaires. Photo : Reuters
Son de cloche également satisfait à la faisanderie de Rambouillet : « La population est gérée dans les conditions les plus naturelles possibles. » Tout va tellement pour le mieux que, dans les Deux-Sèvres, la société Selac de Thouars, située à La Peyratte, veut tripler sa capacité de production de faisans et de perdrix en passant de 37 0000 à 92 200 emplacements de volailles. La Nouvelle République qui a cherché à en savoir plus constate, pour commencer, qu’en demandant l’autorisation préfectorale, les producteurs de gibiers ont voulu régulariser « un élevage où les animaux s’étaient multipliés au fil des années sans autorisation ». Dans la foulée, les cages nécessaires à l’extension de production n’auront pas besoin d’être construites, car « c’est déjà fait », a constaté le Commissaire Enquêteur avant même que l’autorisation administrative ne soit accordée ! Résultat, précise La Nouvelle République : « Pour les perdrix, la cage d’un couple reproducteur, soit deux animaux, mesure un mètre sur 50 centimètres avec 50 centimètres de hauteur. Les faisans, eux, sont réunis par dix dans une cage qui mesure un mètre sur un mètre avec 50 centimètres de hauteur. Les femelles y restent un an avant d’être recyclées en proies lâchées pour les chasseurs. » Là encore, le Commissaire Enquêteur tient à rassurer les grincheux qui se préoccupent de la condition animale : « L’éleveur se forme régulièrement au bien-être animal et, à ce titre, a recours à l’éthologie. » Admirable ! Dès lors, rien d’étonnant à ce que l’autorisation de surproduction de faisans et perdrix ait été accordée par la préfecture des Deux-Sèvres, malgré les nombreuses oppositions manifestées durant l’enquête.
Au hasard des petits arrangements de circonstance, il est à noter que l’élevage nécessitera 4 000 m3 d’eau (bonjour les perspectives de sécheresse…) pompées sur le réseau d’eau potable et recrachera quelque 46 tonnes de fumier dans le même temps. Alors que les élevages de la région (singulièrement en Vendée) ont été frappés par la grippe aviaire, il est intéressant de noter que l’État n’attend même pas que la vague de zoonose se retire avant d’autoriser la multiplication de production avicole.
L’ASPAS, qui a conduit l’enquête « De la cage au carnage » constate que 14 millions de faisans et 5 millions de perdrix sont élevés chaque année en France pour la chasse. De sorte qu’un animal sur quatre tué à la chasse provient d’un élevage. Quant aux survivants, leur avenir n’est guère durable : « La plupart des faisans et perdrix qui échappent aux tirs meurent dans la nature, au bout de quelques jours à quelques mois. L’inadaptation à la vie sauvage leur est fatale : ils ne savent pas se nourrir seuls, ne savent pas se protéger des conditions climatiques, n’ont pas appris à fuir les prédateurs naturels. » Ne soyons pas bougons, les chasseurs sont les premiers écologistes. C’est bien connu !
Allain Bougrain-Dubourg
Vidéo : Élevage intensif pour la chasse (0 :58)
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