Des pistes de VTT vont-elles saccager la forêt vosgienne ?
« Entendez-vous le chant des grillons ? » Habitant de cette commune alsacienne, Mathieu interrompt les discussions entre les membres du collectif Nature et cadre de vie de Wangenbourg-Engenthal. Les adhérents se sont retrouvés au milieu de la prairie du Langacker en cette matinée ensoleillée de début mai. Également membre de la fédération d’associations environnementales Alsace Nature, Mathieu poursuit : « Nous avons ici le plus grand grillon de France ; le grillon champêtre. Beaucoup d’espèces locales s’en nourrissent, y compris le faucon crécerelle. » Les terres du Langacker sont menacées par la création d’une aire de jeux et d’un ensemble de sentiers VTT : le trail center. Randonneurs, riverains, chasseurs, promeneurs ou encore bûcherons, les membres du collectif se mobilisent contre le projet.
Des bosses goudronnées, un tapis roulant... À Wangenbourg dans le Bas-Rhin, un parcours pour VTT abîmera une prairie et une forêt. Les habitants luttent…
Le 15 mars, la mairie de Wangenbourg-Engenthal signait l’arrêté autorisant la construction d’un « bâtiment destiné à l’accueil du site dédié à la pratique du vélo ». Le trail sera alors doté de différents parcours de vélos, dont un « pumptrack », —un enchaînement de bosses et de virages goudronnés. Il y aura un service de locations de vélo et même un tapis roulant pour remonter les pistes. Et l’entrée sera payante : entre 10 et 35 euros. L’ensemble de la construction concerne 8 hectares de prairies. Le projet prévoit une extension avec l’aménagement de 21 kilomètres de pistes sur environ 80 hectares de la forêt domaniale de Mossig.
Rolande, Frédéric et Mathieu. Selon ce dernier (à droite), « le site est doté d’une flore protégée, telle que trois espèces d’orchidées sauvages, deux espèces de lycopodes et d’innombrables espèces de fougères. » Photo : Clémence Michels/Reporterre
Le projet a été lancé en 2018 par la communauté de communes de la Mossig et du Vignoble, en partenariat avec le bureau d’études Alp’Evasion, un promoteur spécialisé en « ingénierie touristique » en région Auvergne-Rhône-Alpes. Avec un autre « pumptrack » prévu dans la commune voisine de Wasselonne et une maison du terroir à Marlenheim, le coût de l’ensemble des travaux était estimé à près de 2,8 millions d’euros en 2020. Un coût qui pourrait être revu à la hausse, selon l’association Alsace Nature. Benoît du groupe local Mossig Alsace Nature assure que le projet sera financé par le plan de relance Avenir Montagnes à hauteur de 50 %. La Communauté Europe Alsace (CEA) financerait également 30 % du projet, tandis que le reste serait subventionné par la communauté de communes. Cette dernière avait prévu la mise en service du trail d’ici 2023 selon un rapport de présentation du projet. Or, une vague de contestations depuis 2021 a fait repousser le début des travaux.
Les adhérents craignent aussi le déboisement d’une partie de la forêt domaniale de Mossig. Photo : Clémence Michels/Reporterre
La prairie est une « zone migratoire pour de nombreux oiseaux »
Passionné par la géologie et la biodiversité locales, Mathieu présente les différentes espèces vivant sur les terres du Langacker : « Le muscardin est un mammifère habitant dans les lisières de la forêt de Mossig, il est classé comme espèce protégée par la directive Habitats-Faune-Flore de l’Union européenne. Les blaireaux, également présents sur le site, ont un statut qui les protège dans le Bas-Rhin, grâce à la convention de Berne. On peut aussi observer plusieurs espèces d’abeilles sauvages, dont certaines nichent dans les sols. » Selon le naturaliste, la prairie est un lieu de repos et de source de nourriture pour la faune locale, ainsi qu’une zone migratoire pour de nombreux oiseaux : « Le site est également doté d’une flore protégée, telle que trois espèces d’orchidées sauvages, deux espèces de lycopodes et d’innombrables espèces de fougères. » Selon lui, l’ensemble de la flore et de la faune locale ainsi que leurs habitats sont menacés.
Sur la prairie du Langacker, des passants viennent bavarder avec les membres du collectif. C’est aussi la journée découverte pour les enfants du périscolaire de Wangenbourg-Engenthal, avec un parcours d’orientation à la lisière de la forêt domaniale. Le collectif en profite pour informer les locaux sur l’avenir de cet espace naturel. Les adhérents craignent aussi le déboisement d’une partie de la forêt domaniale de Mossig, propriété de l’Office national des forêts dans le cadre de l’aménagement de 21 kilomètres de pistes de vélos. Les sentiers, disent-ils, seront larges de 0,8 à 2,5 mètres afin de permettre la circulation des VTT. En partant sur une moyenne haute de 1,6 mètre de largeur sur 21,5 kilomètres de pistes, les opposants ont calculé que la superficie totale de déboisement serait de 34 400 m2.
La Mossig, dans la forêt domaniale, propriété de l’ONF. Photo : Clémence Michels/Reporterre
Un remblai sur une zone naturelle et forestière a déjà été réalisé à hauteur des parkings, près de la prairie. Il n’apparait pas dans le permis et viole le règlement du plan local d’urbanisme, selon Rolande, retraitée et membre du groupe Mossig d’Alsace Nature. D’autant que des traces d’amiante sont présentes. Habitant à Wangenbourg-Engenthal, Frédéric craint de son côté que la station d’épuration de la commune sature en raison de la future borne de lavage des vélos : « La station déborde déjà en cas de fortes pluies et les eaux usées finissent dans le ruisseau de Meisenthal. »
En contrepartie du projet, la mairie prévoit de débaliser une centaine de kilomètres sur les 293 kilomètres de pistes dans la Zone Natura 2 000, dans le but de limiter les fréquentations dans le secteur protégé. Une mesure jugée « catastrophique » par les membres du collectif. Car pour Frédéric, « le massif du Schneeberg est classé zone Natura 2 000, donc déjà protégé. Nous craignons que débaliser le terrain puisse démultiplier le phénomène de "trail sauvage", entretenu notamment par les sports mécaniques illégaux qui se pratiquent fréquemment sur la zone. »
L’emplacement du trail center. Source : Alsace Nature
« On craint que ça se retourne contre nous »
Le collectif Nature et cadre de vie de Wangenbourg-Engenthal a envoyé un recours gracieux le 12 mai à l’encontre du projet, à destination du maire Daniel Acker. Il avait déjà rassemblé en automne 2021 dans une pétition 1 119 signatures, dont 217 habitants de la commune. Les membres espèrent obtenir un moratoire du projet et regrettent le manque de concertation publique. Également membre du collectif et habitante de la commune, Nathalie redoute les conséquences de son engagement : « On craint que ça se retourne contre nous. Mais en tant qu’habitants, nous avons des questions sur ce projet car nous le trouvons mal ficelé. Nous souhaitons des réponses, et nous sommes ouverts aux négociations. »
L’amiante présente dans le remblai. Photo : Clémence Michels/Reporterre
Un sentiment d’impuissance règne au sein de la commune. Celui qui a lancé le projet, Daniel Acker, est tout à la fois maire de Wangenbourg-Engenthal, président de la communauté de communes Mossig et Vignobles qui assure la gestion du projet, président de la commission locale du syndicat de développement, d’équipement et d’aménagement (SDEA), qui gère la station d’épuration de la commune, président de la Fédération des stations vertes et des villages de neige, label touristique à dimension écologique et éducative... Sans oublier la coprésidence du comité de pilotage de la zone Natura 2 000, dont fait partie le Schneeberg. L’élu affirme que des échanges ont eu lieu entre les habitants de la commune et les promoteurs du projet : « Les habitants étaient au courant de l’existence du projet depuis 2017. Il y a eu par ailleurs une réunion en octobre 2021 dans la salle polyvalente de Wangenbourg-Engenthal », indique-t-il à Reporterre. Selon lui, les travaux devraient débuter après la publication des résultats de l’étude faune et flore, qui devrait paraître en fin 2022. « Le trail center n’empêchera pas la subsistance de la biodiversité sur la prairie du Langacker », assure-t-il.
« Il s’agissait d’une réunion publique générale, dit Rolande. Le sujet du Langacker a été traité en dernier vers 21 heures, mais la discussion a été interrompue avant sa fin, vers 22 heures. » Si le recours gracieux n’empêche pas l’annulation du projet, le collectif envisage de former un recours contentieux auprès du tribunal administratif. « C’est une prise de risque », selon Benoît d’Alsace Nature : « Dans le cas où le recours contentieux serait rejeté, il faut payer les frais d’avocat de la partie adverse, et si le recours est jugé abusif, il y a un risque d’amende qui pourrait s’élever à plusieurs milliers d’euros. Mais ça en vaut la peine si le dossier est solide et au vu des enjeux. »
Clémence Michels/Reporterre (20.05.2022)
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