Dans le Nord, des jeunes citadins formés au métier de paysan

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Pendant dix ans, un maraîcher proche de la retraite a formé des jeunes au métier de paysan. Objectif de son association : favoriser l’installation agricole de jeunes dans le Nord.

La ferme de Jean-Pierre, maraîcher de 69 ans dans la métropole lilloise, fondateur de l'association Weppes en bio. Photo : Henry Simon/Reporterre

Par-delà sa charmante maison en briques accrochée au bord de la route, la silhouette de Jean-Pierre Lauwerie apparaît près de son tracteur. Ce matin encore, il travaille la terre de l’une de ses parcelles, prête à accueillir des petits pois. L’une de ses dernières interventions en tant que chef d’exploitation de la ferme « Weppes en bio », à Ennetières-en-Weppes, dans la métropole lilloise : d’ici quelques semaines, le maraîcher de 69 ans va définitivement passer la main. Définitivement, car en vérité, Jean-Pierre est à la retraite depuis presque dix ans, sans pour autant avoir fait totalement relâche. Mais il a voulu se laisser le temps de retrouver le repreneur idéal, celui ou celle à qui il souhaitait confier son terrain de 2 hectares, qu’il cultive depuis quarante ans.

Le trouver fut une gageure, d’autant que le maraîcher était guidé par une idée : transmettre ses terres à la nouvelle génération. Il a donc décidé d’accueillir et de former des jeunes non issus du milieu agricole et, pourquoi pas, léguer sa ferme à l’un d’eux. « Comme je n’avais plus la capacité physique d’exploiter pleinement mes terres, je me suis dit que ça pouvait être l’occasion de les mettre à disposition de jeunes », récapitule Jean-Pierre. Après bien des rencontres, c’est finalement un membre de sa famille —sa nièce Louise Delevallée, 25 ans— qui va les travailler. Une transmission qui témoigne, une fois encore, de la difficulté qu’ont les jeunes paysans à s’installer hors milieu familial. Pourtant, c’est peu de dire que Jean-Pierre s’est donné du mal. Voici ce qu’a été sa quête dix ans durant.

Jean-Pierre Lauwerie, maraîcher, a créé une association pour trouver une ou un repreneur à sa ferme. Photo : Henry Simon/Reporterre

2013 : dans une région où la pression foncière est forte, chaque bout de terre qui se libère est perçu comme une occasion à ne pas manquer. « Dès que les agriculteurs du coin ont su que je comptais partir à la retraite, certains d’entre eux m’ont sollicité. Mais je tenais à trouver un repreneur qui portait un projet avec lequel j’étais en phase, raconte Jean-Pierre. La ferme s’est transmise de génération en génération au sein de la famille. Je l’ai moi-même héritée de mon père. Après tous les efforts fournis pour prendre soin de cette terre et la convertir en bio, il était hors de question que l’exploitation familiale parte à l’agrandissement. »

Tester la capacité des jeunes

Jean-Pierre a alors transformé Weppes en bio en une association destinée à former des jeunes au métier de maraîcher. Et en particulier des jeunes non issus du milieu agricole : ils ont difficilement accès à la terre, et ont besoin de tester la faisabilité et la viabilité de leur projet avant de se lancer. C’est Jean-Pierre lui-même qui se chargeait de la formation. Dans ce projet, il a été rejoint par une dizaine d’amis, éloignés eux aussi du milieu agricole, qui sont devenus des membres du conseil d’administration. Lorsque le premier CDD d’un an fût proposé à un jeune, Jean-Pierre ne savait pas à quoi s’attendre. « C’était un sacré pari, dans le sens où je ne connaissais absolument pas la personne avec qui j’allais travailler. » Comme la première expérience s’est bien passée, Jean-Pierre l’a renouvelée au fil des années. Treize jeunes au total se sont succédé, parfois deux la même année.

Élise Canion en a fait partie. Ancienne professionnelle dans l’aménagement du territoire, elle a mûri son projet de reconversion dans le maraîchage pendant qu’elle était au chômage. Au détour d’une réunion d’information sur le maraîchage, elle a entendu parler de Weppes-en-Bio. « C’était une super occasion pour me confronter au métier de maraîchère, savoir si j’en étais capable. J’ai appelé Jean-Pierre et j’ai été embauchée dans la foulée. » Depuis, elle travaille comme salariée agricole et est actuellement en négociation, après plusieurs années de vaines recherches, avec l’oncle de son compagnon pour reprendre son terrain de 4 hectares. Parmi les jeunes passés chez Jean-Pierre, très peu se sont installés. Soit parce qu’ils se sont détournés du métier, trop difficile et pas assez rémunérateur à leurs yeux, soit faute d’occasion favorable.

« Comme je n’avais plus la capacité physique d’exploiter pleinement mes terres, c’était l’occasion de les mettre à disposition de jeunes », dit Jean-Pierre. Photo : Henry Simon/Reporterre

À Weppes en bio, Élise assurait un poste de responsable de cultures, comme elle pourrait être amenée à le faire sur son propre terrain. Elle planifiait par exemple quelles cultures seraient dédiées à telles parcelles, le type de variété et la quantité à planter, et auprès de quels fournisseurs acheter les semences. Seul le système de commercialisation lui était imposé : de la vente directe. Outre l’argent des ventes, l’association a bénéficié d’aides financières versées par la métropole européenne de Lille et la Fondation de France, deux institutions désireuses de soutenir l’installation agricole des jeunes.

Période de tuilage

En effet, alors que près de 50 % des agriculteurs en France auront atteint l’âge de la retraite d’ici 2030, la question de la transmission se fait de plus en plus pressante. Un phénomène auquel le Nord n’échappe pas, puisque selon la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) des Hauts-de-France, la moyenne d’âge des agriculteurs se situe à une cinquantaine d’années.

D’autres initiatives existent. Depuis des années, l’association Initiatives paysannes dans les Hauts-de-France œuvre pour que les dispositifs facilitant l’installation des jeunes se multiplient. L’association ainsi que la chambre d’agriculture du Nord misent sur la démocratisation de ce qu’on appelle la « période de tuilage ». Sur le même modèle que Weppes en bio, il s’agit de créer les conditions pour que des cédants prêts à transmettre leur exploitation et des jeunes intéressés pour la reprendre travaillent un temps ensemble afin de nouer un lien de confiance. « C’est une piste très intéressante, surtout pour les jeunes non issus du monde agricole, sans grande expérience, qui sont de plus en plus nombreux à s’intéresser au métier d’agriculteur, explique Audrey Grégoire, responsable du pôle transmission au sein d’Initiatives paysannes. Les cédants doutent parfois de la capacité de ces jeunes à reprendre leur exploitation, et notamment à la pérenniser. Il peut y avoir une forme de blocage psychologique dans la mesure où ils se sont parfois démenés toute leur vie sur leurs terres, et appréhendent que tous leurs efforts soient annihilés. »

Une candidate issue de la famille peut donc rassurer les agriculteurs. Après des études de sage-femme, la nièce de Jean-Pierre a travaillé à Weppes en bio et obtenu son brevet professionnel de responsable entreprise agricole (BPREA). Elle dispose également des capitaux suffisants pour reprendre la ferme. Un détail qui fait toute la différence. « Le prix du foncier est très élevé, parmi l’un des plus chers de France, et laisse sur le carreau de nombreux jeunes, incapables de suivre financièrement. Aucun des jeunes qui sont passés chez moi par exemple n’avait les moyens de reprendre la ferme », regrette Jean-Pierre. Louise Delevallée se serait-elle lancée dans un projet d’installation hors cadre familial ? « Clairement, non. Cela peut prendre des années et des années pour trouver de la terre, je ne suis pas sûr que j’aurais eu la témérité et la patience nécessaires. Je mesure la chance que j’ai de pouvoir m’installer, mais aussi la difficulté pour les jeunes non issus du milieu agricole qui souhaitent en faire autant. »

Simon Henry/Reporterre (5 avril 2022)

 

 

 

 

 

 

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B
Belle initiative...
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M
Une belle initiative mais elle montre l'ampleur du problème, ce ne sont pas les jeunes motivés par le métier qui manquent ce sont les terres disponibles. Dès qu'un terrain est libre il est raflé par les gros agriculteurs qui deviennent du coup toujours plus gros et ne veulent pas et d'ailleurs ne peuvent pas travailler en bio faute de temps.C'est un cercle vicieux encouragé par la FNSEA et entretenu par le gouvernement.<br /> D'ici quelques années il ne restera que de très grosses exploitations industrielles qui détruiront toute biodiversité .On gardera quelque petites fermes ici et là comme vitrine pour masquer un peu le désastre.
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J
Belle initiative pour permettre l'installation de jeunes pour qui, sans cela, c'est quasiment impossible...<br /> La FNSEA ne doit pas voir cela d'un très bon oeil, elle qui ne fait que promouvoir et aider les "gros" !<br /> Bonne journée à vous qui passez...
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