Ils sont engagés pour une terre plus verte (2)
Suite du reportage de Véronique Badets du Pèlerin sur ce sujet qui, d’une manière ou d’une autre, nous touche tous : l’agriculture ! Portraits de quelques acteurs qui sont en première ligne…
Sophie et Cyrille Gaimon élèvent 5 000 cochons dans l’Indre. Derrière eux, un méthaniseur, qui produit électricité et chaleur à partir du lisier, leur assure une autonomie énergétique. Photo : Cyril Chigot/Le Pèlerin
Si les aides publiques sont décisives pour stimuler la transition écologique de l’agriculture, elles ne constituent pas le seul levier. Les règles commerciales pèsent aussi lourdement dans la difficulté à changer de modèle. Un point sur lequel se retrouvent tous les syndicats agricoles. « Certains fruits et légumes sont traités en Espagne ou en Italie avec des substances actives interdites en France. Cela crée une concurrence déloyale, dénonce Guillaume Gabot, l’un des porte-parole des Jeunes agriculteurs. Il faut harmoniser les normes environnementales en agriculture. » Même constat du côté de la Confédération paysanne : « Nous réclamons un prix minimum d’entrée sur le marché européen afin d’éviter, par exemple, que des tomates ou des fraises cultivées avec beaucoup de pesticides et une main-d’œuvre exploitée arrivent sur les étals en dessous des coûts de production français, plaide son porte-parole Nicolas Girod. Sans mesures de protection économique, c’est un leurre de croire qu’on pourra embarquer tous les paysans dans une véritable transition écologique. Seuls iront ceux qui sont convaincus et prêts à faire des sacrifices. »
Mieux distribuer les terres
L’évolution massive des pratiques viendra-t-elle alors avec l’émergence d’une nouvelle génération de fermiers ? Un quart des agriculteurs et agricultrices ont plus de 60 ans, comme le révèle le dernier recensement agricole. La relève pourrait être une chance. À condition de permettre à ces entrants d’accéder à leur principal outil de travail : la terre. « Dans les dix prochaines années, plus de 5 millions d’hectares vont changer de main, soit près de 20 % des terres agricoles de France métropolitaine, évalue ainsi l’association Terre de liens dans son premier rapport sur les terres agricoles publié le 22 février. Sans une intervention forte et volontariste des pouvoirs publics, ces millions d’hectares nouvellement libérés iront majoritairement agrandir les fermes voisines au risque d’une fuite en avant […] et de la pérennisation d’un modèle agricole insoutenable pour l’environnement. » Plus que jamais, l’agriculture française est face à un choix. Subir les crises écologiques et sociales ou bien changer de cap, grâce à un engagement ambitieux de l’État et des citoyens. Sans compter sur les seuls agriculteurs.
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Ancien chef de chantier, Aurélien Renard a repris la ferme familiale et pratique la rotation de cultures variées pour redonner vie à la terre. Photo : Antoine Besson/Le Pèlerin
« Ou bien l’abattoir mobile voyait le jour, ou bien j’arrêtais l’élevage. » Énergique Bourguignonne de 41 ans, Émilie Jeannin a les idées bien claires sur le sens de son métier. Depuis 2006 et le décès brutal de son père, elle conduit, avec son frère, la ferme familiale. Quatre-vingts vaches allaitantes et une dizaine de bœufs s’y nourrissent exclusivement de prairies naturelles et de céréales cultivées sur place, sur les coteaux argileux de l’Auxois. Le frère et la sœur travaillent en agriculture biologique. « Durant plusieurs années, on prend grand soin de nos bêtes. Mais leurs derniers jours, avec le système actuel, c’est n’importe quoi : elles sont transportées sur des dizaines, voire des centaines, de kilomètres, puis tuées dans un stress immense. Car les bovins sont hypersensibles aux changements d’odeur et de bruit. » En 2016, elle visite, en Suède, un abattoir mobile, qui permet de donner la mort aux animaux là où ils ont grandi, accompagnés par l’éleveur. « Depuis, je n’avais qu’une idée en tête : rendre cela possible en France », confie-t-elle dans la cour de la ferme où, en ce matin de février, son projet s’incarne enfin. Dans le camion abattoir travaillent quatre opérateurs (de la mise à mort jusqu’à la préparation de la carcasse) sous la surveillance de vétérinaires. Deux vaches seront abattues dans un grand calme sous nos yeux, portes blanches ouvertes vers le pré, à moins de trente mètres de leur étable.
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Émilie Jeannin a lancé le premier camion abattoir en France, qui se déplace chez les éleveurs pour les animaux soient tués là où ils ont vécu. Photo : Claire Jachymiak/Le Pèlerin
Quarante éleveurs ont ainsi pu recourir depuis l’automne 2021 à cet équipement expérimental qui a nécessité un investissement de 1,5 million d’euros, ainsi que de longues démarches administratives.
Régulièrement inspecté, il attend un agrément final. Un parcours du combattant pour Émilie Jeannin et les membres du collectif du Bœuf éthique. Mais, selon elle, une indispensable promesse « de sens et de revenu » pour donner envie à des jeunes de se lancer dans l’élevage.
Véronique Badets/Le Pèlerin (22.02.2022)
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