Agriculture : les vacheries de nos campagnes

Publié le par Jean-Louis Schmitt

À l'affiche du Salon de l'Agriculture, qui se tiendra du 26 février au 6 mars, une superbe vache nommée « Neige ». Si sa race, l'Abondance, a survécu au grand nettoyage, d'autres sont devenues plus rares que les pandas. Bon nombre ont disparu. Retour sur le passé…

’’Le labourage nivernais’’ par Rosa Bonheur en 1849. Grand Palais (Musée d’Orsay)

’’Le labourage nivernais’’ par Rosa Bonheur en 1849. Grand Palais (Musée d’Orsay)

Voyage au pays de la ruralité. Celle d’hier. Celle qui sent le crottin de cheval et la bouse de vache. Celle où les bêtes sont souvent dans la pièce à vivre, réchauffant la communauté. Celle qui rend hommage à la traction animale et se réjouit de disposer de modestes parcelles. Celle dont l’odeur du foin est une promesse. Celle qui souffre aussi et qui se bat contre une nature parfois injuste. Celle qui ne connaît pas d’indemnités mais qui prend soin de ses vieux. Celle qui s’est effacée lorsque le cheval-vapeur a supplanté la bête de somme. Celle d’avant les trente glorieuses. Adieu « Blanchette », « Jolie », « Doucette » ou « Brunetto », les vaches ont troqué leur nom pour des numéros en plastique pendouillant à l’oreille. La mutation n’a pas seulement effacé un mode de vie, elle a bradé une bonne partie des races bovines. Pour comprendre la pathétique saga, il faut commencer par rendre hommage à l’ancêtre.

Le gaillard pouvait atteindre les 1 000 kilos et afficher 1 mètre 70 au garrot. Apparu il y a quelque 2 millions d’années, l’aurochs a été immortalisé par les peintures pariétales de Lascaux, il y a 19 000 ans. L’animal a le sens de la famille, il va générer plus de 500 races de bovins dont la population mondiale est évaluée aujourd’hui à 1 250 milliards d’individus. Notre reconnaissance à l’égard de ce patriarche a fait défaut. Victime de la chasse, le dernier aurochs a été abattu en Pologne en 1627.

Poursuivons avec l’époque où Rosa Bonheur accède à la gloire, en 1849, après avoir peint « Le labourage nivernais ». Le tableau, aujourd’hui exposé au Musée d’Orsay, montre deux attelages de bœufs charolais tirant des charrues au petit matin. L’artiste avait-elle imaginé le fabuleux destin de ses modèles? De son temps, on les évalue à quelque 400 000 têtes. Leur population va exploser. Trois millions de charolaises sont comptabilisées en 1988. Aujourdhui, elle est devenue la première race allaitante de France. Et, dans son incroyable ascension, elle a absorbé la Morvandelle, la Bourbonnaise et la Nivernaise. Trois races désormais disparues.

La globalisation de la vache

La saga de la charolaise explique le déclin de nombreuses races locales, attachées à un terroir. Trop peu nombreuses, pas suffisamment performantes, elles sont éradiquées du paysage agricole. Philippe J. Dubois, qui s’est penché sur Toutes les vaches de France (éditions Delachaux et Niestlé), précise : « La Morvandelle de Bourgogne, connue pour la vigueur de ses bœufs, s’est aussi effacée devant la charolaise. » Ailleurs, c’est la Tourache qui se métamorphose en Montbéliarde. Plus loin, la Gévaudan ne résiste pas à la belle Aubrac au pelage fauve.

L’entre-deux-guerres sonne le glas. La performance s’impose, les petites races « ordinaires » n’ont plus leur place dans la société qui se dessine. Dans l’est de la France, la Montbéliarde, à la robe pie rouge et aux cornes en lyre, va devenir la star des fromages. On lui doit le Comté, le Mont-d’or ou le Reblochon. Capable de produire plus de 10 000 kilos de lait par lactation (environ 10 mois), elle a balayé la Bressanne ou la Fémeline, des races pourtant florissantes autrefois. Pour beaucoup de races, la page va être tournée par Edmond Quillet. Là encore, Philippe J. Dubois témoigne : « Après 1945, cet ingénieur général agricole décrète que la France n’a besoin que de quelques races laitières. On décide alors de ne plus allouer de primes aux producteurs, d’interdire l’insémination et même leur présence dans les concours agricoles aux races déjugées. » Cette stratégie radicale condamne en quelques années la Bordelaise, la Mézenc, la Marchaise, la Solognote, la Sarthoise et bien d’autres à s’effacer du paysage.

Si l’on peut évaluer à quelque 80 le nombre de races ou communautés bovines qui pâturaient en France durant le 19e siècle, près de la moitié d’entre elles n’existe plus de nos jours. Seules 42 races originaires de France ont survécu, dont 22 restent à petits effectifs. En résumé, le cheptel bovin est essentiellement représenté par huit races. La prim’holstein s’impose en haut du podium. Elle compte le plus grand nombre de têtes en France. Juste derrière, la Charolaise et la Limousine ne déméritent pas. Suivent la Montbéliarde et la blonde d’Aquitaine, la Normande, la Salers et l’Aubrac. Il existe aujourd’hui un épilogue à l’histoire de l’élevage bovin. De même que certains protecteurs se sont dévoués pour sauver les pandas ou les rhinocéros, des éleveurs ont tout mis en œuvre pour offrir une seconde chance aux bovins les plus mal aimés. Même l’ancêtre, l’aurochs, pourtant disparu, semble renaître de ses cendres.

Le retour des races rustiques

Dès les années 1920, en Allemagne, les frères Heck tentent de sélectionner des races se rapprochant du premier bovin. Baptisé aurochs de Heck, l’animal apparaît officiellement en 1979, puis est reconnu dans le catalogue des races bovines françaises en 1997 sous le nom d’aurochs reconstitué. Actuellement, l’hexagone compte près de 450 de ces bovins répartis chez une dizaine d’éleveurs, mais c’est à l’étranger que la renaissance semble se dessiner davantage.

Aux Pays-Bas, en Croatie, en Hongrie, au Portugal ou en Espagne, les Aurochs, extrêmement rustiques, ont été dispersés sur des terres en friches ou des espaces naturels, avec pour mission de maintenir les prairies, en évitant le reboisement. Restent les races contemporaines, victimes de la surproduction. La Fondation du Patrimoine, qui ne se préoccupe pas seulement des vieilles pierres, a décidé de soutenir les initiatives visant à sauver les races menacées grâce à un prix pour « l’agro-biodiversité animale ».

L’un des derniers a été remis à la ferme de la Grole Bagnade (Poitou-Charentes) pour son engagement en faveur des vaches maraichines. Familière du Marais poitevin, cette race a vu sa population diminuer jusqu’à ne compter plus qu’une cinquantaine de têtes. Les quelques élevages qui se sont investis, comme celui de la ferme de la Grole Bagnade ou la ferme de Dixmérie, à Triaize, ont permis de faire remonter les effectifs à 1 300 bêtes. La Bretonne pie noire, la Bleue du Nord, l’Armoricaine et quelques autres renaissent aujourd’hui de leurs cendres sans passer par l’entonnoir de l’élevage industriel. L’initiative est non seulement heureuse, mais elle se révèle également profitable. L’université de Newcastle, dans le nord de l’Angleterre, a mené une étude prouvant qu’en accordant plus d’importance à chaque bête, par exemple en l’appelant par son nom, on améliorait le rendement jusqu’à 250 litres de lait de plus par an. Comment la ferme des 1000 vaches n’a-t-elle pas perçu que la bientraitance était plus rentable?

Allain Bougrain-Dubourg (25.02.2022)

 

 

 

 

 

 

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Z
Oui pathétique saga comme dit Allain Bougrain Dubourg! Et les efforts pour redonner vie à d'anciennes lignées ne changent en rien le sort de celles qui de A à Z ne vivent que souffrance .
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J
Le ''Salon'', la prétendue ''plus grand ferme'' du pays, quelle mascarade ! Cela n'a rien à voir avec les fermes d'antan quant aux animaux qui y sont ''exposés'', brossés, soignés, choyés... cela n'a qu'un temps, celui du salon, justement ! Après, c'est le retour à la ''vraie vie'' avec ses réalités, ces exigences et toute son inhumanité... ''Neige'' et toutes les autres vedettes d'un jour retrouveront leurs stabulations et, au final, termineront dans un abattoir après avoir fait connaissance avec cet impitoyable monde qu'est celui de la brutalité des hommes... L214 et l'OABA ont encore de beaux jours et, tant que je le pourrais, je soutiendrais ces associations qui œuvrent pour une vie -et une mort- un peu plus digne pour tout ces animaux !
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B
Et un magnifique tableau de Rosa Bonheur
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B
Vachement bien rédigé par Allain Bougrain-Dubourg.<br /> Je partage<br /> Bon dimanche Jean-Louis
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