Le gamin qui ne voulait pas fêter Noël

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Ce soir, c’est Noël. Les étoiles brillent dans le ciel. Les vitrines des magasins sont illuminées. Il y a des guirlandes et des boules accrochées sur le sapin. La neige, les chants, la lettre au père Noël. L’odeur de la dinde rôtie. Tous les cadeaux à déchirer au petit matin. La féerie des fêtes de fin d’année.

Je m’appelle Jean Balthazar, j’ai 6 ans et ce soir, je peux vous dire que leur histoire de réveillon commence sérieusement à me briser les roustons. Ici, toute la famille est réunie. Tonton suce le jus des escargots en parlant de la prochaine présidentielle. Papi hoquette en finissant la bouteille de Bordeaux. Évidemment, c’est maman qui apporte la quatrième entrée à table. Et papa ne devrait pas tarder à se taillader le tendon en ouvrant les huîtres. Comme mes parents n’ont pas de cheminée à la maison, ils ont zappé sur Netflix qui propose une série où l’on voit en permanence un feu sur l’écran. Tout seul dans ma chambre, j’entends le rire gras des adultes dans le salon. Par la fenêtre, je décide de fuguer. Avec le réchauffement climatique c’est pratique, il ne fait pas froid et pas un flocon ni un traîneau à l’horizon.

Ras le dos du père Noël que maman va appeler si je ne finis pas mon foie gras. Marre du père Noël qui va m’apporter des papillotes si je me tiens bien à table. M’en fous, j’aime pas le chocolat, d’abord. En plus, le mec est inconnu au bataillon. On sait juste vaguement que l’on se réunit en souvenir d’une fête païenne associée au solstice d’hiver, que le grand barbu ressemble à Saint-Nicolas, un Turc qui aurait sauvé trois enfants des crocs d’un boucher. Et qu’il boit des Coca pour tenir le coup pendant sa tournée. Déjà avec leurs cloches de Pâques et leur petite souris, on m’avait bien pris pour une andouille. Mais là, c’est trop.

La rue est déserte, il y a de la buée sur les fenêtres. J’ai l’impression que je peux faire tout plein de bêtises quand il n’y a pas les grands et leur triste fête pour m’embêter. Alors, j’ai piqué la tronçonneuse de papa dans le garage et j’ai tout rasé les branches des sapins de la ville. J’ai vu aussi quelques bonbons jetés dans une poubelle et beaucoup de papiers déchirés. J’ai mangé les bonbecs et j’ai allumé un petit feu avec les allumettes de tonton.

Plus je me promène, plus je sens bien que je suis un petit peu en colère. Mais il y a de quoi. Et la voix insupportable de Tino Rossi qu’on se coltine tous les ans au spectacle de fin d’année ? Et le sourire émerveillé que je dois me forcer à faire devant le robot dernier cri acheté par tata ? Et toutes ces illuminations complètement moches qui consomment des watts pour des prunes ? Vous croyez que c’est simple quand on a 6 ans et que l’on déteste Noël ?!

C’est vrai que je devrais être comme tous les enfants : croire à la légende, aimer jouer avec des bibelots en plastique fabriqués en Chine par des ouvrières qui gagnent 240 euros par mois (1), à croquer mon chapon incarcéré (2), à pleines dents en me disant qu’il faut profiter de la vie. Et que l’on peut bien faire un petit écart de temps en temps.

Enfants de tous les pays, unissez-vous ! Prenez la rue pendant le réveillon. Faites le grand soir sans les cadeaux couillons. Faites comme moi, faites pipi sur le transformateur électrique pour éteindre toutes les guirlandes de la ville. Arrêtez de croire aux grands qui croient encore au père Noël. Entouré par deux policiers devant mon commissariat de quartier, je regarde le beau ciel profond en attendant mes parents. En voilà un chouette réveillon. C’est comme dans la chanson des Wampas, un groupe de punk-rock français : « Ce soir, c’est Noël. Les étoiles brillent dans le ciel ! »

Clément Villaume/L’Âge de Faire (décembre 2021)

(1) Le groupe américain Mattel, créateur de la poupée Barbie, des jouets Polly Pocket ou Fisher Price, rémunère 240 euros par mois ses ouvrières chinoises, qui ont aussi dénoncé des violences sexistes et sexuelles dans leur usine.

(2) Pour « affiner » une volaille, c’est-à-dire l’engraisser avant Noël, les chapons de Bresse sont stockés dans de petites cages appelées « épinettes » pendant un mois.

 

 

 

 

 

 

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C
Je suis comme ce gamin, rétif aux fées de la consommation et préférant de loin, les bons Noëls d'antan qui avaient "du sens"... Sus à ces détestables orgies de la malbouffe ou l'animal subit a peu près toutes les horreurs issues d'imaginaires tordus ! Vive jean-Balthazar...
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B
Trop bien ce gamin !!<br /> Joyeux Noël Jean-Louis
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J
Eh bien, moi, je l’aime moi ce Jean-Baltazhar dépité et en révolte par rapport au sens de la fête de la famille réunie, fête de façade qui, après quelques verres, retrouve rapidement le naturel… Avant, il y avait des sujets –comme la politique, l’immigration, les score du FN… -qu’il ne fallait surtout pas aborder ! Désormais c’est ce fichu Covid, la vaccination, le pass sanitaire (bientôt ‘’vaccinal’’…) qu’il convient d’éviter ! Le faux semblant, la fête des apparences trompeuses, les simulacres d’une ‘’joie’’ feinte… s’étiole rapidement et, parce que mieux vaut éviter les sujets qui fâchent –un comble entre amis dignes de ce nom…- on se rend compte que, rapidement, on n’a plus grand-chose à se dire et on se sépare vaguement déçus… Cette ‘’ fête là’’ il y a belle lurette que je la fuis comme la peste avec l’envie, comme Jean-Balthazar, de mettre un grand coup de balai dans ces stupides conventions hypocrites : avec les amis, on doit pouvoir tout se dire sans se fâcher même si on n’est pas d’accord… Et puis, cerise sur le gâteau, ces ripailles –pour lesquelles certains vont jusqu’à s’endetter !- quelle absurdité ! Je préfère quant à moi, partager le peu que j’ai et m’en régaler en compagnie d’un parfait inconnu… Voilà, pour moi, l’esprit de Noël… Tout le reste ne représente pour moi que du ‘’politiquement correct’’, parodie et caricature du réel qui, lui, n’est vraiment pas joli-joli…
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Z
Ah Ah ,L'insupportable "petit papa Noël " de Tino Rossi c'est ce que je me disais en faisant quelques courses ce soir . Il me plaît bien Jean-Balthazar, il me fait penser à la chanson de Dutronc "La fille du Père Noël : "Elle s'appelait Marie Noël, Je m'appelais Jean Balthazar..."
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C
Ouais! Je ne savais pas comment commenter, mais je suis d'accord avec les autres. Je doute qu'un petit enfant pense ainsi... Bises et beau Noël à vous deux...
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M
Hier soir a l'Eco Musée d'Alsace à voir les yeux émerveillés des enfants devant les lumières, les décorations et les petites scènes de Noël d’antan, je n'ai pas eut l'impression qu'ils détestaient Noël .<br /> Laissez les enfants rêver et ne leur prêtons pas des idées d'adultes aigris, si vous n'aimez pas Noël ne le fêtez pas, nul ne vous y oblige mais n'en dégoutez pas les autres et surtout pas les enfants !
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M
Les adultes qui parlent pour les enfants, franchement, c'est glauque... Je ne doute pas que de très rares enfants, parce qu'ils n 'ont pas été élevés dans le consumérisme outrancier qui caractérise notre société et cette fête en particulier, ou d'autres, pas si rares, maltraités par leurs parents, détestent cette fête "des enfants", mais sûrement pas avec les arguments avancés ici. Les professionnels de l'enfance, dont je fus, peuvent vous le dire... La description, grinçante et sans doute avérée de ce réveillon, est une vision d'adulte. Que l'auteur l'assume en tant que tel. Je n'aime pas que l'on se serve de l'enfance qu'on pare de tous les vertus pour donner raison à ses opinions.
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M
Je partage entièrement votre point de vue.
M
pardon "toutes les vertus"
J
Noël est la fête des enfants et des cadeaux autour d'un sapin de Noël. J'avais la chance que cela se passe en montagne avec de la neige. Noël est fait pour les enfants. Un peu de rêve, ça ne fait pas de mal. C'est l'amour des parents. Le plaisir d'exister. Jean Balthazar a bien raison de se révolter. C'est un message qu'il lance au monde des adultes. La merveille de l'existence est dans la contemplation des étoiles. Un super Sapin de Noël.
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