Chasse à courre : Sauver la tête des cerfs à défaut de couper celle des nobles

Publié le par Jean-Louis Schmitt

Nous sommes allés en forêt de Compiègne, dans l’Oise, avec des militants de l’association Abolissons la vénerie aujourd’hui (AVA), qui lutte contre la chasse à courre. Leur but : sauver les cerfs de ces clowns sadiques en redingote qui se croient encore sous l’Ancien Régime. Entre courses-poursuites, insultes et bousculades, la défense des animaux rejoint ici la lutte des classes…

Charlie qui va à la chasse, ça n’arrive pas tous les jours, et c’est même sans doute la première fois. Mais il s’agit ici d’une chasse très particulière : la chasse aux chasseurs. Nous sommes dans la forêt de Compiègne, dans l’Oise, à moins d’une centaine de kilomètres au nord de Paris. Nous y retrouvons les membres d’Abolissons la vénerie aujourd’hui (AVA). Il y a une trentaine de personnes, de 17 à 69 ans et de tous milieux sociaux : Bastien, travailleur du bâtiment; Léa, traductrice; Christine, retraitée des hôpitaux Chaque samedi, ils viennent ici pour emmerder les chasseurs et tenter de sauver un cerf.

À l’origine de ce combat, un trentenaire dynamique, enfant du pays, ancien producteur de rap et créateur d’AVA : Stanislas Broniszewski. Après une gorgée de café ou de thé, et une part de tarte végane (délicieuse), nous partons en direction du groupe des chasseurs, quelques centaines de mètres plus loin.

Deux castes sautent aux yeux. Il y a ceux à cheval, bottines lustrées et redingote à boutons dorés. Et ceux à pied ou à vélo, bottes en caoutchouc encore tachées de purin, anorak élimé et tee-shirt « J’aime la chasse » en guise d’uniforme. L’échelle sociale est concrétisée par la hauteur, au sens propre, les dominants surplombant les manants. Ces derniers, dans le langage de la vénerie, sont d’ailleurs nommés « valets » : tout est dit. Et il y a aussi les tronches. Je sais que la morphopsychologie n’est pas une science, mais il est difficile de résister. Dans les familles « Le Quesnoy », mentons méprisants et lèvres arrogantes, du genre à sucer des hosties. Quant aux « Groseille », laissons ce membre d’AVA les décrire : « Regarde ce gamin, il est jeune mais il a déjà l’air vieux. On se croirait à Groland, mais au moins à Groland, ils sont marrants. » Il y a le cerf chassé et les serfs inféodés à leurs maîtres.

Entre opposants et chasseurs, au début, on ne se parle pas. Mais cette indifférence glacée ne durera pas longtemps. Atten­tion, ça démarre. Pas une seconde à perdre. Les membres d’AVA répartissent les rôles. Certains restent en voiture pour suivre les mouvements des chasseurs sur les routes, d’autres s’enfoncent en forêt pour les pister au plus près. Nous suivons le second groupe.

Vu que les chasseurs sont à cheval et nous à pied, il nous faut crapahuter à vive allure. On se prend des branches dans la gueule, on trébuche dans des trous… Et on finit évidemment par croiser des chasseurs. Là, changement de ton. On les emmerde, et ils nous le font comprendre. Du haut de son cheval, l’un d’eux crache un péremptoire « Circulez! ». Non mais, il se prend pour un flic, ce gus en tenue de cirque? Voyant quon ne le prend pas au sérieux, il embraye sur un « Casse toi, t’as rien à faire là ». Comme cela n’impressionne pas davantage les trublions d’AVA, les chasseurs passent des menaces aux actes : un cavalier lance sa monture à bride abattue sur le chemin où nous nous trouvons. Là, ça devient sérieux. Riss se trouve pile sur la trajectoire de l’équidé, l’un de ses gardes du corps commence à sortir son brassard « Police ». Ce serait con d’échapper aux djihadistes et de se faire buter par un canasson! Il est fréquent que les opposants se fassent agresser physiquement par les chasseurs.

Une seule belle chose dans ce manège : les sonneries des trompes dans la réverbération fores­tière (à condition d’oublier leur fonction, qui est de guider la traque). On apprendra que le cerf utilise de nombreuses ruses pour déjouer ses pourchasseurs : il peut partir dans une direction, rebrousser brutalement chemin, faire de larges détours… À un moment, je le verrai traverser le chemin, le temps d’un éclair. Malheureusement, derrière lui, les chiens ne sont jamais loin.

À ce moment-là, il faut déployer d’autres tactiques pour dérouter les limiers. Il y a d’abord l’arme chimique. Rassurez-vous, rien de toxique, juste un flacon de citronnelle, dont on asperge le sol et nos chaussures. Très bon conseil pour emmerder les chasseurs : inondez-vous d’eau de Cologne avant d’aller en forêt!

Encore plus efficace, l’arme acoustique. Stanislas sort un haut-parleur qui diffuse des aboiements. Quelques ­appels d’une voix ferme par là-dessus, et la meute de chiens se dirige vers nous. Trente clébards hyperexcités qui vous foncent dessus, venant de toute part, ça impressionne. On pense à Elisa Pilarski, cette jeune femme dévorée, le 16 novembre 2019, certainement par son chien, mais ceux d’une chasse à courre furent un temps soupçonnés. Je me rapproche des officiers de sécurité, dont les mains se sont légèrement rapprochées des flingues, au cas où les chiens confondraient Riss avec un cerf. Mais les quadrupèdes ont une bonne tête – bien plus sympa que celle de leurs maîtres, en tout cas – et affichent une mine désemparée, l’air de dire « Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant? ». Quand je m’étonne de voir leurs côtes saillantes, Stanislas mexplique que « c’est parce qu’ils ne sont pas beaucoup nourris, pour qu’ils puissent courir longtemps ». Voilà les chasseurs qui débarquent, furibonds, en hurlant violemment : « Tapez pas les chiens! » Ce sera leur leitmotiv de la journée. Comme si les membres d’AVA, défenseurs des animaux, pouvaient faire du mal à des chiens! Stanislas nest pas étonné, car « ils font courir cette rumeur absurde, pour haranguer leurs « valets » et les énerver contre nous, en leur faisant croire qu’on fait du mal aux chiens ». Un jeune chasseur déboule à pied, très échauffé, cravache en main, la voix étranglée, comme un gosse à qui on retire son joujou : « Laissez-nous chasser, bordel! » Il y a là une petite dizaine d’opposants, mais à qui s’en prend-il? À une jeune fille, quil agrippe violemment! Réflexe de chasseur habitué à sattaquer à plus faible?

Quelques instants plus tard, nous tombons sur deux gendarmes qui viennent d’arriver à moto tout terrain. Normal, ils patrouillent en forêt. D’un côté, le groupe d’AVA, de l’autre, monté sur son cheval, un homme d’environ 70 ans, foulard blanc autour du cou et trompe de chasse en bandoulière. Il s’agit d’Alain Drach, fils de la baronne Monique de Rothschild, maître d’équipage de La Futaie des amis, qui organise cette chasse. Alain Drach s’adresse aux gendarmes de haut, au sens propre comme au sens figuré, en nous désignant d’un regard méprisant : « Avec le merdier qu’ils viennent de faire, vous ne bougez pas? » Heureusement, l’un des pandores ne se laisse pas impressionner, et hausse le ton en s’approchant de la monture : « Hé, monsieur, vous avez pas à me donner d’ordre! » Alain Drach aurait bien voulu nous voir infliger une contravention pour « entrave à la chasse », délit passible de 1500 euros damende (aucun membre dAVA na jamais été condamné). Il se sent peut-être investi dune mission divine, vu que sa mère avait déclaré, en 2004, qu’« être dans les bois, avec les chiens, les chevaux, les grands animaux, c’est un cadeau que nous fait le Seigneur ». Je ne sais pas si le fiston a l’appui du Tout-Puissant, mais il a assurément celui de l’argent. Il dirige pas moins de cinq sociétés civiles immobilières, un site de vente en ligne et un magasin de vêtements de vénerie (à 195 euros la toque et 395 euros le parapluie, ça donne une idée de la clientèle et du chiffre d’affaires…).

Généralement, les chasseurs se défendent en arguant qu’ils ne tuent pas les animaux, oh! Surtout pas, mais quils les « prélèvent » pour « réguler » la faune (un peu comme les militaires qui nexterminent plus dennemis, mais « neutralisent » des « cibles »). Cependant, le naturel revient parfois au galop, comme lorsque, le 9 novembre dernier, le président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, dans l’émission Les Grandes Gueules, sur RMC, lâchait à son interlocutrice : « Tu penses qu’on est là pour réguler? Mais tas pas compris que pour nous cest une passion? Tas pas compris quon prend du plaisir dans lacte de chasse? [] Jen ai rien à foutre de réguler. » Eh oui, le chasseur ne tue pas pour gérer la biodiversité, mais pour se distraire, on s’en doutait, mais c’est toujours bien de le rappeler. Merci, Willy, pour cette franchise.

Et quand bien même il y aurait trop de cerfs, on n’est pas obligé de les faire souffrir en les terrorisant durant des heures jusqu’à l’épuisement, et il n’y a même pas l’excuse de les manger, puisque le cadavre est jeté aux chiens. Il y a autant de différence entre un paysan qui tue un lapin pour son dîner et un aristo qui chasse à courre qu’entre un quidam qui tue par légitime défense et un serial killer qui torture pour jouir. La chasse à courre, c’est le mariage du sadisme et du privilège de classe.

C’est donc un thème éminemment politique. Or, sur ce sujet, les élus sont pour le moins timides. AVA avait lancé une péti­tion, en janvier 2021, pour réclamer l’interdiction de la chasse à courre. Elle a été signée par une centaine de personnalités, de Laurence Rossignol (PS) en première ligne de ce combat – à Jean-Luc Mélenchon (LFI), Dimitri Houbron (LREM) ou encore Julien Bayou (EELV)… Mais pour l’instant, aucune loi n’a jamais été présentée. Et pourtant, selon un sondage Ifop d’avril 2021, 86% des Français sont pour linterdiction de la chasse à courre.

En attendant, notre cerf doit se débrouiller seul pour survivre. En fin de journée, il se réfugiera près du stade de foot du village de Saint-Sauveur. Les habitants s’interposeront, et les chasseurs devront céder, en vertu d’un arrê­té ministériel qui interdit de poursuivre les animaux en zone habitée.

L’ironie de l’histoire, c’est que ce texte est indirectement dû à… Alain Drach en personne. En effet, le 21 octobre 2017, il avait abattu un cerf qui s’était réfugié dans un jardin privé, à Lacroix-Saint-Ouen, dans l’Oise, et l’émotion citoyenne avait été si grande qu’elle a conduit le gouvernement à exclure les chasseurs des villages.

Notre cerf en profitera pour s’enfuir. Et l’obscurité venant, la chasse devra s’arrêter. Le dernier tableau de la journée sera celui d’Alain Drach fumant son cigare devant sa meute de chiens et ses amis taciturnes car bredouilles. En revanche, c’est la joie côté militants, parmi lesquels circulent les godets de vodka : « On peut dire qu’aujourd’hui on a sauvé le cerf. Quand les chasseurs ratent le cerf, on met parfois C’est bon pour le moral, de la Compagnie créole. »

On aura fait une belle balade en forêt, et surtout utile. La poli­tique ne se joue pas que sur les bancs de l’Assemblée, mais aussi les pieds dans la boue. La lutte contre la chasse à courre agrège deux éminents combats, la défense des animaux et la lutte des classes. En 1789, on coupait la tête des nobles, ça ne se fait plus aujourd’hui, mais on peut se consoler en sauvant celle des cerfs.

Antonio Fischetti/Riss/Charlie Hebdo (24.12.2021)

Si vous voulez soutenir Abolissons la vénerie aujourd’hui, ou les accompagner en forêt, toutes les infos sur ava-france.org

 

 

 

 

 

 

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Z
Merci infiniment à Charlie pour son engagement contre cette abomination .
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D
Une abomination imbécile comme tant d'autres; avec bonne conscience en plus puisque c 'est autorisé ! Divertissement préféré des rois sous l'Ancien Régime ...je ne les absous pas bien au contraire je les méprise et pas seulement pour la chasse à courre; mais eux ne savaient pas comme nous désormais à quel point l' Animal est sensible, empathique, solidaire parfois entre espèces, qu'il ressent , aime, souffre ; les aristocrates de parade comme tu le dis Jean-Louis, pitoyables , ridicules en plus , d''aujourd'hui le savent. Mais dans une société où on a encouragé l'individualisme, le nombrilisme, le "" vous le méritez bien ", ils ont beau jeu ...
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D
Je te souhaite bonne année et meilleure santé possible pour profiter de la nature!
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M
Beau tableau de chasse, pas à court de cons.Très efficace ! Riss ? Evidemment !
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M
Un bon résumé de ce qu'est vraiment la chasse à courre survivance d'un autre temps qui ne tient que grâce à la complicité des politiques au service de la grande bourgeoisie. Dire qu'en Angleterre ils ont encore une reine mais que la chasse à courre est abolie depuis belle lurette ...<br /> Quand à la règle de ne pas tuer un cerf près des habitations elle est régulièrement bafouée en toute impunité , encore un cerf abattu à la carabine par des veneurs près des habitations où il c'était réfugié il y a quelques jours ...<br /> <br /> Bravo aux membres courageux d'AVA et honte à nos politiques qui ont voté spécialement une loi contre eux comme s'il ni avait pas des choses plus importantes à faire ...
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D
MERCI AVA "Abolissons la vénerie aujourd'hui" ! Soutien de tout mon coeur !
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J
Très belles illustrations en effet et magnifique description de cette « différence de classes » s’accordant bien avec ce que j’ai toujours ressenti de ce mépris de certains de la « haute » vis à vis de leurs on ne peut plus semblables. Nous rejoignons ici cette trouble association de « chasseurs-pouvoir-donneur d’ordres-hautain » qui bien malheureusement sévit beaucoup en politique, domaine dans lequel les promesses et les programmes passent au dernier plan, derrières les mensonges, arrangements, diffamations et discours stupides de séduction pré-électorale sans autre fondement réel que d’obtenir des voix pour ensuite les détourner.
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J
Superbe reportage "sur le vif" de l'équipe de Charlie qui a accompagné les irréductibles d'AVA qui ont toute ma sympathie : ils sont coriaces et tiennent bon : grâce à eux, cette abomination qui perdure malgré le temps, est régulièrement médiatisée ! Longue vie donc à l'AVA et bien du mal à ceux de l'autre bord, noblions, aristocrates de parade et "manants" imbéciles qui suivent ces cruelles courses-poursuites avec un plaisir évident...<br /> Bravo aussi à Riss pour ses illustrations "plus vraies que nature" !
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