S’amuser avec l’écologie, le choix de Swann Périssé
L’humoriste et vidéaste sur YouTube se rend partout en France, chez ses « abonnés », pour les aider à réaliser des chantiers écologiques. Sans laisser croire que les actions individuelles sont suffisantes, Swann Périssé prône des projets qui amènent vers « le bonheur » et « la résilience » …
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La YouTubeuse Swann Périssé part en caravane à la rencontre de ses abonnés pour mettre en place des projets écologiques. Photo : Anna Kurth/Reporterre
En l’observant utiliser une scie sauteuse, on ne devine pas que Swann Périssé ne savait pas bricoler il y a un an et demi. Sourcils froncés, l’air concentré, elle découpe soigneusement des planches de récup’ qui s’accumulent sur le sol. « Tout va bien ? » lance-t-elle en retirant un casque de protection de ses oreilles. En face d’elle, sur le parking du skatepark Le Hangar à Nantes (Loire-Atlantique), une dizaine de bénévoles lui répond avec enthousiasme. Perceuse et visseuse à la main, ils s’affairent à construire des poubelles de recyclage, sous la supervision attentive de la trentenaire.
Swann n’est pourtant pas cheffe de chantier : elle est humoriste. Depuis 2014, elle publie sur la plateforme de vidéos YouTube des sketchs tirés de sa vie personnelle. Mais à l’été 2020, elle a décidé de prendre un autre tournant en créant une seconde chaîne YouTube, dédiée cette fois à l’écologie.
Tout a commencé après le premier confinement 1 et une rupture amoureuse difficile. Swann, citadine depuis toujours, a éprouvé le besoin de s’éloigner de la ville pour « vivre dans la nature ». L’idée lui est venue d’emprunter l’ancienne caravane de son grand-père pour partir sillonner les routes de France. « Elle avait son permis depuis trois mois, elle habitait à Paris dans un appartement très encombré... Quand elle m’a parlé de la caravane, je lui ai dit “Mais t’es complètement tarée !”», se souvient Louanne, la meilleure amie de Swann.
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Swann Périssé : « J’habitais à Paris dans un appartement de 37m², maintenant je vis dans une caravane de 4m² et je m’y sens beaucoup mieux. » Photo : Anna Kurth/Reporterre
L’humoriste a elle-même ressenti des doutes avant de se lancer : « J’avais l’impression que ce n’était pas possible de quitter la ville. Je me suis dit “Je ne suis pas en couple, je ne sais rien faire de mes dix doigts, je ne sais même pas déneiger devant ma porte, donc qu’est-ce que je vais aller foutre toute seule ?”» La solution a fini par s’imposer : elle allait apprendre « avec les gens ».
« J’ai eu l’idée d’aller chez des personnes qui s’endormaient en se disant “Un jour, on fera du compost” ou “On devrait construire des toilettes sèches” et qui ne le faisaient jamais parce qu’elles n’avaient pas le temps, résume Swann. Je me suis dit que moi j’aurais le temps, je pourrais les aider et on apprendrait ensemble. »
Mission : construire des poubelles de recyclage
La jeune femme a donc créé une nouvelle chaîne YouTube, baptisée « Vert chez vous ». Et très vite, les demandes ont afflué. Comment aménager un potager sur son balcon, construire une ruche dans son jardin, rénover une chambre de bébé de manière écologique... Pendant plusieurs mois, Swann a parcouru la France à bord de sa caravane —surnommée « Tatiana »— pour se rendre chez ses abonnés et réaliser (gratuitement) chez eux le projet dont ils rêvaient. « Au début, on était deux —une chargée de production et moi— et on essayait de faire trop, parce qu’on vient d’un milieu capitaliste, s’amuse-t-elle. On dormait chez les gens, on changeait de région toutes les semaines, on était épuisées. »
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Swann Périssé : « Je fais régulièrement des travaux dans la caravane, mais j’ai laissé le mobilier d’origine. Elle date de 1981, mon grand-père l’a achetée dans les années 1990. » Photo : Anna Kurth/Reporterre
Aujourd’hui, l’équipe s’est agrandie et le fonctionnement a évolué : Spriss Productions (le nom officiel de l’entreprise de Swann) compte une chargée de production, une responsable technique, un responsable des réseaux sociaux et trois monteurs et monteuses [2. Lorsque les projets à réaliser chez les abonnés ne demandent pas d’organisation particulière, Swann se rend seule chez eux et dort dans sa caravane, garée dans leur jardin ou sur une aire à proximité. Et quand les chantiers nécessitent une logistique plus importante —comme ici, au skatepark de Nantes— toute l’équipe de Spriss Productions (hormis les monteurs) se déplace et loue un logement. Les salariés vivent alors ensemble, en communauté, pendant toute la durée du projet.
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Avec des abonnés, pendant la construction des poubelles de recyclage à Nantes. Photo : Anna Kurth/Reporterre
À Nantes, toute la troupe s’attelle à une nouvelle mission : fabriquer une quinzaine de poubelles de recyclage pour le skatepark couvert de 5 300 m². C’est Anaëlle Nogueira, « rideuse » professionnelle [3] et « abonnée » de la chaîne « Vert chez vous », qui a demandé à Swann de venir l’aider à mettre en place ce projet.
« Mon but, c’est de donner aux gens envie de s’amuser avec l’écologie. »
Parmi les bénévoles venus à leur rescousse, on observe des habitués du skatepark, mais aussi d’autres « abonnés » de la région venus pour l’occasion. Qu’importe qu’ils ne sachent pas (encore) bricoler : Swann leur apprend patiemment. « Tu prends ton foret et tu le fais entrer entre ces trois lamelles, explique-t-elle à Louise, 18 ans, perceuse à la main. Voilà, c’est très bien ce que tu fais ! » Au bout de quelques essais, les bénévoles prennent le coup de main. Les visages s’illuminent, un sentiment de fierté apparaît. « Mon but, c’est de donner aux gens envie de s’amuser avec l’écologie, de devenir indépendants, d’apprendre à faire des choses, souligne Swann. C’est “empouvoirant” de réaliser ce qu’on est capable de construire alors qu’on ne savait rien faire avant. »
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Swann avec Anaïs, Louanne, ainsi que Nelly et Mateo, des membres de son équipe. Photo : Anna Kurth/Reporterre
Cette aisance devant les autres, Swann semble l’avoir depuis toujours. Après avoir fait ses études à Sciences Po —par « reproduction sociale » estime-t-elle, son père ayant étudié à l’École nationale d’administration (ENA)— la jeune humoriste a écumé les scènes parisiennes de stand-up pendant plusieurs années avant de se lancer sur YouTube. Elle porte aujourd’hui un regard assez dur sur ses anciennes productions. « C’était des vidéos drôles, avec seulement une première lecture, juge-t-elle. Lorsque je réagissais à “Ces pubs qui nous prennent pour des cons”, je voulais me moquer du consumérisme et finalement je faisais juste des blagues sur le fait qu’elles étaient mal jouées. J’étais toujours à côté. »
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Swann Périssé : « Dans cette caravane, l’enjeu c’est de survivre au froid et à l’humidité pendant l’hiver, et aux moustiques pendant l’été. » Photo : Anna Kurth/Reporterre
Vers un futur où « nos conforts seront bouleversés »
Son intérêt pour l’écologie a commencé il y a un peu plus de cinq ans, grâce à un « petit boulot » à mi-temps de vendeuse de légumes sur les marchés parisiens, puis par la découverte de la « Famille zéro déchet », un couple médiatisé essayant de réduire ses détritus. « J’ai lu un article sur eux et j’ai halluciné, se souvient Swann. Je n’avais encore jamais réalisé la pollution que provoquent les déchets. Ça a vraiment été une révolution dans ma tête, et j’ai trouvé leur mode de vie désirable. » Elle a d’ailleurs fini par l’adopter (divers bocaux et sacs en tissu trônent dans la maison louée par son équipe), mais cela ne s’est pas fait tout de suite, par manque de temps : « Tout le monde dit que l’écologie c’est cher : non, ce n’est pas cher. Ce qui est cher, c’est d’avoir le temps de cuisiner, de faire son pain, de rater une fois, deux fois, trois fois ; de comparer les différentes énergies vertes, lesquelles mentent, ou pas... »
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Swann Périssé : « J’ai installé des panneaux solaires sur le toit de la caravane. L’eau arrive par une pompe électrique. C’est impossible de vivre sans électricité et sans eau. » © Anna Kurth/Reporterre
Aujourd’hui, elle tient à « offrir ce temps » aux personnes qui ne l’ont pas. Même si elle reste lucide quant à la portée des actions individuelles : « Ça n’a quasiment aucune conséquence en matière d’émissions de carbone, concède-t-elle. Mais je pense que ce sont les individus qui font les entreprises, qui peuvent les changer. Et ce sont des projets qui amènent vers le bonheur, et préparent à la résilience. » En pensant à l’avenir, elle imagine un futur où « nos conforts seront bouleversés ».
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Swann en compagnie de Mateo, chargé des réseaux sociaux ; Anaïs, chargée de production et de Nelly, responsable technique. Photo : Anna Kurth/Reporterre
D’où l’importance, selon elle, de mettre en avant d’autres façons de manger, de consommer, de vivre. Alors Swann ne transige avec rien. « Elle est perfectionniste dans sa vie personnelle comme professionnelle », relève Nelly, la responsable technique de son entreprise. La YouTubeuse n’hésite pas à faire des dizaines de retours à ses monteurs lorsque le résultat ne lui plaît pas. Lorsqu’elle s’adresse à ses salariés, son ton, toujours poli, mais parfois autoritaire, tranche avec le sourire qu’elle affiche dans ses vidéos. « Je me considère comme extrêmement exigeante, très, très dure même, admet-elle. Mais c’est normal, c’est important ce qu’on fait. »
Elle a déjà identifié trente-huit projets à réaliser avec son équipe dans les années à venir. Plus question toutefois de courir partout, elle a déjà frôlé le burn-out cet été. Cet hiver, elle le passera à Montpellier, sa caravane plantée dans un champ de chèvres. Histoire de se donner, elle aussi, du temps.
Justine Guitton-Boussion et Anna Kurth (Reporterre)
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