Après 12 ans en cage, le lynx de l’Orangerie a découvert la vie en forêt
Enfermée durant 12 ans dans une cage pavée du zoo de l’Orangerie à Strasbourg, la femelle lynx Catrina a été placée en 2017 dans un sanctuaire, le ‘’Wolf- und Bärenpark Schwarzwald’’, près de Freudenstadt. Elle a été recueillie par la Stiftung für Bären (« Fondation pour les ours ») avec son frère Charlie, mais celui-ci est malheureusement mort d’un AVC deux ans plus tard. Alors que la mairie de Strasbourg compte placer le reste des animaux du zoo de l’Orangerie dans d’autres sanctuaires, bilan de cette première expérience…
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Catrina vit aujourd’hui au Wolf- und Bärenpark Schwarzwald. Photo : Stiftung für Bären
Catrina et Charlie (anciennement nommés Prunelle et Filou) sont arrivés âgés de quelques mois à l’Orangerie, après leur naissance en 2005 dans un autre zoo français. Code Animal fut la première association à alerter sur leurs conditions de vie. « Catrina et Charlie avaient une stéréotypie. Ils faisaient les cent pas dans leur cage. Leur malaise était flagrant », raconte Alexandra Morette, présidente de l’association. En 2013, Code Animal porte plainte contre le zoo, avec l’appui de plusieurs experts, pour non-respect de l’arrêté du 25 mars 2004 relatif à la détention des animaux et pour violation de plusieurs articles de loi. Des discussions sont alors engagées avec la ville pour envisager le replacement des animaux.
« Pourquoi pas, en fin de vie, la liberté ? »
Catherine Rutz, une bénévole française du Wolf- und Bärenpark, s’implique personnellement : « J’ai appris dans les DNA qu’une restructuration du zoo était prévue et j’ai immédiatement pensé au Wolf- und Bärenpark, car il était prévu d’y accueillir des lynx ». Elle prend alors contact avec les différents acteurs et se fait médiatrice de ce projet de transfert, qui prendra un an et demi. Après de nombreuses discussions avec la ville (propriétaire du zoo) et l’association « Les amis du zoo de l’Orangerie » (propriétaire de ses animaux) et une fois les formalités réglées, les lynx peuvent enfin quitter leur enclos pour la forêt.
Le secrétaire général des Amis du zoo de l’Orangerie Albert Bour, qui prend encore régulièrement des nouvelles de Catrina, émet quant à lui des réserves : « J’étais pour le transfert des lynx à l’époque, j’ai dû convaincre le CA. J’ai pensé “pourquoi pas, en fin de vie, la liberté ?”. Quant à savoir s’ils étaient heureux dans un plus grand parc, il faut leur demander ! » Attristé par la mort de Charlie, il soupçonne le changement soudain d’habitudes et la cohabitation avec des ours de lui avoir causé du stress.
De 110m2 de cage à 1,3 hectare de forêt
« Il est mort soudainement d’un AVC, comme ça peut arriver à des humains », explique Sabrina Reimann, la directrice du parc. « Il était en surpoids à son arrivée, et souffrait de problèmes aux reins et à l’urètre. Nous l’avons longtemps soigné, jusqu’à ce qu’il aille mieux. Il est malheureusement mort une semaine après sa guérison. Mais il s’était épanoui depuis son arrivée ici. »
« Charlie n’est malheureusement plus parmi nous mais Catrina devient lentement une vieille dame avec ses 16 ans. [Un lynx d’Eurasie en captivité a une espérance de vie de vingt ans, ndlr]. C’est beau de voir comment elle a évolué. »
La directrice du parc se rappelle la première fois qu’elle a les vus : « Dans cette cage minuscule, sur des pavés, sans sol naturel, dans environ 110 m2 … Ils avaient l’air incroyablement tristes et apathiques. Ils avaient beaucoup de bruit toute la journée. Les lynx ont des oreilles très sensibles, et ils étaient coincés entre des singes, des oiseaux, et les visiteurs. Ils étaient physiquement là mais ils étaient comme éteints. C’était probablement trop pour eux donc ils ne réagissaient plus à leur environnement. Et après avoir passé tout ce temps assis sur un sol plat, ils étaient physiquement très faibles, ils se tenaient à peine. »
Avec 1,3 hectare de forêt partagée avec des ours et 500 m² de zone de repli, la nouvelle vie de Catrina n’a plus rien à voir avec l’ancienne. « Il y a des vidéos où on la voit marcher sur l’herbe la première fois, et on la voit trébucher ! Ce n’était pas assez plat, elle n’y arrivait pas. On était là : “mon Dieu, c’est un lynx ! Elle devrait savoir comment se comporter dans la nature !” C’était triste à voir. Elle a dû tout apprendre depuis le début. » Apprendre à se déplacer en montagne, à grimper aux arbres, à se servir de ses griffes et même simplement à s’alimenter comme un lynx. « Elle ne voulait manger que du poulet, sinon rien. » Elle et son frère n’étaient nourris qu’avec ça à Strasbourg. « Normalement les lynx mangent des chevreuils ou des lapins. Ils ont dû apprendre à en manger. La première fois qu’ils ont vu un lapin ils ne savaient pas quoi en faire ! »
Petit à petit, au contact de la nature et des autres animaux, ses instincts sont revenus tous seuls : « Elle s’est mise à chasser des oiseaux, elle est devenue très territoriale, et elle s’affirme très bien face aux ours. Psychiquement, elle va beaucoup mieux. »
Un espace de protection
L’alternativer Wolf- und Bärenpark est le second parc de la Stiftung für Bären (Fondation pour les ours), qui recueille depuis 2010 des animaux sauvages captifs issus de toute l’Europe. Totalement indépendant de subventions ou autres financements publics, il héberge cinq loups, deux lynx et huit ours.
« Nous ne sommes pas un parc ou un zoo, mais un projet de protection des animaux », explique sa directrice. « Nous voulons bien sûr laisser les animaux vivre dehors, dans la nature. Le problème est que les animaux que nous sauvons étaient détenus par des particuliers, des entreprises, ou des zoos étrangers, et ne peuvent plus apprendre à vivre en liberté. » Sabrina Reimann ne cherche pas à donner une image idéalisée de son sanctuaire : « Normalement les ours ont besoin de plusieurs centaines de km² d’espace, donc bien plus que ce que nous avons. C’est pourquoi on ne dira jamais que c’est suffisant. C’est mieux que là d’où ils viennent mais le mieux serait la nature. C’est ce que nous voulons faire comprendre aux gens : que les loups, lynx et ours ont leur place dans la nature et pas en captivité. »
« Pour les animaux l’idéal serait qu’il n’y ait aucun humain ici, pour avoir du calme. Le problème est que si nous n’avons pas de visiteurs, nous n’avons pas non plus d’argent pour nous occuper des animaux. Il faut qu’on trouve un équilibre entre protection des animaux et marketing. » Cet équilibre passe par une mission de sensibilisation.
Des ours à selfie
L’Alternative Wolf- und Bärenpark Schwarzwald accueille aussi des loups et des ours. Photo : Laurent Réa
En nous faisant visiter, Sabrina Reimann s’arrête sur l’histoire de chaque animal : « Ces deux ours étaient des ours à selfie sur une plage en Albanie, ils faisaient des photos avec des touristes. Beaucoup de touristes, y compris des touristes allemands, payaient pour avoir une photo avec eux. Ils ne savaient pas que ces ours souffraient, ni que leur mère avait été tuée dans la nature pour les capturer alors qu’ils n’étaient pas encore sevrés. Peut-être qu’en visitant le sanctuaire et en apprenant leurs histoires, des personnes se questionneront sur la façon dont on traite les animaux et sur comment eux-mêmes peuvent agir différemment. »
Engagée contre les cirques avec animaux et contre leur captivité à des fins de divertissement, elle regrette de ne pouvoir tous les sauver : « On a des demandes presque tous les jours, mais on ne peut pas tous les prendre, et c’est toujours très difficile de choisir. Nous ne voulons pas non plus trop d’animaux pour ne pas leur causer de stress car ils ont besoin de beaucoup d’espace. S’ils sont trop nombreux, il y a des frictions. » La solution est de participer à la création de plus de sanctuaires : « Il n’y a que deux ou trois parcs comme celui-là en Allemagne. Il en faudrait plus et dans plus de pays, c’est pourquoi nous offrons des conseils aux projets qui se montent à l’international ».
La France manque de sanctuaires
Albert Bour, du zoo de l’Orangerie, est inquiet quant au placement des autres animaux , précipité par l’arrêt annoncé des subventions de la mairie en 2022. « Dans certains refuges, les cages sont encore plus petites qu’ici et les animaux sont revendus ! », s’énerve-t-il en faisant allusion à certaines structures d’accueil transitoire, avant d’ajouter : « Parler de “sanctuaires”, ce sont des envolées lyriques ! » Il est vrai qu’aucun cadre juridique n’encadre actuellement la notion de sanctuaire. Ceux-ci n’ont aucune charte à suivre pour être reconnus comme tel, bien qu’ils soient généralement définis comme des structures d’accueil de long terme à but non lucratif, qui ne pratiquent pas de reproduction et qui respectent les besoins des individus de chaque espèce.
Un tel statut juridique est l’objectif de Code Animal, qui a participé à un groupe de travail pour le ministère de la transition écologique, produit un rapport de 150 pages, et mené un colloque dédié à ces questions en 2020. Ses ambitions sont entre autres d’encadrer juridiquement les refuges et sanctuaires français par l’obligation de respecter une charte, et d’obtenir la création d’un fonds public pour aider les structures d’accueil privées qui seraient reconnues par ce statut.
Pas de soucis pour placer les autres animaux
Pour ce qui est du placement des animaux de l’Orangerie, Catherine Rutz, Sabrina Reimann et Alexandra Morette sont confiantes. Les premières, bien qu’elles reconnaissent qu’il y a saturation au niveau européen, comptent sur leurs nombreux contacts internationaux. Quant à Alexandra Morette, elle admet que bien qu’il n’y ait « pas de soucis pour replacer tous les animaux, la plupart en sanctuaires », certains transiteront en refuges avant d’être renvoyés vers d’autres zoos : « Mais ces zoos seront sélectionnés selon des critères précis et ne pourront pas être pires que celui de Strasbourg… »
À l’échelle nationale, la militante animaliste ne saurait pas estimer nombre de places nécessaires par rapport aux demandes, mais il ne fait pas de doute qu’il en manque cruellement : « En France, il n’y a que deux structures d’accueil [hors structures spécialisées sur une famille d’espèces, ndlr]. Certains animaux sont euthanasiés faute de place. C’est une question très complexe. Il y a un changement de société avec des gens qui refusent de voir des animaux exploités en spectacle, mais il y a très peu de possibilités de replacements ».
Pauline Ruhlmann (22 août 2021)
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